Guantanamo : Le déni de démocratie des Etats Unis (11 janvier 2002- 2017)

mercredi 12 janvier 2022.
 

1) Guantánamo 11 ans après : Faits et chiffres (Amnesty International)

Le 11 janvier 2013 marque le 11e anniversaire du jour où les premiers détenus ont été transférés au centre de détention américain de Guantánamo Bay, à Cuba.

Selon les autorités américaines, 779 personnes ont été détenues à Guantánamo, dans la plupart des cas sans inculpation ni jugement.

Sur ces 779 détenus, tous sauf un étaient des étrangers. En 2002, lorsque les autorités ont découvert que l’un des prisonniers avait la nationalité américaine, en plus de la nationalité saoudienne, elles l’ont immédiatement transféré hors de la base navale. Après l’avoir maintenu en détention militaire aux États-Unis pendant plus de deux ans, le gouvernement l’a transféré vers l’Arabie saoudite aux termes d’un accord qui prévoyait notamment qu’il renonce à sa nationalité américaine.

En 2002, 632 prisonniers ont été transférés à Guantánamo ; les années suivantes, les chiffres s’élevaient à : 2003 – 117 ; 2004 – 10 ; 2005 – 0 ; 2006 – 14 ; 2007 – 5 ; 2008 – 1. Le dernier prisonnier transféré à Guantánamo avait été retenu par la CIA dans un lieu tenu secret avant d’être placé en détention sous la responsabilité de l’armée en mars 2008.

En 2011, deux détenus sont morts, tous deux des ressortissants afghans. Un prisonnier a été transféré de Guantánamo courant 2011 (avant décembre).

Début décembre 2011, 171 hommes originaires de plus de 20 pays étaient toujours incarcérés à Guantánamo, dont quatre purgeaient leur peine après avoir été déclarés coupables par une commission militaire.

Selon le gouvernement de Barack Obama, 48 détenus ne peuvent être ni libérés ni jugés, mais doivent être maintenus en détention illimitée.

Parmi les prisonniers toujours détenus à Guantánamo, 90 sont Yéménites, dont un purge une peine de réclusion à perpétuité après avoir été reconnu coupable par une commission militaire. En janvier 2010, le président Barack Obama a instauré un moratoire sur les transferts de détenus vers le Yémen. Depuis cette date, un prisonnier yéménite a été libéré.

Depuis 2002, six détenus ont été déclarés coupables par des commissions militaires, dont quatre ont plaidé coupable dans le cadre d’un accord négocié avec les autorités ; deux d’entre eux ont été rapatriés.

Depuis 2002, huit prisonniers sont morts à la base : six se seraient suicidés et deux sont morts de causes naturelles.

Les États-Unis ont l’intention de requérir la peine capitale contre six prisonniers qui doivent comparaître devant une commission militaire. Ils ont tous les six été victimes de disparitions forcées et placés en détention secrète par la CIA, avant d’être transférés à Guantánamo. Ces six hommes ont subi des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, et ont été détenus au secret et à l’isolement pendant près de quatre années. Deux d’entre eux ont été soumis au « waterboarding » (simulacre de noyade). Les techniques d’interrogatoire et les conditions de détention des prisonniers aux mains de la CIA restent classés hautement confidentiels par les États-Unis.

Un détenu de Guantánamo a comparu aux États-Unis devant un tribunal fédéral. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité en janvier 2011.

Aucun détenu n’a été remis en liberté aux États-Unis.

Depuis 2002, plus de 600 détenus ont été transférés de Guantánamo vers d’autres pays, notamment l’Afghanistan, l’Albanie, l’Algérie, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Australie, Bahreïn, le Bangladesh, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, le Danemark, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Kazakhstan, le Koweït, la Libye, les Maldives, le Maroc, la Mauritanie, l’Ouganda, le Pakistan, le Qatar, le Royaume-Uni, la Russie, la Somalie, le Soudan, la Suède, la Suisse, le Tadjikistan, la Tunisie, la Turquie et le Yémen.

Ce n’est qu’après six ans et demi de détentions à Guantánamo que la Cour suprême des États-Unis a statué que les prisonniers avaient le droit de contester la légalité de leur détention devant un tribunal fédéral américain. Lorsque cet arrêt a été rendu en juin 2008, dans l’affaire Boumediene c. Bush, plus de 500 détenus avaient déjà été transférés de Guantánamo.

Entre juin 2008 et fin novembre 2011, la cour fédérale de district a rendu 47 décisions de justice sur le fond concernant des requêtes en habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté). Dans 22 affaires, concernant 38 personnes (dont 17 Ouïghours), le juge a déclaré la détention illégale. Dans 25 affaires, la cour a déclaré la détention légale dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée à l’échelle mondiale par les États-Unis. En appel, la cour fédérale d’appel de circuit a rendu 16 décisions de justice : elle a statué contre les détenus dans 12 affaires et renvoyé quatre affaires devant la cour fédérale de district.

Au moins 12 des détenus de Guantánamo avaient moins de 18 ans quand ils ont été mis en détention.

