Jean-Bernard Pouy, écrivain « Je suis libertaire et anar, mais je me sens proche du Front de gauche »

vendredi 2 décembre 2011.
 

Auteur de polars, directeur de collections, « Jibé », pour les intimes, est davantage connu pour avoir imaginé le personnage du Poulpe (Gabriel Lecouvreur) que pour ses propres livres (dont le cultissime Spinoza encule Hegel…). Il publie un nouveau roman noir (et rouge), Samedi 14, dans la collection « Vendredi 13 » (Éditions ELB), dirigée par son vieux pote soixante-huitard Patrick Raynal, dit le Gros. Et prépare un guide de cuisine du Poulpe.

Vous habitez près de la place des Vosges, dans le Marais, pas loin 
de DSK… C’est surprenant pour 
un anarchiste affirmé comme vous, qui a écrit le très virulent Mes soixante huîtres (Éd. Folies d’encre, 2008)  : « N’admettez plus d’être immatriculés, fichés, opprimés, réquisitionnés, prêchés, recensés, traqués  ! Chassez le flic de votre tête  ! »

Jean-Bernard Pouy. Quand je suis arrivé dans le quartier, il y a plus de vingt ans, c’était rempli de dealers dans les rues, il y avait de véritables taudis dans le coin. Jean-Edern Hallier ne payait pas son loyer, Limonov insultait les gens aux terrasses des cafés… Moi, j’emmenais mes enfants à l’école, bien sagement, et je le voyais hurler dès qu’un client agressé osait l’alpaguer pour le corriger. Puis, ils ont ouvert des musées, les bourgeois sont arrivés. Le texte sur Mai 68, dont vous parlez, m’a été demandé par Jean-Marie Ozane, qui dirige la librairie Folies d’encre à Montreuil. Au départ, je devais faire partie d’un collectif sur le thème de Mai 68… Puis, le texte est sorti tout seul. C’est un peu virulent mais j’ai joué le jeu.

Votre nouveau roman, Samedi 14 (Éditions ELB), est à nouveau un texte engagé… 
et à nouveau une commande.

Jean-Bernard Pouy. Oui, ça continue. On m’a forcé, comme d’habitude… Je n’ai jamais voulu écrire, en réalité… Je n’ai commencé qu’à trente-cinq ans. Le « gros » (Patrick Raynal) m’a parlé d’une collection appelée « Vendredi 13 ». Alors, comme j’ai l’esprit de contradiction, j’ai pensé à Samedi 14… Maxime, mon personnage, est un ancien activiste rangé des voitures. Jusqu’à ce que des flics viennent le déranger dans sa tanière. Et on ne réveille pas un anar à la retraite… Surtout un vendredi 13  ! Je n’ai quasiment jamais écrit un livre que j’ai choisi tout seul. Je n’accepte pas tout, mais j’en accepte beaucoup. J’ai calculé que j’avais écrit une centaine de livres  ! Dont 280 nouvelles… et 400 articles. Je me suis dit qu’il faut que j’arrête là, sinon ça va se diluer. Je vais prendre le temps d’écrire un gros roman personnel… Ou un pavé, ou un récit court. C’est là qu’on voit la bête, comme chez Hemingway et Harrison. Et me remettre à la peinture aussi, ça me manque trop… Je m’isolerai dans une maison spéciale pour moi. Où personne ne pourra entrer, même pas ma famille… Faut déjà que je trouve un éditeur, comme les jeunes… Normalement, il ne devrait pas y avoir de problème.

« papa Poulpe », ça vous pèse, ou c’est une reconnaissance qui vous fait toujours plaisir  ?

