La campagne présidentielle du Front de Gauche va son chemin. Au galop

lundi 21 novembre 2011.
 

Mes journées ne désemplissent pas. Les équipes au travail « central » sont attelées soir et matin. J’y trouve la dose habituelle de réconfort militant et de problèmes. Côté réconfort le dévouement sans bornes de tous, chacun à son poste. Au siège de campagne l’ambiance est cependant glaciale. Le chauffage est en panne ! Que faire ? Des camarades travaillent avec une couverture sur le dos, tout le monde est en gros pull et écharpe. Le système électrique saute à intervalle régulier. Impossible de brancher les radiateurs. Ça passera. On serre les dents. J’ai attrapé un coup de froid. Je ne suis pas le seul. Les tours de garde nocturnes sont assurés. Les activités ont lieu. Les rendez-vous se tiennent. François Delapierre pilote ce qui peut l’être comme directeur de campagne et tâche d’aider le foisonnement des efforts à rester cohérent. De tous côtés me viennent des récits de moments de fraternité, des fou-rires et des prises de tête. La campagne est une aventure humaine. La vie des femmes et des hommes qui militent campe sur un rivage agité. De là on peut voir monter les eaux de la passion des français pour la politique.

Un aspect nouveau dans la campagne vient, pour moi, du terrain des luttes. Comme on le sait, dans le comité de campagne, Marie-George Buffet anime le secteur du Front des Luttes. La structure est très active. J’en reçois des rapports quasi quotidiens par Laurence Sauvage qui s’y dépense sans compter. Les déplacements n’ont pas manqué pour moi : Fralib, Fonderies du Poitou, Arcelor-Mittal, et ainsi de suite. Le secteur a bien d’autres interventions et je ne participe qu’à une petite partie d’entre elles, cela va de soi. Ce qui est nouveau dans cette situation, c’est que ce sont les structures syndicales de base, parfois en configuration intersyndicale, qui font les invitations à venir sur place. J’ai noté que très souvent l’invitation est également adressée aux autres candidats. Je comprends que l’intention est d’attirer l’attention sur la lutte et ses enjeux. Les médias jouent le jeu souvent, puisqu’ils suivent les campagnes et les déplacements des candidats. Mais je crois qu’il faut voir davantage. Les organisations syndicales de base ne mélangent pas la politique et l’action syndicale. L’action reste pilotée par les syndicats, sur leurs propres bases et mots d’ordre. Elles ne les confondent pas non plus. Il ne sort de ces sortes de rencontres de soutien aux luttes aucune allégeance politique à l’un plutôt qu’à l’autre. Pourquoi alors ce changement de relation s’observe-t-il ? Les organisations syndicales de base vivent au rythme des esprits qui les entourent. Dans la tête du plus grand nombre, l’élection qui arrive est une occasion de dénouer les problèmes auxquels tous se heurtent. C’est légitime. Une délocalisation vient toujours d’un effet du système dans son ensemble et pas d’une conjoncture locale. Il est normal alors d’interpeler ceux qui prétendent diriger le pays. Cela permet de comprendre quelle déflagration guette notre pays si cette élection tourne à la comédie sans contenu ni perspectives de solutions concrètes.

Dans ces sortes d’action, nous trouvons aussi notre compte politique. Non pas, comme peuvent le croire des esprits trop simplistes, parce que nous ferions de « la pêche aux voix », ou bien parce que nous voudrions nous « attribuer le mérite de la lutte ». D’autant que le Front de Gauche, depuis son origine, n’a cessé de dire qu’il ne se mêlait jamais de donner des conseils et encore moins des directives à propos d’action de luttes sociales. C’est son originalité dans la mouvance de l’autre gauche. Cela nous fut parfois reproché, si je me souviens bien des discussions dans la lutte pour défendre les retraites où nous ne voulions pas nous prononcer sur le mot d’ordre de grève générale. Dans une lutte, le Front de Gauche cherche toujours où est l’intérêt général car c’est en son nom que le Front de Gauche veut s’exprimer. Il énonce alors les solutions politiques générales qui correspondent au problème particulier posé par la lutte et les revendications. En ce sens, le cas particulier vient illustrer politiquement une cause commune qui va plus loin que le combat du moment et de ceux-là même qui le portent. Le Front de Gauche reste dans son registre, lui aussi. Il ne mélange pas les genres non plus. De tout cela peut ressortir du bon pour chacun.

