Hugo (par Duguet)

lundi 8 juin 2020.
 

Autre source très intéressante :

http://librepensee12.free.fr/hugoin...

Cent cinquantième anniversaire de la parution des « Misérables », Victor Hugo s’invite dans la campagne présidentielle, par Robert Duguet

Le Monde publie un hors-série de février-avril 2012 sous l’intitulé « Victor Hugo l’élu du peuple, 150 ans après les Misérables, l’hommage des politiques ». Plusieurs candidats ont répondu personnellement (Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Nathalie Athaud) d’autres se sont fait représenter (Jean François Copé pour Sarkozy, Aurélie Filipetti chargée de la culture dans l’équipe de Hollande). Ces quelques pages ne manquent pas de saveur politique. Trois questions sont posées aux candidats : « que représente Victor Hugo pour vous ? Les thèmes évoqués dans son œuvre ont-ils une résonance pour vous en 2012 ? Quelle est selon vous la place des Misérables dans l’histoire et la culture française ? »

Sous le titre « Hugo est la France entière », Copé ne répond pas aux questions posées et se contente de quelques généralités sans grand intérêt sous l’angle : « En cette année électorale, voilà au moins un sujet qui ne fait pas débat… » On ne résistera pas au plaisir de lui opposer, ce poème extrait de « Napoléon le petit » qui nous fait penser si fort au candidat dont il défend les couleurs :

« Que peut-il ? Tout.

Qu’a-t-il fait ? Rien.

Avec cette pleine puissance,

En huit mois un homme de génie

Eût changé la face de la France,

De l’Europe peut être.

Seulement voilà, il a pris la France

Et ne sait rien en faire.

Dieu sait pourtant que le Président se démène :

Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ;

Ne pouvant créer il décrète ; il cherche

A donner le change sur sa nullité ; c’est

le mouvement perpétuel ; mais hélas !

cette roue tourne à vide.

L’homme qui, après sa prise du pouvoir

A épousé une princesse étrangère

Est un carriériste avantageux.

Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots,

Ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir.

Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort.

Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse.

Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit

Et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme,

Il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise.

On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds,

Lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue !

Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde,

D’un homme médiocre échappé. »

Déjà la description de Napoléon le Petit ne manquait pas de saveur : si on l’applique à Sarkozy, Copé peut rengainer son discours lénifiant.

Quant à madame Filipetti, membre de l’équipe de campagne de François Hollande, qui avant d’être députée de Moselle, a une formation de normalienne et d’agrégée de lettres classiques, elle commence son propos par un hors-sujet concernant la mort de sa fille Léopoldine. Quant à la conception du monde qui est portée par « Les Misérables », elle se contentera de quelques platitudes que l’on peut lire dans tous les manuels de littérature du XIXème siècle.

S’adressant à un public d’intellectuels et de lettrés, Marine Le Pen quitte le terrain glissant des défenseurs de Robert Brasillach et autres intellectuels de la collaboration avec Vichy. Elle écrit :

« Est-il nécessaire de revenir sur les nombreuses causes qui animèrent Victor Hugo ? Interdiction du travail des enfants, devoir d’assistance aux miséreux, instruction publique et laïque, discours en faveur de la paix, du suffrage universel, du droit des femmes, des droits d’auteurs et de la garantie d’accès à la culture, pour la défense de la République, mais aussi contre la peine de mort et pour les Etats-Unis d’Europe. Faut-il pour apprécier à sa juste valeur l’auteur – et même l’homme – adhérer à chacune de ces causes ? Etre d’accord sur tout et tout le temps avec lui ? J’ose dire que non… »

Effectivement Madame Le Pen est pour le rétablissement de la peine de mort, pour une sécurité sociale réservée aux français de nationalité, contre le droit de mourir dans la dignité, pour un repli nationaliste et populiste d’extrême droite, pour les crédits publics exorbitant versés à l’enseignement privé catholique… J’en passe et des meilleurs.

Mais le plus intéressant de ces interviews sont les prises de position des nôtres, c’est-à-dire des candidats qui sont radicalement à gauche, à savoir Jean Luc Mélenchon pour le Front de Gauche et Nathalie Arthaud, Philippe Poutou pour l’extrême gauche.

