Ne discutez pas ! Si, à travers le monde, tous les économistes, banquiers, grands patrons, médias et gouvernements libéraux, tous les gouvernements européens, dont le nôtre, vous disent que c’est la crise, eh ! bien c’est la crise. Un point c’est tout. Vous devez donc accepter tous les sacrifices que ces belles âmes vous demandent.
Plus je vieillis, plus j’ai la tête dure. Je n’accepte pas ce brouet quotidien.
Tout d’abord, je propose de revenir sur le concept de crise, qui nous est doctement asséné comme une évidence, jusqu’à l’indigestion. Preuves et chiffres incontestables à l’appui, puisque pris aux sources mêmes des statistiques officielles.
Pour qu’il y ait crise, il faudrait que les richesses créées et produites aujourd’hui soient moindres que celles créées et produites il y a 10, 15, 20 ou 30 ans.
Pour la commodité de ma démonstration, je vais m’en tenir aux chiffres de notre pays depuis 1980. Pourquoi 1980 ? Parce que c’est le point à partir duquel le capitalisme est arrivé à un stade d’évolution tel, depuis deux siècles, qu’il s’est mondialisé et financiarisé. Les deux premiers vecteurs de cette mondialisation et de cette financiarisation, inscrites dans les gènes du capitalisme, ont été Ronald Reagan, élu président des Etats-Unis, et Margaret Thatcher, devenue Premier ministre britannique. L’autre accélérateur de la mondialisation et de la financiarisation capitalistes a été la chute du Mur de Berlin et dans la foulée celle de l’Union soviétique.
Le principal indicateur de la richesse d’un pays est son PIB (produit intérieur brut). Le PIB représente la totalité des richesses créées et produites, chaque année, dans chaque pays. Que ces richesses soient utiles à l’intérêt général, ou futiles, ou même nuisibles à la collectivité humaine. L’autre indicateur est son patrimoine bâti (monuments historiques, immeubles), industriel (locaux professionnels) et foncier (terrains agricoles). Il y a d’autres indicateurs de richesse : la qualité des réseaux (routes, voies ferrées, électricité, eau), enfin, la situation géographique, tels que les débouchés maritimes, le tourisme. A noter qu’une grande partie des richesses provenant des autres indicateurs que le PIB, abonde ce dernier par l’activité économique induite.
Enfin, il est un autre indicateur de la richesse d’un pays, trop souvent méconnu, c’est celui du montant de l’épargne des ménages par rapport à leurs revenus disponibles. De tous les pays développés, le nôtre est nettement en tête. Fin 2011, notre taux d’épargne s’élève à 16,8 %, alors qu’il n’est que de 11 % en Allemagne, 4,7 % aux Etats-Unis, 7,4 % au Royaume-Uni,…..
En 1980, notre PIB s’est élevé, en volume, à 445 milliards d’euros. En 2011, il s’est élevé à 1 997 milliards d’euros. La multiplication des richesses créées et produites en 31 ans a donc été de plus de 4,5 fois. Bien sûr, ce dernier chiffre doit être pondéré : 1/ par le taux de l’inflation intervenu en 31 ans, 2/ par l’évolution démographique. Il y a plus d’habitants en France en 2011 qu’en 1980.
De 1980 à 2011, le taux d’inflation cumulé a été de 199,6 %, soit un triplement. Ce taux de 199,6 % est obtenu par la méthode de l’anatocisme. C’est-à-dire, qu’en partant d’une base 100 en janvier 1980, il faut ajouter le taux de l’inflation de la première année à 100. Mettons 2 %, par exemple. A ce chiffre 102 obtenu à la fin de la première année, il faut ajouter le taux de l’inflation de l’année suivante et cumuler ce dernier taux d’inflation à la base 102 atteinte fin décembre 1980, et ainsi de suite jusqu’en 2011.
Pour ce qui est de la prise en compte de l’évolution démographique, les instituts statistiques ont la bonne idée de publier le PIB en volume, dont il est question plus haut, et le PIB par tête d’habitant. Le PIB par tête d’habitant permet de comparer son évolution d’année en année de manière plus objective.
En 1980, le PIB par tête d’habitant s’est élevé à 8,1 milliers d’euros. En 2011, il s’est élevé à 30,6 milliers d’euros. Soit une multiplication en 31 ans de 3,78. Ce chiffre est un coefficient ou indice, si on le traduit en pourcentage, cela fait une augmentation de 278 % de 1980 à 2011.
Maintenant, pondérons cette augmentation de 278 % par l’augmentation de 199,6 % du taux de l’inflation intervenue en 31 ans. Cela signifie que de 1980 à 2011, le PIB par tête d’habitant a réellement augmenté de 78,4 %.
Loin d’être en crise, notre pays a vu sa richesse croître de 78,4 % en 31 ans. Le malheur, c’est que seule la minorité des plus fortunés a profité, et même très au-delà, de l’accroissement de notre richesse. Autre donnée : la part de la richesse produite prélevée par le capital a triplé depuis 30 ans. Elle était de 3,2% du PIB en 1980, de 5,6% en 1999, elle est passée à 9,3% du PIB en 2011.
