Le parti quoi ?

vendredi 2 novembre 2012.
 

Le Congrès du PS tenu à Toulouse est un seuil de plus qui se franchit vers la dilution définitive de ce parti dans le néant où règnent agence de communication et technocrates vaguement compassionnels. C’est le modèle "démocrate". Celui qui a anéanti la gauche italienne. Il accompagne une ligne politique. J’ai montré dans mon livre « En quête de Gauche » comment François Hollande en avait été le principal inspirateur depuis 1984. Ce que vous voyez, présidence, gouvernement et parti, confirme point par point ce que j’en disais.

Je reviens sur le vote du congrès socialiste car les commentateurs, souvent baignés jusqu’au cou dans les connivences, sont allés vite en besogne. Ils ont insisté sur le fait que la motion « conduite par Harlem Désir » a obtenu un résultat « inhabituellement » faible avec 68%. Pourtant François Mitterrand a gagné le congrès de Metz avec 40 % des voix. Mais 68 % c’est en effet un résultat très faible si l’on met de côté Harlem Désir et que l’on se souvient de l’essentiel de l’essentiel : c’était la motion soutenue par le président de la République, le premier ministre Ayrault, l’ensemble du gouvernement y compris Valls, Hamon et Montebourg, la première secrétaire sortante Aubry et l’ancienne candidate à la présidentielle Royal. Je mentionne tous ces noms pour que l’on ait bien conscience du caractère collectif de l’échec de Jean-Marc Ayrault, de ses ministres et de ses soutiens.

Mais Harlem Désir est déjà traité comme un fusible. Pourtant que valent les pleurnicheries de ceux qui ont protesté contre le caractère « arrangé d’avance » de l’élection de Harlem Désir ? Rien. Car qui peut dire quel « collectif » a désigné Lionel Jospin après François Mitterrand. Et François Hollande après Lionel Jospin ? Et Fabius après Mauroy ? Personne. C’était déjà le fait du prince ! D’ailleurs en ce qui concerne la première élection de Hollande, le vote était tellement bidonné qu’il a fallu s’entendre sur le résultat dans un bureau entre lui et moi. Bien sûr Hollande ne tint pas parole, comme d’habitude. Il n’y eut jamais qu’un vote contradictoire réel. Entre Aubry et Royal. Ce fut un incroyable concours de tricheurs. Mais cette année, pour la première fois depuis deux décennies, certains artistes de grands renoms ne se sont pas occupés « d’aider la nature » au PS. C’est peut-être la seule vraie clef de lecture du scrutin. Alors Emmanuel Maurel bénéficie d’un score à peu près réel, diminué cependant de la gonflette spontanée que pratiquent les poètes de certains départements où le niveau d’abstention pourrait nuire au prestige des chefs. Du coup aussi Harlem Désir est donc le seul qui ait jamais été réellement élu depuis Lionel Jospin en 1995. Et sans l’aide des artistes.

Mais l’échec des uns ne fait pas le succès des autres. Le score poussif de la motion de François Hollande et Jean Marc Ayrault, dont le premier signataire est Harlem Désir, ne renforce pas mécaniquement la motion de la gauche du PS. Certes il y a eu aussi la dispersion organisée avec la motion Hessel dont les deux premiers signataires ont en commun d’avoir été encore à Europe-Ecologie-les-Verts il y a à peine six mois. Il y a eu aussi la désertion des supposés porte-paroles de la gauche du parti : Emmanuelli, Hamon, Cherki et leurs amis ont signé la motion Aubry-Ayrault. Ils ont ainsi renoncé à défendre publiquement leurs idées dans leur parti. Ça n’aide pas à les faire progresser. Engloutis dans le cynisme d’appareil, ils ont à la fois voté contre le traité Merkozy au parlement, et voté pour le même traité dans le parti avec la motion Ayrault-Désir. On doit comprendre que cette désertion a un prix politique fort. S’ils avaient été visibles et s’ils avaient aidé à faire un score, la question d’une ligne alternative à gauche, peut-être même passant par eux, aurait été possible. Qu’on ne dise pas que ce n’est pas compatible avec la participation au gouvernement. Ni qu’un nouveau gouvernement de gauche a besoin d’être appuyé par une motion unique. La preuve ? La voici. J’ai déposé un texte de congrès en opposition à la majorité Jospin-Hollande au Congrès de Grenoble alors que j’étais ministre de Lionel Jospin ! Et d’ailleurs à cette époque Henri Emmanuelli aussi avait lui aussi un texte d’opposition. Mais pas de ministre.

Certes, encore une fois, Emmanuel Maurel et les siens ont bien travaillé. Car en 2008, toute la gauche pour une fois réunie obtenait 18 %. Il obtient 13,38 %. Certes c’est cinq points de moins mais que de changements depuis la dernière fois ! Nous avons quitté le parti, non seulement nous l’ancienne gauche socialiste mais aussi Marc dolez et son courant « force militante ». Et Hamon-Emmanuelli se sont couchés. Mais ce combat courageux n’a pas permis de redresser ces dégâts et encore moins d’inverser la tendance historique.

