Trop riche (gros) pour tomber ! NON ! Trop nombreux pour payer ? OUI

dimanche 2 février 2020.
 

Il me souvient qu’en 1988, un an seulement avant la chute du Mur de Berlin, Georges Marchais paradait dans les médias, y répétant en boucle sa formule, prononcée pour la première fois en 1979, « le bilan des pays communistes est globalement positif ». C’est-à-dire qu’au moment où tous les signes de l’effondrement du bloc soviétique étaient manifestes, lui se murait dans ses certitudes.

Nous en sommes-là, aujourd’hui, avec le système capitaliste, mais ses thuriféraires n’en veulent rien voir. Parmi ceux-là, notre émouvant Guy Sorman. Tant d’aveuglement confine à l’héroïsme, s’il est involontaire.

La crise que vit le capitalisme est irrésistible. Que les keynésiens, les ultralibéraux ou les sociaux-démocrates se penchent à son chevet, rien n’empêchera la décomposition du capitalisme à l’échelle mondiale.

Il lui arrive ce que Karl Marx, pourtant son plus remarquable analyste, ne pouvait prévoir : sa mondialisation accélérée par les moyens surpuissants de l’informatisation, le rend totalement incontrôlable.

L’effondrement du capitalisme est inéluctable, mais son agonie risque d’être longue, pour le malheur des peuples.

Les banques, les spéculateurs ont pris le contrôle du monde. Au point qu’en dépit de leurs innombrables turpitudes, rien ne peut être fait contre eux, du moins quand on est libéral et que, délibérément, on a abdiqué toute volonté politique de les combattre.

Pour traduire cet état d’esprit démissionnaire, les anglo-saxons ont forgé une formule lapidaire : too big to fail, trop gros pour tomber. Sous-entendu, les banques en faillite sont tellement grosses, que, si les Etats ne les secouraient pas, elles pourraient entraîner la chute du système capitaliste.

Il n’est pas venu à l’esprit de nos chers politiciens et économistes libéraux, stipendiés ou pas par les officines libérales, que cette formule pouvait être retournée comme un gant, et permettre de faire l’inverse de ce qu’ils font.

Que pensez-vous de ces formules : too big to paid, trop grand pour payer ? Ou bien encore : too many to paid, trop nombreux pour payer ? Ou mieux encore : too strong to paid, trop fort pour payer ? Les peuples islandais (320 000 habitants, 103 000 km²) et argentin (41 millions d’habitants, 2 766 000 km²) ont parfaitement intégré ces formules. Après avoir subi le joug, pendant des années, des créanciers étrangers, des exigences toujours plus scandaleuses du FMI, ils ont décidé un beau jour de dire merde à tous ces malhonnêtes et de s’asseoir sur leurs dettes, fruits d’attaques spéculatives.

Aujourd’hui, ces pays sont en plein renouveau économique, après s’être pourtant mis en faillite.

Je ne sache pas qu’il y ait eu la moindre expédition militaire de la part de la Grande Bretagne, le principal créancier de l’Islande, contre ce minuscule peuple. Ni contre l’Argentine.

Moins radicalement, le peuple brésilien a décidé, lui aussi, de prendre le taureau par les cornes. Les investisseurs étrangers qui s’établissent au Brésil doivent y réinvestir 99 % des profits qu’ils réalisent dans ce pays, par exemple. Et ça marche !

Ces trois pays sont parfaitement démocratiques.

Je préconise que la France, au moins, s’inspire de l’exemple de ces pays.

Il est clair que la fameuse dette de 1 700 milliards d’euros, dont on nous rebat les oreilles, est pour une bonne part illégitime. C’est-à-dire qu’elle est une dette uniquement destinée à engraisser les spéculateurs.

Au lieu de quoi, notre cher Guy Sorman et ses amis libéraux en sont toujours à mouliner sempiternellement leurs mantras.

Leur obsession c’est la dépense publique. Par paresse d’esprit, à moins que ce ne soit par volonté délibérée de dépouiller le peuple des bienfaits de l’Etat, ils ne veulent pas aborder le thème des recettes publiques. Ils ont une vision hémiplégique de l’économie.