Un ressortissant canadien arrêté par l’armée américaine en 2002 alors qu’il avait 15 ans, est toujours détenu à Guantánamo où il a passé plus d’un tiers de sa vie.

Les prisonniers ont été placés en détention dans au moins 10 pays – la Bosnie-Herzégovine, le Pakistan, l’Indonésie, la Thaïlande, l’Azerbaïdjan, la Zambie, les Émirats arabes unis, le Kenya, Djibouti et l’Afghanistan – avant d’être finalement transférés à Guantánamo.

En septembre 2011, 2 100 personnes étaient incarcérées dans le centre de détention américain de Parwan, situé sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan.

2) 10 ans de Guantanamo : « Mépris consternant des droits humains »

Le 11 janvier 2002, les premiers détenus de l’après-11 septembre ont été transférés sur la base navale de Guantanamo (enclave américaine illégale sur le territoire cubain). Des centaines de personnes y ont été détenues dans des conditions inhumaines au cours des dix années écoulées. 171 y sont toujours enfermées. Le PCF juge choquante la persistance d’une telle situation de non-droit.

Détention arbitraire et secrète, actes de torture et mauvais traitements sont infligés depuis 10 ans aux prisonniers de Guantanamo, mais aussi d’Abou Graib en Irak, de Bagram en Afghanistan et d’autres prisons secrètes, véritables zones de non-droit contrôlées et régies par les États-Unis, en complicité avec certains de leurs alliés, y compris européens. Il s’agit d’une négation profonde des droits humains les plus fondamentaux.

Les responsables politiques américains de ces violations des droits humains devraient comparaître devant la justice et répondre de leurs actes, jusqu’ au plus haut niveau puisque l’implication de George W.

Bush et de Dick Cheney, entre autres, est avérée.

Malgré les dires de l’administration Bush, il ne s’est jamais agi de bavures ou d’excès : ces atteintes choquantes aux droits humains sont le fait d’une législation d’exception adoptée et mise en œuvre par le gouvernement des États-Unis. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, certaines de ces dispositions illégales ont été prolongées sine die et sont toujours en vigueur. En effet, aujourd’hui encore, les prisonniers de Guantanamo sont privés de leurs droits : sans inculpation ni jugement, ils sont détenus pour une durée indéterminée, dans des conditions dégradantes. Ils n’ont pas d’autres perspectives que celles d’un procès inique devant une juridiction militaire, et certains d’entre eux encourent la peine de mort.

Le Président des Etats-Unis, Barak Obama, endosse aujourd’hui ce mépris consternant des droits humains. Il s’était engagé à fermer Guantanamo au plus tard un an après son élection. Il avait reconnu le caractère inacceptable de la législation d’exception instaurée par G.Bush mais il s’est refusé à en tirer les conséquences judiciaires qui auraient dû s’imposer. Il continue comme son prédécesseur.

Devant les pratiques honteuses qui perdurent à Guantanamo et ce déni de justice persistant on peut se poser la question : un pays qui met en œuvre de telles pratiques, de façon prolongée et systématique, peut-il être qualifié d’État de droit ?

Parti communiste français

3) Triste anniversaire

Triste anniversaire pour les droits de l’homme et aussi pour la justice américaine. Il y a dix ans exactement que les premiers prisonniers arrivaient sur la base américaine de Guantanamo, à Cuba. C’était le 11 janvier 2002. La presse internationale s’émeut de ce qu’elle juge être une honte pour la démocratie.

Je vous écris depuis l’obscurité du camp de détention américain de Guantanamo, dans l’espoir de faire entendre nos voix de par le monde. Ma main tremble en tenant mon stylo." Le quotidien californien Los Angeles Times publie la lettre adressée à son avocat par Jumah Al-Dossari, un ressortissant du Bahreïn âgé de 33 ans. "Le ministère de la Défense n’a pas classé ce courrier secret-défense", ajoute le journal américain.

"En janvier 2002, j’ai été arrêté au Pakistan, on m’a aveuglé avec un chiffon, on m’a menotté, on m’a drogué et mis dans un avion à destination de Cuba. Quand je suis sorti de l’appareil, je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où je me trouvais. J’ai ensuite été conduit dans le camp X-Ray et enfermé dans une cellule où je ne disposais que de deux seaux. L’un vide et l’autre rempli d’eau. Le premier était pour uriner et le second pour se laver."

"A Guantanamo, des soldats m’ont attaqué, mis à l’isolement, menacé de mort, menacé de tuer ma fille et dit que je resterais à Cuba pour le reste de ma vie. Ils m’ont privé de sommeil, forcé à écouter de la musique extrêmement forte et m’ont éclairé le visage avec des lumières très violentes. Ils m’ont placé dans des chambres froides durant des heures en me privant de nourriture, de boisson et de la possibilité d’aller aux toilettes ou de me laver pour la prière. Ils m’ont enveloppé dans le drapeau israélien en m’affirmant que la croix et l’étoile de David étaient en guerre sainte contre le croissant. Ils m’ont frappé jusqu’à ce que je perde connaissance. Ce que j’écris là n’est pas le produit de mon imagination. Ces faits sont parfaitement vérifiables auprès d’autres captifs, de représentants de la Croix-Rouge, des enquêteurs ou des traducteurs. Durant ces années à Guantanamo, j’ai été interrogé de nombreuses fois et on m’a demandé de reconnaître que j’appartenais à Al-Qaida et que j’étais impliqué dans les attaques contre les Etats-Unis. Je leur ai répondu que je n’avais aucun lien avec tout cela."