Dorénavant, je préconise que plutôt que de parler de crise, nous parlions de crise de la répartition.
L’autre antienne des mêmes propagandistes du libéralisme, cités au début de ce texte, c’est l’énormité de la dette publique.
Comme pour la crise, je dénie qu’il y ait un problème de la dette publique, au moins pour notre pays. Jean-Luc Mélenchon l’a démontré lumineusement pendant sa campagne à la présidentielle.
Aujourd’hui, notre dette publique s’élève à 1 800 milliards d’euros. Les libéraux nous disent que notre dette publique s’élève à 90 % du PIB. Dit comme ça, la dette publique est effectivement énorme. Sauf que cette présentation est une véritable supercherie. Pire, une escroquerie intellectuelle. Notons que dans tous les pays du monde, les propagandistes du libéralisme mondialisé et financiarisé calculent le poids de la dette publique de cette manière. Il s’agit donc d’une entreprise concertée.
En évaluant le poids de la dette publique de cette manière, c’est comme si, pour un particulier, on évaluait le poids de sa dette par rapport à ses revenus d’une seule année. Prenons, par exemple, un couple qui gagne 3 000 € par mois, soit 36 000 € par an et qui achète sa maison 200 000 €, avec un apport de 50 000 €. Il lui faut donc contracter un crédit de 150 000 €, payable en 20 ans au taux fixe de 5 % et selon des mensualités fixes. Au bout de 20 ans, ce couple aura remboursé (capital + intérêts) 237 584,67 €.
Si l’on calcule le poids de la dette totale de ce couple par rapport à ses revenus d’une année, comme cela est fait pour la dette de la France, la dette de ce couple s’élève à 660 %. Un chiffre évidemment astronomique et impossible à rembourser. Alors que si on calcule le poids de la dette par rapport à 20 années de revenus et de crédit, le poids de la dette ne sera plus que de 33 %. Notre couple respire mieux. Et encore, je ne tiens pas compte qu’en 20 ans, ses revenus augmenteront probablement, allégeant ainsi le poids de sa dette.
Il est admis par tous les économistes que la dette publique de la France est remboursée en 7 ans et un mois. En 7 ans et un mois notre pays aura créé et produit environ quatorze mille milliards d’euros (7 PIB).
Si donc on évalue le poids de la dette publique de notre pays, comme le font les sociétés de crédit pour les particuliers et pour les entreprises, le poids de notre dette publique n’est plus que de 12,7 % et non plus de 90 %. C’est-à-dire que notre dette publique n’a rien de démesurée. Je dirais même qu’elle est dérisoire.
Cette façon des propagandistes du libéralisme de présenter et commenter les chiffres de l’économie est la même dans le monde entier. Il s’agit donc d’une entreprise concertée et délibérée. Son seul but est de faire admettre aux peuples qu’ils doivent accepter des sacrifices et de perdre des droits au nom de la compétitivité, faussée par la concurrence déloyale.
Michel Rocard, dans une interview donnée sur Europe 1, dans l’émission Médiapolis, accessible sur le lien suivant : http://www.youtube.com/watch?v=PH7W..., confirme d’une certaine manière la démonstration de Jean-Luc Mélenchon, mais en partant de la dénonciation de la loi Pompidou-Giscard du 3 janvier 1973, obligeant la France à se financer sur le marché financier privé, avec à la clef de lourds taux d’intérêts.
Il qualifie cette loi de stupéfiante. Précisant que si la France avait pu continuer à se financer à l’œil, notre taux d’endettement aujourd’hui ne serait pas de 90 ou 91 %, mais de 16 ou 17 %. Pour reprendre son qualificatif, je trouve stupéfiant que, lorsque Rocard était Premier ministre, et alors qu’il connaissait cette « loi stupéfiante », il n’ait rien fait pour l’abroger.
Mais il y a mieux. Les dévots du libéralisme n’ont d’yeux que pour la dette publique. Ils oublient délibérément la dette privée (celle des ménages et des entreprises). Et pourtant, la seule manière de comparer les économies, c’est de comparer l’endettement total : dette publique + dette privée. En effet, les économies de chaque pays sont structurées différemment. En France, le secteur public est plus fort qu’aux Etats-Unis, par exemple. Ainsi, en France, étudier et se soigner coûte beaucoup moins cher aux familles qu’aux Etats-Unis. Dans ce pays, paradis capitaliste pour ses partisans, les étudiants contractent des crédits énormes pour pouvoir poursuivre leurs études. Idem pour la santé et pour bien d’autres domaines. Alors qu’en France, l’Etat, les collectivités locales et la Sécurité Sociale contribuent grandement à ces dépenses.
Comparons maintenant la dette totale (publique + privée) des pays industrialisés. Hormis l’Allemagne, l’endettement total de la France, en pourcentage du PIB 2011, est le plus faible. 210 % en France, contre 230 % pour la zone Euro, 240 % pour les Etats-Unis, 260 % pour la Grande-Bretagne et l’Espagne, 360 % pour le Japon,….