Les dirigeants politiques successifs de l’Etat (l’Etat est à la fois une entité administrative impersonnelle reposant sur les fonctionnaires, et une entité politique entièrement dépendante des orientations des élus politiques placés à sa tête – si bien que depuis une bonne vingtaine d’années les chefs de l’Etat français ont pour objectif de le démanteler, pour pouvoir justifier ensuite les privatisations) ont volontairement appauvri l’Etat à coup d’exonérations fiscales, subventions, niches fiscales toujours accordées aux segments les plus fortunés de notre pays. Ils l’ont aussi appauvri en privatisant, entre autres, les banques et en bradant les autoroutes au secteur privé. Les énormes profits réalisés par tous ces secteurs nouvellement privatisés échappent à l’Etat. Or, l’Etat c’est nous, le peuple !

Donc, avant de songer à réduire les dépenses publiques, il est incontournable de rétablir la justice fiscale, d’autant plus que, contrairement à ce que les propagandistes de l’acabit de Guy Sorman affirment, notre pays n’a jamais été aussi riche. En soixante ans, la production de richesses a été multipliée par cinq par tête d’habitant ou par sept en valeur absolue.

Seuls, le creusement des inégalités dans la répartition des richesses et l’appauvrissement volontaire de l’Etat donnent l’impression que les caisses sont vides.

Par exemple, la fiscalité frappant les revenus du travail est de 42 %, celle frappant les revenus du capital est de 18 %. L’alignement sur les revenus du travail apporterait une centaine de milliards à l’Etat. Enfin, pourquoi les subventions accordées aux entreprises le sont sans contrôle ni contrepartie ? Alors que des entrepreneurs indélicats, parfois étrangers, après avoir empoché l’argent, s’empressent, trois ou quatre ans après, de délocaliser leur entreprise, sans être contraints de rembourser.

Ce qui creuse les déficits, ce ne sont pas la multiplication des promesses électorales et la création d’emplois publics, comme le dit Guy Sorman, mais ce sont toutes ces injustices sociales et fiscales, sans compter les fraudes et l’évasion fiscales, de très loin supérieures aux fraudes sociales.

A toutes fins utiles, comme je n’ai pas qu’une vision hémiplégique de l’économie, je me permets de dire qu’un emploi public ce n’est pas qu’un coût, mais ça rapporte par le travail fait et par la consommation de l’employé et de sa famille, et des impôts qu’il paye. C’est dans tous les cas beaucoup moins cher que de devoir payer des indemnités de chômage à ce même employé, si son emploi public n’avait pas été créé.

Il se trouve qu’avant mes trente années de journalisme, j’ai été pendant dix ans comptable dans le secteur privé et j’ai appris à avoir une vision globale et en miroir de l’ensemble des postes de recettes et de dépenses.

Manifestement, les libéraux n’ont pas cette vision interactive. Oh, ça ne fait pas de moi un économiste, mais au moins un gestionnaire.

L’hémiplégie économique de Guy Sorman, et des libéraux, se double d’une contradiction terrible. Lui le libéral intransigeant, voilà qu’il se dit favorable à une « interdiction constitutionnelle qui devrait être générale dans l’Union européenne » en matière de maîtrise de la dépense publique. J’ai encore dans les oreilles ses vigoureuses protestations contre la manière autoritaire, selon lui, avec laquelle les 35 heures ont été imposées dans toutes les entreprises françaises par le gouvernement de la gauche plurielle. Tout cela au nom des particularités de chaque entreprise. Au passage, laissez-moi dire que les libéraux ont fustigé cette loi en en travestissant volontairement le contenu.

Il se trouve que dans mon activité de syndicaliste-juriste, j’analyse les deux lois Aubry quasi quotidiennement. Je mets les libéraux au défi d’y trouver le moindre accent autoritaire. Cela dit, je trouve ces deux lois critiquables, mais pour de toutes autres raisons que les leurs.

Entre autres, je n’oublie pas que les employeurs n’ont pas eu à souffrir de la mise en œuvre des 35 heures, puisqu’ils bénéficient toujours d’exonérations sociales spécifiques, qu’ils en ont aussi profité pour développer la flexibilité et même bloquer la progression des salaires dans bien des entreprises pendant deux ou trois ans. Si ces mesures de compensations ont pu, à la limite, être admissibles pendant les trois, quatre premières années, leur maintien, aujourd’hui, est parfaitement scandaleux. En revanche, je suis toujours pour le maintien des 35 heures.