En effet, les 13,38 % de la motion de gauche ne doivent pas cacher la limite historique de ce score. Il marque un nouveau recul. A Reims en 2008, la gauche du PS représentait encore près de 20%. Ce résultat de 2008 avait déjà été présenté comme un succès. C’était en fait déjà un déclin historique. Il était d’autant plus cinglant pour nous que, pour la première fois, toutes les familles de la gauche traditionnelle du parti socialiste s’étaient regroupées dans un texte unique. La fonte des votes était consternante. En effet, au congrès précédent, en 2005, au congrès du Mans, les trois motions de la gauche du PS, se réclamant du "non" du 29 mai 2005, avaient obtenu au total 46%. Ainsi, entre 2005 et aujourd’hui, les suffrages de la gauche du PS ont donc été divisés par plus de trois.

Et si on raisonne en voix, le bilan est pire encore. En 2005, les trois motions issues de la gauche du PS avaient obtenu 48 000 voix. En 2008, au congrès de Reims, il n’y avait déjà plus que 26 000 voix pour la gauche du PS. Et cette année, la motion Maurel sort à… 11 283 voix. Les voix de la gauche du PS ont été divisées par plus de quatre en sept ans ! Ce déclin constant de la gauche officielle du parti s’inscrit dans un contexte de « droitisation » permanente et accélérée de la majorité du parti. Le recoupement de ces deux faits en aggrave le bilan. Jamais l’écart n’a été aussi grand dans les contenus qu’entre le texte de Maurel-Filoche et celui d’Ayrault-Désir. La pente prise ne se rattrapera pas.

Je le dis en étant conscient que la plupart des fondateurs et rédacteurs du courant Maurel ont été des amis très proches et pour beaucoup le restent. J’ai travaillé très directement dans le passé avec nombre d’entre eux. J’ai encore, avec maints d’entre eux, de nombreux contacts. Je sais que leur engagement a été total pour convaincre. Je regrette qu’ils soient toujours aussi aveuglés sur l’impasse dans laquelle leur parti est entré et sa signification irréversible. Je crains qu’ils n’aient pas compris qu’un seuil qualitatif fondamental vient d’être franchi avec l’épisode Papandréou, Zapatero, venant après la séquence Blair-Schroeder, après le soutien systématique dans tous les pays d’Amérique du sud aux adversaires de la révolution citoyenne. Du coup, en France, ils ne voient pas le changement de nature que ce gouvernement incarne. C’est notre divergence. Et je sais aussi que plus aucun d’entre eux ne croit leur courant en état de faire mieux que du témoignage. Pour autant ce n’est pas inutile. Ce sera, le moment venu, un point d’appui pour la grande recomposition qui suivra ou bien notre victoire sur les sociaux-libéraux ou bien l’entrée en scène massive du peuple. Il est donc confirmé que la pente n’est plus réversible. C’est la conclusion à laquelle nous étions arrivés en quittant le parti du « oui-oui-oui » en 2008.

Avec ce congrès fantôme, le PS a franchi un cran dans la coupure avec la société. Le 11 octobre dernier, à peine 88 000 adhérents ont voté pour choisir le texte d’orientation de ce parti. Gonflette comprise. C’est 44 000 de moins qu’il y a trois ans. Six mois après la victoire électorale, quel enthousiasme ! Comment pourrait-il en être autrement ? Le PS n’est plus un lieu d’élaboration collective depuis longtemps. Et depuis un an, il n’est même plus un lieu de désignation des candidats puisque n’importe quel passant dans la rue peut choisir avec les primaires celui qui fixe ensuite la ligne tout seul. L’astre mort tourne dans le vide. C’est pourquoi je parle de congrès fantôme. Congrès sans enjeux, sans débat, sans objet. En pleine montée de la tempête capitaliste, une assemblée de plagistes de la politique va s’entre-congratuler ou gémir à guichet fermé. De ce que fut le Parti socialiste, il ne reste qu’une illusion pour ses adhérents et ses dirigeants. Elle les conduit d’ailleurs aux pires erreurs d’évaluations. Eux croient que le parti c’est le monde en petit et donc que le monde c’est le parti en grand. Gouverner la société ce serait comme gouverner le Parti socialiste : en dire le moins possible et faire de beaux organigrammes. La méthode cafouilleuse du gouvernement Ayrault est la conséquence de cette illusion. Reste que c’est encore un bon bureau d’embauche. Mais la mobilité interne n’est plus si ample. Les petits bourgeois qui y trouvent un remède contre le déclassement social et symbolique y restent pourtant sensibles. Jusqu’aux municipales.


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