A1) Pourquoi l’organisation en partis de la droite est instable en France ?
Depuis 1789, jamais les classes privilégiées n’ont réussi à stabiliser durablement en France un grand parti de droite, contrairement aux autres grands pays capitalistes (Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis...). Pourquoi ?
* Premièrement, l’histoire du pays a produit un contexte institutionnel moins bien cadenassé par les classes privilégiées que dans les autres grands pays capitalistes.
Aux Etats-Unis, l’élection du président est parfaitement organisée pour conserver le pouvoir entre deux partis liés à la grande bourgeoisie ( parti démocrate et parti républicain) : énormité du financement par les entreprises, scrutin indirect par Etat, bipolarisation...
En Grande-Bretagne, Espagne, Pays Bas... le rôle institutionnel du souverain ne remet pas en cause un vrai choix de société lors des élections législatives.
En France, la cinquième république a mis en place un système institutionnel bonapartiste par l’élection du président au suffrage universel. Le quinquennat renforce cette prééminence de l’élection présidentielle. Dans une situation de suprématie affirmée d’un chef de la droite, le système a fonctionné ; en cas de conflit d’intérêts entre deux ambitieux ou deux réseaux, la crise a toujours explosé (Chirac Giscard, Chirac Barre, Chirac Balladur, Sarkozy Villepin).
A2) La tragicomédie Copé Fillon, nouvel avatar dans l’instabilité de la droite française
Les différences d’orientation entre ces deux "ténors" de droite ne me paraissent pas importantes ; tous les deux sont des va-t’en-guerre au service de la classe capitaliste tant française qu’internationale. Tous les deux souhaitent liquider les acquis sociaux et républicains de notre pays.
Leur tradition personnelle est un peu différente, François Fillon correspondant plus au moule historique de la droite cléricale conservatrice française.
La principale explication de leur antagonisme actuel m’apparaît tactique conjoncturelle, une simple lutte de pouvoir entre clans liés en partie aux objectifs à plus long terme de personnalités comme Nicolas Sarkozy.
Depuis 1789, jamais les classes privilégiées n’ont réussi à stabiliser durablement en France un grand parti de droite, contrairement aux autres grands pays capitalistes (Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis...). Pourquoi ?
Nous avons vu précédemment les raisons historiques et les raisons claniques liées au mode de fonctionnement des partis.
Nous abordons à présent la question cruciale du choix politique essentiel que doit faire la droite.
L’histoire de notre pays a produit un contexte social et juridique ne correspondant pas à l’intérêt à court terme des classes privilégiées (35 heures, sécurité sociale, retraites, rôle des collectivités publiques, type d’enseignement public, droit du travail...). Le MEDEF veut absolument rayer tout cela le plus rapidement possible. Les privilégiés d’autres pays capitalistes souhaitent tout autant cette défaite du mouvement ouvrier et progressiste français car sa capacité de résistance peut influer sur les mouvements sociaux en Italie, en Belgique, en Allemagne, peut-être même en Grande Bretagne...
Se pose donc à la droite un problème de stratégie, une obligation de choisir entre deux options fondamentales :
Foncer comme le souhaite Copé en surfant sur la radicalisation à droite de couches moyennes et populaires, au risque de perdre des élections intermédiaires car une partie de la base électorale de droite est sensible à la sauvegarde de certains aspects de ce "compromis social à la française".
Continuer à lentement déstabiliser le compromis social à la française comme cela se passe depuis 30 ans en faisant attention à conserver un électorat suffisant pour gagner les élections intermédiaires, si importantes pour la classe politique de droite (municipales, cantonales, régionales). Tel est pour des raisons tactiques immédiates, internes à l’UMP, le choix de François Fillon ;
Bénéficier d’un soutien suffisant du grand patronat pour imposer sa loi à la droite et à son parti majoritaire : Tel était le choix central de Sarkozy, le reste étant affaire de bonne communication. Ni Copé, ni Fillon ne bénéficient aujourd’hui d’un tel adoubement. Surtout, les défaites aux régionales, cantonales et municipales paraissent avoir échaudé les élus locaux de droite au point qu’une stratégie trop droitière visant seulement la présidentielle provoque souvent leur opposition affirmée.
* Troisièmement, l’histoire du pays a produit un rapport de force entre les classes sociales fondamentales différent des pays anglo-saxons. En France, les classes privilégiées dont le grand patronat n’ont pas réellement réussi à casser le salariat (dont le syndicalisme) sur un conflit social (mineurs en Grande Bretagne par exemple). Elles ont joué la carte d’une alliance avec la direction de la CFDT, avec succès en 1995, mais plus difficilement durant la période Chérèque.
Sur cette question aussi, nous retrouvons les deux choix possibles :
Foncer comme le souhaitent Sarkozy et Copé au risque d’une explosion sociale et d’une radicalisation à gauche
Continuer à lentement déstabiliser le compromis social à la française selon la plupart des Fillonistes
* Quatrièmement, l’histoire du pays a produit un rapport de force idéologique, culturel, politique qui ne laisse pas toute la place au rouleau compresseur du capitalisme financier transnational. Toutes les élections, toutes les luttes, toutes les enquêtes confirment un maintien d’un électorat profondément ancré à gauche. Les meetings du Front de Gauche l’ont rappelé au printemps 2012. De plus, ce camp d’environ 20% des citoyens n’est pas isolé sur le champ politique. Il s’est marginalisé dans les années après 1968 mais ce n’est pas le cas actuellement où sur une lutte, une campagne... il peut bénéficier d’une attitude compréhensive très large.
