Influence du FN dans les milieux populaires : ses ressorts

vendredi 11 mai 2012.
 

L’idéologie à laquelle le maréchal Pétain a donné son nom a été élaborée par l’extrême droite dès la fin du XIXe siècle pour combattre l’émergence du mouvement ouvrier. C’est à ce moment-là que le champ politique français se structure à partir d’un clivage opposant deux camps antagonistes que j’ai appelés, pour faire vite, «  la droite nationale-sécuritaire  » et «  la gauche sociale-humanitaire  ».

En se réclamant de la lutte des classes et en privilégiant l’électorat ouvrier, qui à l’époque formait la majorité des salariés, la gauche a délaissé la fraction des milieux populaires qui avait joué un rôle très actif pendant la Commune  : boutiquiers, artisans, travailleurs indépendants. Menacées par le développement du capitalisme, hostiles au discours sur la collectivisation des moyens de production, ces catégories vont devenir une clientèle électorale privilégiée par les partis d’extrême droite.

La crise des années 1930 accentue ce phénomène. Le slogan officialisé par le maréchal Pétain  : «  travail, famille, patrie  » résume une idéologie xénophobe, sécuritaire et corporatiste. On peut inscrire les propos de Sarkozy sur le «  vrai travail  » dans le prolongement de cette tradition d’extrême droite.

Cela dit, je ne suis pas sûr que ces références historiques soient d’une grande utilité pour comprendre les problèmes actuels. N’oublions pas que le «  pétainisme  », c’est avant tout une idéologie légitimant la «  révolution nationale  », c’est-à-dire la liquidation de la démocratie au profit de la dictature. Aujourd’hui nous vivons dans une société où le régime démocratique n’est plus menacé (ce qui ne signifie pas que les atteintes à la démocratie aient disparu).

La bureaucratisation de la société, la crise de la grande industrie et le triomphe de la «  politique spectacle  » ont liquidé les mouvements de masse, entraînant une perte d’autonomie pour les partis politiques au profit des médias. Le passage de la «  démocratie de partis  » à la «  démocratie d’opinion  » se produit, en France, au début des années 1980. L’un de ses effets les plus immédiats, c’est le retour de l’extrême droite sur le devant de la scène politique.

Le triomphe de la politique spectacle crée en effet des opportunités dont se saisit Jean-Marie Le Pen en développant la stratégie des «  petites phrases  » conçues comme des «  bombes médiatiques  » qui prennent leur place dans l’actualité au côté des crimes, des catastrophes, des procès, etc. Ce business (au sens propre du terme puisque beaucoup de journalistes en vivent) aboutit à l’héroïsation des leaders d’extrême droite. Le fait qu’ils soient présentés comme des «  héros négatifs  » mettant en danger les «  valeurs républicaines  » ne change rien à l’affaire, bien au contraire.

Les fractions des classes populaires les plus durement touchées par la mondialisation du capitalisme se sentent en effet autorisées à voter pour le Front national puisque ses leaders sont devenus des personnages centraux du récit médiatique. La réputation sulfureuse de ce parti séduit tout particulièrement ceux qui n’ont plus rien à perdre et qui cherchent à exprimer la radicalité de leur rejet d’une société qui ne leur fait pas de place.

Les «  petites phrases  » de Nicolas Sarkozy peuvent êtres vues comme des tentatives visant à exploiter ce type de ressources, afin de séduire les électeurs du FN. Mais il n’occupe pas la même position que Marine Le Pen sur l’échiquier politique. Leader d’un parti de gouvernement, cherchant à rallier plus de la moitié des suffrages, il n’a pas la même marge de manœuvre. D’où sa piteuse retraite sur le «  vrai travail  ».

Gérard Noiriel, Tribune dans L’Humanité des débats


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