Mais j’en reviens à l’Europe. Comme si les Etats européens n’avaient pas de particularités. Notez que cela ne fera que la seconde fois que leur libéralisme s’arrête là où commence l’intérêt suprême des capitalistes. La création d’un euro identique dans tous les pays de la zone euro, sans tenir compte de leur état de développement économique respectif, a rencontré leur adhésion. Aujourd’hui, cette manière militaire d’imposer un euro à parité unique à toute la zone euro produit des dégâts considérables, le mettant en péril.

Au point que même Nicolas Sarkozy en vient, maintenant, à faire pression, sans succès, sur Angela Merkel, pour que la BCE prête directement aux Etats membres de la zone euro, au même taux que celui qu’elle consent aux banques privées. Ce que le traité de Lisbonne interdit formellement.

Aujourd’hui, traité de Lisbonne oblige, les banques privées prêtent l’argent aux Etats en souffrance à des taux prohibitifs.

Je prends l’évolution de Nicolas Sarkozy pour un hommage à la lucidité de Jean-Luc Mélenchon qui, depuis 2008, fait de cette possibilité d’action de la BCE un moyen d’enrayer la spéculation.

Jean-Luc Mélenchon tient un autre raisonnement particulièrement pertinent. Il dit que l’énormité de la dette publique est fabriquée de toute pièce par les gouvernements libéraux de droite comme de gauche, à travers l’Europe.

En France, la dette publique s’élève à 1700 milliards d’euros. Les libéraux rapportent cette dette à une seule année de production de richesses, environ 2000 milliards. Or, cette dette va être remboursée sur 7 ans et 31 jours. Mélenchon considère donc, à juste titre, que pour apprécier le poids de notre dette, il faut la diviser par un peu plus de 7 (7,08). Dans ces conditions, le poids de notre dette n’est plus de 85 % du PIB d’une année, mais de 12 %.

Jean-Luc Mélenchon poursuit son raisonnement par un exemple judicieux. Il compare l’approche qu’ont les libéraux de la dette publique de celle que les gens censés ont de la dette des ménages. Quand un couple de Français moyens achète une maison, il s’endette lourdement pour quinze à trente ans. Si l’on rapportait la dette totale que ce couple va rembourser en 15, 20 ou 30 ans, à une seule année de revenus de ce couple, son taux d’endettement serait astronomique.

Heureusement, les prêteurs divisent cette dette par 15, 20 ou 30 pour mesurer le taux d’endettement annuel de notre famille. S’il n’en était pas ainsi, l’économie serait complètement bloquée. Le raisonnement vaut pour l’endettement des entreprises. Il doit valoir aussi pour l’endettement de l’Etat.

Rappelons que pour les particuliers, le taux d’endettement considéré comme viable est de l’ordre de 33 % des revenus.

Un taux d’endettement de 12 % pour l’Etat français c’est strictement rien.

Toutes les entreprises et tous les couples signeraient pour n’être pas plus endettés.

La réalité, c’est que les libéraux, à commencer par vous Guy Sorman, dramatisent le poids de la dette publique pour pouvoir justifier le détricotage de tous les droits sociaux conquis par les peuples. Les libéraux, dont Guy Sorman, font sciemment de la propagande mensongère.

Nous ne les laisserons pas faire.

Je conclus sur l’hostilité ardente des libéraux au protectionnisme, qui signifierait immédiatement, disent-ils, la misère pour les plus pauvres, par le surenchérissement de leurs achats qu’il engendrerait.

Les partisans du socialisme démocratique, dont je suis, par définition antilibéraux et internationalistes, ne sont pas pour le protectionnisme, mais pour des échanges internationaux fondés sur la réciprocité des règles d’importations et d’exportations, prenant en compte les règles sociales, fiscales et environnementales.

Il n’en reste pas moins que ce débat fait encore la démonstration de la vision hémiplégique qu’ont les libéraux de l’économie. Pendant qu’ils essaient de faire croire au peuple que la misère s’abattrait sur eux, ils oublient de dire, volontairement, que le respect des règles de réciprocité aurait pour avantage considérable de redonner du travail à des dizaines de milliers, voire à des centaines de milliers de travailleurs français, aujourd’hui au chômage et dans la misère à cause des délocalisations compétitives.

Robert Mascarell le 27 novembre 2011


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