Ainsi quand je suis allé au siège de Randstat, l’agence d’intérim à Saint-Denis. C’est le syndicat CGT de l’entreprise qui m’avait invité à venir pour soutenir la lutte qui commençait. Il insistait pour que je passe dès le premier jour, comptant que l’intérêt médiatique aiderait à conforter le démarrage du combat somme toute assez risqué. Le thème de l’intérim et du précariat est central dans notre programme « L’Humain d’abord », tous ceux qui écoutent mes discours le savent. Participer à ma manière à la lutte permettait de souligner l’actualité de ce que proclament mes discours. Sur place on nous raconta comment un jeune intérimaire de dix-neuf ans, mis trop vite sur une machine qu’il ne maîtrisait pas, se fit happer le bras. On nous décrivit le sort d’un camionneur journalier de 73 ans, ou celui d’un ingénieur payé à la mission comme un tâcheron. Chacun montrait à son tour comment d’innombrables violations du droit du travail se pratiquent seulement du fait de la logique du toujours plus vite avec toujours moins de monde. Je le précise parce que mon intention à cet instant n’est pas de flétrir une entreprise en particulier mais de dénoncer le fonctionnement d’un système. En tous cas cet exposé devant deux personnes en grève de la faim fait plus d’effet qu’une dizaine de discours pour le groupe de médias qui avaient choisi de m’accompagner. Et aux yeux de tous, le précariat commence à prendre un visage politique précis. Il s’agit de deux millions de personnes clouées dans cette condition sociale qui concerne aussi bien le haut des qualifications professionnelles que le bas. Ce déplacement fut particulièrement intense sur le plan humain. Parmi ceux qui luttaient je reconnus des visages que j’avais croisés ailleurs dans les manifestations et avec qui j’avais bavardé. Je retrouvais aussi un camarade qui se présenta à moi comme membre du Parti de Gauche. Une grande chaleur humaine s’exprimait dans les gestes et les remerciements qui m’étaient faits pour être venu si vite. On m’annonça qu’Olivier Besancenot aussi viendrait sur place. Je sortais du hall de l’entreprise quand on vint me dire que la table ronde demandée au ministère était accordée. L’émotion était à son comble. La campagne peut entrer utilement en résonance non seulement avec les thèmes des luttes sociales mais avec leur tactique elle-même.

Je ne laisserai pas mon récit dans une version univoque euphorique. S’il y a beaucoup de succès d’estime et de beaux moments en grands nombres, nous traînons aussi nos problèmes. Des problèmes ? L’insuffisante circulation de l’information. Elle est pour l’heure déléguée à chaque parti pour ses adhérents et réseaux. Je crois qu’il faudrait mettre sur pied un système d’envoi automatique direct de la lettre de liaison que met au point Marie-Pierre Vieu. Ce n’est pas seulement que je ne voudrais pas me voir reprocher une rétention de l’information qui n’est vraiment pas de mon fait. C’est surtout que je ne voudrais pas être privé de tous ceux qui veulent aider concrètement. Car comme dans toute campagne, celle-ci comporte la dose habituelle de donneurs de conseils qui ne font rien et d’actifs qui n’aiment pas se faire mousser. L’autre difficulté est de faire vivre une action vraiment collective. Car entre les déclarations sur le sujet et la réalité, il y a un monde. Je pense que la difficulté, une fois de plus, est très technique. Il s’interpose entre mon action et mon besoin terrible d’aide et de partage des tâches un formalisme qui tient aux mécanismes parfois lourds des structures de parti, à la difficulté naturelle d’information en leur sein et, parfois, aux diversités et aux enjeux de pouvoir qui s’y expriment. Je n’ai pas l’intention de m’en mêler ni d’y participer. D’ailleurs je n’ai pas le temps. Je suis dans l’action en permanence. Pour finir, cela me renforce dans l’idée que seul fonctionne très bien ce qui est fait à partir d’initiatives autonomes. C’est-à-dire ce qui vient de l’invention du terrain et des groupes de personnes qui s’assemblent pour agir d’après leur propre plan de travail. Je répète donc la consigne : « n’attendez pas les consignes ! ». Mon modèle de campagne reste celui de 2005. Chacun agit d’après ce qu’il sait utile.

