La bataille des idées : l’autre victoire du Front de gauche

mardi 15 mai 2012.
 

De lassitude en désespérance, la politique se languissait. On n’y croyait plus. Les médias faisaient de leur mieux pour amuser la galerie. Hélas, à leur insu, ils reproduisaient souvent les poncifs de l’idéologie dominante. La droite avait gagné la bataille des idées  : elle avait imposé son langage, ses problématiques, son idéologie. Un langage partisan, souvent inconscient de l’être  : charges sociales et non cotisations, assistanat et non droits sociaux, libéralisme et non capitalisme, lois économiques fatales et non choix de société contestables, État providence et non État social de droit, etc. Des problématiques fallacieuses  : les dettes publiques dues aux «  avantages  » des travailleurs et aux missions sociales de l’État, une Europe régie sans recours par les marchés, la souveraineté populaire taxée de souverainisme, voire de nationalisme, les services publics jugés archaïques, la laïcité conçue comme une vieillerie à remplacer par l’exaltation compassionnelle de la «  différence  », etc. 
Des idées reçues et répétées, sans distance critique  : le communisme confondu avec le goulag mais le christianisme étranger aux bûchers de l’Inquisition, la charité substituée à la solidarité redistributive, les coûts écologiques et sociaux de l’ultralibéralisme externalisés, l’impôt tenu pour confiscatoire, et les déshérités jugés responsables de leur situation.

Bref, dans la bouche de ses apologètes, toute interrogation sur l’inhumanité d’un système si content de lui paraissait incongrue et passéiste. La condescendance se mêlait à la morgue et le cynisme à l’enrichissement vertigineux. 1 million d’euros mensuels pour certains PDG du CAC 40 et le Smic plafonné à 1 400 euros. Les soins, la culture, le logement, voire l’eau et l’énergie, devenaient inaccessibles aux exclus, et l’industrie du luxe se faisait florissante. La destruction complète des conquêtes ouvrières allait bon train. Comme l’avait dit la Dame de fer  : «  No alternative  ». La leçon de madame Parisot, en 2005, était franchement sordide  : «  L’amour et la santé sont précaires  : pourquoi le travail échapperait-il à la loi  ? » M. Sarkozy agissait en disciple. Mais il fallait un dérivatif aux désespérés. D’où son mimétisme à l’égard de l’extrême droite. Exalter le «  nous  » contre le «  eux  », l’ami contre l’ennemi. Rapprocher immigration et menace sur l’identité dite nationale. Jeter l’opprobre sur les immigrés, les Roms, les banlieues. Annuler trente ans de lutte contre racisme et xénophobie en s’inventant des ennemis imaginaires, caricaturer la laïcité en la tournant contre certains immigrés. Dans tout cela, un grand absent  : le peuple.

Un fait nouveau change la donne. Le Front de gauche reprend la bataille des idées, pour contester pied à pied la victoire idéologique de la droite. Il promeut une nouvelle façon de faire de la politique. Sa campagne est l’occasion d’un immense partage du savoir, d’un pari sur la culture populaire. Chaque discours explique les causes, défatalise les effets, déverrouille l’horizon. Les mots de la domination sont contrés par ceux de l’émancipation. On combat à nouveau l’exploitation «  Qui produit la richesse en créant la misère  » (Hugo, Melancholia). L’espoir est là, il fait vibrer, aller vers l’autre, ouvrir les livres, explorer la toile, agir de concert, (re)vivre les solidarités militantes. L’émancipation individuelle et collective reprend sens. Le partage du savoir est aussi celui de l’espoir. Autre chose est possible que ce monde absurde et injuste. Telle est l’autre victoire du Front de gauche, et elle est pleine de promesses.

Certes quelques mois de travail collectif enthousiaste, impliquant toutes les générations, redonnant le sourire et l’envie de politique à bien des déçus, ne peuvent suffire à déconstruire des décennies de fatalisme et de conformisme, d’hégémonie idéologique des nouveaux maîtres du monde. Il y faut du temps, mais le mouvement est lancé, bien plus profond, bien plus essentiel que de simples échéances électorales. Dans tout le pays, le Front de gauche suscite des recherches passionnées sur des sujets auparavant abandonnés aux prétendus experts. Comme disait Condorcet, il s’agit de «  rendre la raison populaire  ». Ce pari de la culture permet au peuple de reprendre toute sa place, de se découvrir plus puissant qu’il n’imaginait du fait de la dissuasion distillée sans cesse par les chiens de garde de l’idéologie dominante. «  Trop compliqué pour vous, laissez-nous faire  !  » Non, on ne vous laissera pas faire, on ne lâchera rien  ! La Boétie nommait servitude volontaire la soumission consentie. La résistance commence par la réfutation raisonnée. Et elle se poursuit par les luttes sociales.

Bref, le goût de la politique est revenu. Avec à la clé l’émergence d’une gauche décomplexée, libérée de toute fatalisation, fière d’assumer un projet d’émancipation original. Promouvoir le cercle vertueux d’une nouvelle république laïque, d’une économie sociale, et d’une planification écologique. 11 % des voix, c’est une première victoire. C’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup par rapport au quasi-anéantissement qui précédait  : scores infimes, division, lassitude et tristesse. C’est peu par rapport aux objectifs d’une reconquête ambitieuse. Mais la dynamique est lancée. La bataille des idées ouvre un autre avenir. Déjà un programme jugé utopique, couvert de sarcasmes, s’est découvert des émules. Voyez comment les idées du Front de gauche font école… De nouvelles tranches d’impôt  ? François Hollande, sur le tard, reprend à son compte l’idée défendue par Jean-Luc Mélenchon. L’écart maximal des revenus de 1 à 20  ? Idem. Une sanction contre les exilés fiscaux  ? Idem. Bref, la bataille des idées a enfin commencé, avec des premiers succès. Et elle ne s’arrêtera pas. Même après l’indispensable défaite de M. Sarkozy.


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