Un vote Mélenchon « boostant » la gauche, c’est la chance de la gauche tout entière

mercredi 25 avril 2012.
 

Depuis quelques jours, on assiste à un déluge, à gauche, de vitupérations contre Jean-Luc Mélenchon. Le voilà promu au rang de mascotte du Figaro. Il est désormais la grande menace qui altère les risques d’un succès de la gauche. Ces propos et les raisonnements qui les sous-tendent sont infondés et dangereux.

Si problème il y a, il tient à une seule donnée  : à en croire les sondages, la gauche reste minoritaire au premier tour. La droite est certes triplement pénalisée, par le fait qu’elle est « sortante », parce qu’elle est divisée (l’arithmétique n’est pas la politique  : trois fois 20% au premier tour ne font pas nécessairement 50% au second) et parce que son principal poulain est largement discrédité. Il n’en reste pas moins que la gauche est minoritaire.

À quoi tient sa fragilité  ? À ce que des centaines de milliers de femmes et d’hommes de gauche restent à distance, parce que les trente dernières années les ont éloignés. Si la gauche veut se mettre définitivement à l’abri des mauvaises surprises, elle doit se tourner d’abord de ce côté-là. La logique des vases communicants serait meurtrière si elle s’imposait. Il ne s’agit pas de savoir si le vase de Hollande est un peu mieux rempli que celui de Mélenchon ou vice versa, mais si le récipient général de la gauche se remplit davantage que celui de la droite ou non.

Depuis quelques jours, la gauche dans son ensemble ne progresse que par la dynamique spectaculaire du candidat du Front de gauche. De cela toute la gauche devrait se réjouir  ; elle n’a surtout pas à en pleurer. Si François Hollande ne progresse pas, et en tout cas pas dans la même proportion, la réponse est à chercher dans sa campagne, pas dans celle de Mélenchon. Le problème du Parti socialiste est en fait le même depuis la lettre aux Français de François Mitterrand, en 1988. Il tient à une conviction erronée  : dans un espace politique anémié par la crise de l’engagement civique, la victoire de chaque camp repose sur sa capacité à mordre sur les franges du camp opposé.

C’est l’exact contraire qui est vrai. En 2007, Sarkozy a triomphé en travaillant propositions, symboliques et mots pour capter le noyau de la droite et de ses valeurs. Ce faisant, il a drainé vers lui la totalité de la droite, centre et extrême compris. En 2012, la gauche ne mobilisera pleinement et ne deviendra majoritaire qu’en s’adressant au cœur de son électorat potentiel. Et ce « cœur » concerne au premier chef les composantes populaires depuis trop longtemps désarçonnées. Or on ne regagnera pas les électeurs perdus sans leur redonner la perspective d’un projet qui leur assure, à nouveau, la reconnaissance, la dignité et les moyens matériels de développer leurs capacités. C’est donc en s’orientant franchement sur sa gauche que la gauche se placera en position de reconquête. L’avantage du Front de gauche et de son candidat est dans ce qu’ils sont, sur ce point, d’une clarté absolue  : il faut rassembler la gauche, toute la gauche, mais autour d’un projet réaliste et démocratique de rupture avec les choix dominants de trois décennies. Si François Hollande veut être opérationnel sur ce terrain, qu’il s’y emploie, mais en proposant, pas en dénigrant  : ce sera autant de gagné pour la gauche tout entière.

En affirmant cette perspective, on crée en outre les meilleures conditions pour la suite. À quoi bon se le cacher  ? La tâche de la gauche au pouvoir sera rude, dans une situation de crise persistante et d’incertitude européenne prévisible. Dans ce cadre, il faudra tout à la fois beaucoup de mobilisation sociale « en bas » et beaucoup de détermination politique « en haut ». Mais pour que cette détermination s’affirme, il ne serait pas bon que la gauche soit trop déséquilibrée. À ce jour, le candidat principal de la droite est aiguillonné aussi bien sur sa droite (par Le Pen) que sur sa gauche (par Bayrou). Depuis quelques années, le PS ne trouve pas de force de rappel suffisante sur sa gauche. Pourtant, ce que l’on peut considérer en France comme légitime, c’est une gauche de gauche à au moins 15%  : ce fut le cas pendant presque tout le XXe siècle, et la gauche s’en est bien portée. Ce n’était plus le cas  ; le vote Front de gauche offre la possibilité d’y revenir. C’est une aubaine. Enfin, on peut à nouveau, massivement, voter pour ses idées et pas pour un moindre mal.

Une majorité à gauche dès le premier tour et, dans ce cadre, une gauche bien à gauche « boostée » par le vote Mélenchon. Certains voient là un scénario catastrophe  ; j’y vois la chance de la gauche tout entière.

Roger Martelli


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