Lorsque meurt Victor Hugo en 1885, le seul courant qui ne se joindra pas aux funérailles nationales fut le courant guediste. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx commettra un opuscule à l’encontre du grand homme très injuste : « la Légende de Victor Hugo ». La méthode utilisée pour attaquer Hugo est toujours la même, il cite cet extrait de Hugo :

« (je suis prêt à dévouer ma vie) pour empêcher l’établissement de la république qui abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne Vendôme, jettera à bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’Institut, l’école polytechnique et la Légion d’Honneur ; ajoutera à l’illustre devise : liberté, égalité, fraternité, l’option sinistre : « ou la mort », fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit qui est la forteresse de tous et le travail qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur les piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendres, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu. »

Et Paul Lafargue, avec le sens de la nuance subtile qui le caractérise, éructe en commentant ce texte de la manière suivante :

« Cette république est la République sociale.

Victor Hugo a loyalement tenu parole. Il était de ceux qui fermaient les ateliers nationaux, qui jetait les ouvriers dans la rue, pour noyer dans le sang les idées sociales, qui mitraillaient et déportaient les insurgés de Juin, qui votait les poursuites contre les députés soupçonnés de socialisme, qui soutenaient le prince Napoléon, qui voulaient un pouvoir fort pour contenir les masses, terroriser les socialistes, rassurer les bourgeois et protéger la famille, la religion, la propriété menacée par les communistes, ces barbares de la civilisation. »

Pour condamner Hugo, dont la pensée politique n’a cessé d’évoluer, au fur et à mesure qu’il vivait tous les grands drames de ce 19ème siècle, Lafargue utilise en 1885 un texte qui est daté de 1837. Entre temps le grand homme aura été de tous combats pour l’émancipation de la personne humaine. Citons le magnifique engagement pour défendre l’instruction publique et la charge contre la loi bonapartiste du Vicomte de Falloux en 1951, livrant l’école primaire laïque à l’Eglise et à la surveillance des Conseils paroissiaux ; en ces temps de campagne électorale rappelons-nous que monsieur Bayrou, alors ministre de l’Education Nationale, apportera en 1993 tout son soutien à un projet aggravant la loi Falloux, inspiré des UNAPEL (Conseils de Parents d’élèves de l’enseignement catholique) pour faciliter plus conséquemment une aide à la construction d’écoles confessionnelles. Il s’agissait du projet Bourg-Broc, qui mit un millions de laïques dans la rue. Citons les positions de Hugo sur la politique internationale, sympathies actives pour Garibaldi et les combattants de l’unité italienne, engagement aux côtés des républicains mexicains contre l’intervention de Napoléon III. Citons ses multiples positions pour l’égalité hommes-femmes. Son combat naturellement pour l’abolition de la peine de mort. Ses prises de positions contre l’antisémitisme en Russie. Je cite en vrac, mais on pourrait égrener bien d’autres prises de position.

Si on lit la contribution de Nathalie Arthaud, au nom de Lutte Ouvrière, la méthode est globalement la même que celle du guesdiste Lafargue : on nous renvoie l’image d’un homme qui agit pour défendre une carrière politique confortable et qui finalement restera un bourgeois. La position de Philippe Poutou ne vaut guère mieux, lorsqu’il écrit :

« Cependant, les hommes sont bien souvent plus petits que leurs idées, et cette règle vaut aussi pour les géants. Je crois savoir que Hugo fut un bourgeois intriguant, dur en affaires, orgueilleux, mesquin. Il n’a pas eu de mots assez durs pour l’insurrection ouvrière de juin 1848, à laquelle il participa du mauvais côté, et tout autant pour la Commune de 1871, même s’il a déploré les terribles vengeances des vainqueurs… » Et tout à l’avenant. Entre juin 1848 et 1871, il y a eu une évolution politique considérable. Excusez du peu, Victor Hugo a été quasiment le seul grand intellectuel français, aux lendemains de l’écrasement de la Commune, qu’il n’avait pas soutenu, à engager un combat indéfectible pour l’amnistie pleine et entière des communards. Jusqu’à voir sa maison de Belgique assaillie par des manifestants parce qu’il avait osé dire :