Certains se disent, peut-être, mais si la France est plus riche qu’en 1980 et que sa dette n’est pas très élevée, c’est donc qu’en réalité le capitalisme ça marche bien. Eh bien non, en dépit de cela le capitalisme est réellement en crise en France comme dans le monde entier, y compris au paradis allemand. Mais pourquoi donc ?
Pour la raison principale suivante : le capitalisme fonctionne selon la double logique de la concentration capitaliste (les plus grandes entreprises mangent les plus petites dans un mouvement incessant et inéluctable) et de l’accumulation capitalistique.
La concentration capitaliste a fait sentir sa logique dès l’avènement du capitalisme industriel, au milieu du 19ème siècle. Ses effets sont évidemment de plus en plus spectaculaires aujourd’hui. Mais, bon an mal an, cette concentration ne fait pas entrave au bon fonctionnement du capitalisme. Elle constitue un drame pour les salariés des entreprises dévorées par plus grosses qu’elles, d’autant plus quand elle est accompagnée d’une délocalisation. Mais d’un point de vue strictement capitaliste ce n’est pas un sujet de crise. D’ailleurs, très souvent, les actions d’une entreprise montent à la bourse après qu’elle ait annoncé un plan de licenciements.
En revanche, l’accumulation des capitaux constitue un vrai péril pour le système capitaliste.
Ses effets ont mis beaucoup plus de temps à se faire sentir, mais ils sont inscrits dans les gènes du capitalisme. Dans un autre article, où j’invitais à lire ou relire Marx, je reprenais « la formule générale du capital » (tome I de « Le Capital »), où Marx démontrait qu’à son dernier stade d’évolution, le capitalisme verrait une domination sans partage de l’argent (économie virtuelle) par rapport à la production industrielle (économie réelle), tout cela au terme d’une lente concentration industrielle et d’une encore plus lente accumulation des capitaux.
La thèse de Marx se vérifie totalement aujourd’hui.
L’acte de naissance de cette phase de l’évolution du capitalisme remonte à août 1971, quand Richard Nixon, alors président des Etats-Unis, a mis fin à la convertibilité du dollar en or, battant en brèche les accords de Bretton Woods signés en juillet 1944. Très vite les Etats-Unis ont inondé le monde de dollars. La valeur des dollars circulant à travers le monde a de très loin dépassé la valeur de la production américaine. Les pays détenteurs de ces dollars de pacotille, non gagés sur des valeurs réelles, sont du même coup asservis aux Etats-Unis.
La mondialisation financière du libéralisme est tout entière dans cette mécanique infernale. Margaret Thatcher, dès 1979, et Ronald Reagan, en 1981, ont parachevé l’ouvrage, suivis comme des caniches par les autres dirigeants occidentaux.
Aujourd’hui, les capitaux ne cessent de s’accumuler, au point que la masse des capitaux circulant à la vitesse de la lumière à travers le monde dépasse de très loin la valeur des biens produits par le travail humain. L’économie virtuelle a pris le pas sur l’économie réelle. Il est plus rentable pour un capitaliste de spéculer en bourse que d’investir dans la production. Le monde est transformé en casino.
Seulement, ce jeu est porteur de risques mortels pour le capitalisme et plus encore pour les peuples. Des bulles financières énormes se sont constituées. Elles éclatent inéluctablement. Quand c’est le cas, elles sont incontrôlables, même par les capitalistes qui les ont créées. Le monde va tel un bateau ivre.
Voilà où nous en sommes. Seul un sursaut des peuples peut mettre fin à cet engrenage funeste. Rien n’est possible dans le cadre du système capitaliste.
La constitution de banques de dépôts séparées des banques d’affaires n’est qu’un leurre, de même que la taxation des transactions financières, d’autant plus au niveau d’un pays et même de l’Europe.
Seule une action vigoureuse contre l’accumulation des capitaux à des fins spéculatives peut être efficace. Sachons qu’avant 1885, la spéculation financière était interdite. Mais là, c’est s’attaquer au cœur même du capitalisme.
La difficulté c’est de lui substituer un autre système politique et économique. Il ne faut pas se cacher que l’échec retentissant du communisme à la mode soviétique constitue, pour les peuples pourtant victimes du capitalisme, un obstacle à leur volonté d’en finir avec ce système. Ils ont peur du vide.
Reste que le capitalisme va précipiter inexorablement les peuples vers la catastrophe. Il faudra bien qu’un système fondé sur la priorité absolue donnée à l’intérêt général prenne le pas sur le droit de propriété, sur l’individualisme, pire sur l’égoïsme, sur les calculs à court terme. Sinon, c’est le genre humain qui se mettra en danger.
Robert Mascarell
croit plus à l’existence, prouvable, de la lutte des classes qu’à celle, improuvable, de dieu
Article original : http://robertmascarell.overblog.com...
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