La version d’Asif et de Ruhel, qu’invoque Esteban Beltrán Verdes dans El País, confirme en tout cas ces dires. Le président d’Amnesty International Espagne rapporte dans le quotidien espagnol le témoignage de ces deux anciens détenus qui, en juillet dernier, "ont raconté publiquement leur détention. Etiez-vous religieux avant d’arriver à Guantanamo ? Que faisiez-vous réellement en Afghanistan quand on vous a attrapé ? Voilà les questions qui leur ont été posées à longueur de journée. Et pourtant, l’un et l’autre ont finalement été libérés en mars 2004, sans aucune charge retenue contre eux."

"Malheureusement, ils resteront suspects toute leur vie", déplore Beltrán Verdes. "’Il n’y a pas de fumée sans feu’", telle est la voix du bon sens populaire. "Aujourd’hui, avec la politique du côté obscur du gouvernement américain, la présomption d’innocence est menacée d’extinction." D’ailleurs, relève plus loin l’auteur, "en suivant le (mauvais) exemple des Etats-Unis, plusieurs gouvernements ont justifié de graves abus en lançant leur propre croisade pour la ’sécurité’." "D’autant que le scandale ne se limite pas à Guantanamo, qui a fait oublier l’existence des prisons secrètes américaines. En août 2006, il y avait 14 000 prisonniers dans de telles geôles des Etats-Unis à travers le monde", rappelle le quotidien britannique The Independent.

Mais pour Esteban Beltrán Verdes, le site cubain est emblématique. "Guantanamo est non seulement un énorme drame humain, c’est aussi l’atteinte la plus grave aux droits humains depuis leur naissance formelle le 10 décembre 1948. Pourquoi cela ? Fondamentalement, parce qu’il a été conçu et développé dans une démocratie, dans le pays le plus puissant au monde. Des décisions prises au plus haut niveau." Il s’agit clairement d’"un scandale et d’une anomalie de notre époque."

Le quotidien La Libre Belgique rappelle que les détenus ont été "arrêtés pour la plupart en Afghanistan et au Pakistan, qu’ils ont été considérés comme des ’combattants ennemis’ qui méritaient des procédures exceptionnelles. Donald Rumsfeld, le ministre de la Défense de l’époque, les a présentés comme ’des tueurs parmi les mieux entraînés et les plus féroces de la planète’."

Pourtant, relève le quotidien britannique The Independent, "cinq ans plus tard, aucun de ces ’pires des pires’ n’a été jugé. Seuls dix détenus ont été inculpés, tandis que plusieurs centaines ont été renvoyés chez eux et libérés.

Pendant ce temps, trois se sont suicidés, et au moins quarante autres ont essayé. Dans le cas des trois suicides, les avocats estiment que c’est la conséquence du désespoir mais le commandant de la base a affirmé qu’il s’agissait ’d’un acte de guerre asymétrique dirigé contre nous’." En outre, complète The Independent, "il y a lieu de s’inquiéter pour la santé mentale de plus de 400 des prisonniers". C’est-à-dire de presque tous, puisque El País précise que la prison contient encore "quelque 430 personnes de 35 nationalités".

"Certes, la prison de Guantanamo ne ressemble plus aux cages des premiers jours. Elle a été modernisée. Le président Bush a aussi accepté en juillet dernier d’appliquer les conventions de Genève, mais le mal est fait, aux yeux de nombreux juristes", constate La Libre Belgique. Le quotidien bruxellois fait part de la colère d’Amnesty International qui organise ce jeudi des manifestations aux Etats-Unis, en Europe, en Israël et au Japon pour réclamer la fermeture définitive du lieu : "Il s’agit de détentions arbitraires, en violation du droit international relatif aux droits humains."

Et c’est ce même point qui secoue le quotidien britannique The Herald, dont l’éditorial réclame également la fermeture du site en s’offusquant que Tony Blair ait associé le Royaume-Uni à cette honte pour la démocratie. "Il est grand temps que le gouvernement britannique fasse tout ce qui est en son pouvoir pour que ce lieu ferme. Il n’y a qu’à juger ceux à qui on a quelque chose à reprocher. Le Royaume-Uni a été un pays précurseur dans l’application de plusieurs des concepts liés aux droits humains, dont celui du droit de chacun à un procès loyal et de l’égalité de tous devant la loi. Ce sont de telles qualités qui nous distinguent des terroristes et des dictateurs qui nous menacent. Le rééquilibrage de la balance entre liberté et sécurité, même dans le contexte du réel danger que représente le fondamentalisme islamique, ne doit pas embrasser les démons que nous prétendons combattre."

Source : Courrier International


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