« …qu’un vaincu de Paris, qu’un homme de la réunion dite Commune, que Paris a fort peu élu, et que pour ma part, je n’ai jamais approuvée, qu’un de ces hommes, fut-il mon ennemi personnel, surtout s’il est mon ennemi personnel, frappe à ma porte, j’ouvre. Il est dans ma maison, il est inviolable. » La Belgique demandera à Victor Hugo de quitter le territoire du royaume.

Si l’on prétend parler à partir des positions du mouvement ouvrier, Il faut prendre dans Hugo ce qui tire la civilisation vers la lumière. On sent dans la littérature guesdiste de l’époque, tout comme dans l’article d’Arthaud ou de Poutou le point de vue suivant : cet homme appartient à la classe d’en face, donc on rejette ses positions. Sur les vingt dernières années de sa vie Hugo devient un républicain radicalisé. C’est pas mal pour l’époque et compte tenu du point de départ, non ! Lisez ses discours et ses textes politiques, une idée le hante. Le peuple peut avoir recours à l’insurrection contre un Bonaparte, contre un roi ou un tyran, mais prendre les armes contre la république fondée sur le suffrage est une hérésie politique. Ceux qu’il nomme « les sauvages de la civilisation », les ouvriers modernes peuvent-ils prendre le pouvoir et l’exercer par voie de fait. C’est un point de vue qui va à l’encontre de tout ce qu’il fut. C’est ainsi mais cela n’entache pas ce qu’il apporte au mouvement ouvrier dans sa lutte pour les libertés démocratiques.

On respire beaucoup mieux dans la contribution de Jean Luc Mélenchon, intitulée « un roman dont le peuple est le héros ». Le candidat du Front de Gauche écrit :

« Chez Victor Hugo, l’écriture est inséparable de l’engagement. L’écrivain affirme sans complexe ses convictions révolutionnaires et socialistes. Les bien-pensants qualifieraient sa manière de « populiste ». « Les Misérables », immense cri contre la misère et l’ignorance, sont un roman dont le peuple est le héros d’un bout à l’autre. Ils ne peuvent donc laisser indifférents, ceux qui aujourd’hui, appellent à faire place au peuple… »

Que la portée de l’œuvre « Les Misérables » soit révolutionnaire par la description sans concession qu’il fait de la société bourgeoise de son temps, c’est incontestable, en faire un socialiste au sens générique du terme, c’est autre chose. Lisons par exemple le discours fait aux funérailles de Balzac par Hugo lui-même, il dit ceci qui lui valut d’ailleurs des attaques virulentes dans la presse :

« A son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette œuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l’homme, l’âme, le cœur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. Et par un don de sa libre et vigoureuse nature, par un privilège des intelligences de notre temps qui, ayant vu de près les révolutions, aperçoivent mieux la fin de l’humanité et comprennent mieux la Providence, Balzac se dégage souriant et serein de ces redoutables études qui produisaient la mélancolie chez Molière et la misanthropie chez Rousseau… »

L’œuvre a une portée révolutionnaire mais Balzac était un réactionnaire, c’est ainsi. Cet extrait de l’oraison funèbre de Balzac s’applique à Hugo ; « Les Misérables » sont une œuvre révolutionnaire et comme dans toute grande œuvre, celle-ci dépasse de très loin la situation personnelle de son auteur. A la différence de Balzac, Hugo s’élève très au-dessus des conceptions et des préjugés de sa classe sociale. Je crois avoir brièvement démontré que Hugo n’a jamais été socialiste, mais en revanche on ne peut que saluer et s’approprier les combats remarquables qu’il a mené en son siècle. Sur la bataille laïque par exemple, quelle leçon il pourrait donner aux Savary, Allègre, Jack Lang ou aux tenants d’une certaine extrême gauche française… et pourtant il n’est pas socialiste.


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