Au demeurant je ne voudrais pas laisser penser que je me plains de l’action des partis du Front de Gauche, car j’en connais la contribution décisive à la mobilisation qui s’engage. Par exemple j’ai découvert avec intérêt le tract de quatre pages édité au niveau national par le Parti Communiste pour populariser le programme « L’Humain d’abord ». Certes, si on m’avait demandé mon avis j’aurais sûrement choisi une photo de moi moins… mouvementée. Mais après tout, le poing fermé et le programme à la main, pourquoi pas ? L’extrait de mon discours qui a été fait est intéressant et la version du résumé du programme est efficace. Certes je préfère la version de ce document qui a été établie collectivement. Mais comment ne pas mesurer le chemin parcouru dans l’intégration du Front de Gauche quand un tract de cette sorte est édité avec un éditorial de Pierre Laurent mais sous le seul timbre du Front de Gauche sans aucune référence partidaire. Ce signe, les contenus des discours, tout montre une intégration idéologique et pratique croissante, d’autant plus forte qu’elle est choisie. Chacun emprunte aux autres et en fait son miel. Sur le terrain il en va de même. Mercredi soir, à Poitiers, avant la séance des assises internationales du journalisme à laquelle je participais, on fit entre militants une pause photo pour les législatives avec les candidats. Un moment amusé et joyeux où nul ne se souciait d’étiquettes. Cette scène se produit partout où je passe dans une ambiance d’amitié et de complicité qui sont un formidable moteur d’enthousiasme humain !

Cependant je ne crois pas du tout utile que les partis effacent leur identité. Du moins tant qu’il s’agit d’agir et de convaincre autour de soi. La personnalisation dans l’élection présidentielle est très forte. Dans la législative aussi, il faut bien le noter. La présence et l’expression des partis rééquilibre l’expression. Mais surtout elle donne à voir un processus collectif et civique. En le voyant, on comprend qu’il s’agit d’une campagne politique, qui met en mouvement une diversité de motivations et d’approches des problèmes. Ce que je dis là s’applique évidemment avec la même force aux collectifs, groupements et réseaux et personnalités qui sont déjà présents dans notre campagne. Bref, leur pluralité est un atout et non une difficulté ou un problème. Si chacun explique, de son propre point de vue, ce qu’il fait là, nous sommes tous plus forts. Mais comment empêcher alors, du seul fait de leur force militante, que les organisations politiques n’écrasent la diversité des participations ou ne donne l’impression de vouloir s’approprier le Front de Gauche. Cette question tous les militants se la posent car tous veulent bien faire, je le sais. Tous veulent élargir l’action tout en restant eux-mêmes, comme je le leur demande instamment. Elle concerne en premier lieux les plus importants partis en nombre de militants et présence de terrain, dans notre coalition, que sont le Parti Communiste et le Parti de Gauche. Je ne sais pas répondre à leur place et ce n’est pas mon rôle de le faire. Mais ils doivent traiter ce problème. Et de plus ils doivent répondre au problème que posent ceux qui veulent militer et être associés à la campagne sans être membre d’aucune de nos formations parce que tel est leur choix. Ceux-là ne doivent pas être mis en tutelle non plus dans l’action et le débat. Mon conseil, je l’ai donné au secrétariat du Parti de Gauche qui m’avait associé à sa séance d’organisation de la campagne...


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