La droite comme les penseurs des classes privilégiées savent bien que cette réalité d’une France anticapitaliste et antilibérale représente un os incontournable pour transformer la France en un paradis fiscal pour pauvres cons en yachts. Le Front national n’est pas en mesure de porter ce combat idéologique conservateur. Sarkozy comme Copé veulent faire assumer frontalement cette bataille par la droite traditionnelle ( ce qui peut leur permettre en même temps d’aspirer une partie de l’électorat FN).
* Cinquièmement, l’histoire du pays a produit plusieurs sensibilités de droite qui mettent beaucoup de temps à disparaître, profitant du cadre institutionnel français avec son champ politique plus déconnecté que dans les pays anglo-saxons du champ économico-social.
Ainsi, le Parti Radical existe toujours et son président se nomme actuellement Jean-Louis Borloo. Si l’UMP se positionne trop à droite, ces politiciens au style droite 4ème république, peuvent jouer une partition plus ou moins indépendante, surtout en présence d’un gouvernement de gauche type Ayrault qui ne peut les effrayer.
De toute façon, plusieurs grandes orientations ont toujours divisé la droite française : une tentation bonapartiste autoritaire, une pratique conservatrice privilégiant l’intégration dans le cadre institutionnel "républicain", l’utilisation de la radicalisation de couches moyennes sur une base libérale pour casser ce cadre institutionnel, une petite droite dite "chrétienne centriste"...
2) Bonapartisme gaulliste en crise
La solution généralement pratiquée par les classes privilégiées et la droite est la même depuis Napoléon 1er : glorifier un individu à l’instant T comme sauveur de la nation et capter sur son nom les voix de toutes les droites et une partie extérieure à celle-ci. Napoléon III comme De Gaulle ont joué ce rôle ; Pompidou, Giscard, Chirac, Sarkozy ont essayé de se couler dans ce moule.
Les institutions de la 5ème république sont entièrement conçues pour imposer au pays ce modèle.
Au plus tard tous les dix ans, le parti majoritaire de droite change en France de nom pour ne pas subir le poids des déceptions passées. Nous avons même vu Nicolas Sarkozy jouer sur une communication de rupture pour succéder à Chirac.
Cette stratégie bonapartiste présente des défauts. Elle entraîne des conflits de clan très durs à l’intérieur du parti de droite soutenant le président pour désigner le nouveau chef (exemple récent : Villepin contre Sarkozy).
Ceux qui ont pensé cette stratégie n’avaient sans doute pas prévu qu’un jour l’aspiration démocratique des électeurs et l’acuité des conflits de clan imposeraient la nécessité d’une élection "démocratique" du "chef" de la droite. Or, le parti français majoritaire de droite n’a jamais été construit pour fonctionner comme un vrai parti, tant au niveau de la liste de ses adhérents qu’à celui de ses statuts et rôle des instances.
L’affrontement actuel Fillon Copé est un condensé de toutes ces contradictions de la droite française :
incapacité à stabiliser un grand parti conservateur d’où choix bonapartiste
difficulté à utiliser le cadre bonapartiste de la 5ème république sans un parti capable de choisir le candidat bonaparte
orientations contradictoires entre bonapartistes, conservateurs intégrés dans les institutions, libéraux voulant radicaliser les couches moyennes pour casser le cadre institutionnel républicain
Entre Jean-François Copé et François Fillon eux-mêmes, les différences d’orientation politique ne sont sans doute pas très importantes. Les deux savent que la droite française doit à la fois être libérale dans ses objectifs et "républicaine" dans ses discours pour conserver une chance de gagner la présidentielle. Les deux savent qu’un parti français de droite doit essayer de couvrir tout le champ politique entre le Parti Socialiste et le Front National. Leurs désaccords lors du vote pour la présidence de l’UMP relèvent en partie du positionnement tactique conjoncturel.
Cependant, la forme prise par l’affrontement Fillon Copé met à jour publiquement les contradictions actuelles de la droite et présente donc un intérêt politique évident.
Trois constats peuvent être faits après ce congrès de l’UMP :
40% des adhérents du parti de droite majoritaire se situent sur une orientation proche du FN (motions Droite forte et Droite populaire)
des élus locaux traditionnels comme Pierre Méhaignerie quittent l’UMP pour l’UDI de Borloo craignant que cette droitisation à outrance ne les minorise et ne leur fasse perdre les prochaines élections locales.
Jean-François Copé est déclaré président de l’UMP mais il se trouve dans une position extrêmement inconfortable entre l’UDI, le FN, les Fillonistes qui l’accusent d’avoir triché, la Droite forte qui en appelle à Sarkozy et plusieurs dirigeants qui attendent leur heure (Kosciusko-Morizet, Xavier Bertrand...).
Jacques Serieys
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