Jean-Bernard Pouy. À force, être réduit à ça, c’est un peu gonflant parfois. J’en ai écrit que 2 sur 150… Je ne me prends pas pour un grand auteur. Je suis resté distancié sur l’œuvre et la mythologie de l’écrivain en général. À propos, contrairement à ce qu’on dit souvent, le Poulpe continue. Il en sort toujours un par mois. Alors, évidemment, ça n’est plus la même équipe et plus les mêmes tirages, mais il vit encore… L’éditeur est un ancien délégué syndical au Seuil. Il est parti avec ses indemnités de licenciement… et Lecouvreur  ! Je prépare un guide de cuisine du Poulpe, avec Jean-Paul Rocher.

N’avez-vous pas été débordé, comme on dit en sport, vous, défenseur du roman noir et du polar de gare de qualité, par ces successions d’auteurs français singeant les Américains  ?

Jean-Bernard Pouy. Tout dépend de quoi on parle. Dans le genre roman noir avec une critique sociale, ça se tient à peu près. Il y a de nouveaux auteurs, comme Marie Ledun, Antoine Varenne, Sébastien Gendron… Sans oublier Dominique Manotti et d’autres. Mais c’est pas la Brigade du rire, hein  ? Il y a aussi Doha, mais bon, c’est ch… je trouve. On ne s’éclate pas comme dans un roman américain  : Harry Crews, Crumley, Bunker, Burke, Larry Brown, etc. L’intérêt du genre (Noir), sa force, c’est qu’on peut passer du déconnant au très écrit, du politique à l’historique, comme Daeninckx et Vargas le font très bien. D’ailleurs, on aimerait que Cesare Battisti écrive un Poulpe. Avec Fred (Vargas), ce serait super… Le Poulpe serait sauvé  ! Aujourd’hui, on a tendance à davantage parler des auteurs que des livres. Quand c’était Hemingway, ça allait  ! Aventurier, menteur, homme à femmes… et styliste.

J’insiste, on a l’impression que le genre thriller a pris le dessus sur le polar de qualité… Le livre formaté, en somme, est devenu un produit à vendre, comme n’importe quelle marchandise. L’exemple parfait, c’est Douglas Kennedy qui avait commencé par un excellent polar, publié en « Série noire », Cul-de-sac, et qui publie aujourd’hui à peu près toujours le même livre, formaté pour être un best-seller…

Jean-Bernard Pouy. Oui, c’est vrai, son polar était très bon. C’est surtout dans le thriller et le roman policier classique qu’il y a de la soupe. On confond littérature populaire et écriture facile, racoleuse… C’est vrai qu’on est loin de l’effervescence qu’on a connue lors de la sortie du Poulpe, en 1995. Je me souviens d’un article dans l’Huma, signé par Michel Guilloux, qui se terminait par « Vive l’anarchie et mort aux cons  ! »… On était sur le cul  : si ça commence comme ça, on s’est dit, ça va être terrible.

Vous aviez d’ailleurs travaillé sur une nouvelle formule de l’Huma, avec Raynal…

Jean-Bernard Pouy. Oui, nous avions fait un audit sur les « désirs et capacités d’écriture » des journalistes de l’Huma… Nous avions d’ailleurs été étonnés de découvrir des mecs et des filles super sympas, ouverts, drôles et brillants. Des gens incroyables  ! Alors qu’on avait des préjugés… Ils voulaient faire le Figaro – pour la qualité professionnelle du journal… mais en cocos  ! Ils avaient envie d’un boss avec des bretelles, comme dans les comics de super-héros  : Lazareff, quoi  !

On dirait que vous ne pouvez ou ne voulez pas vous prendre au sérieux…

Jean-Bernard Pouy. À force qu’on me dise que j’ai du style, à soixante balais bien sonnés je vais peut-être finir par en tenir compte… Mais je ne veux pas me prendre pour un écrivain, avec un grand E.

Politiquement, vous vous disiez anarcho-syndicaliste, dans La petite écuyère a cafté 
(le Poulpe n° 1). Qu’en est-il aujourd’hui  ?

Jean-Bernard Pouy. Je suis libertaire, anar. Mais j’ai toujours eu de bons rapports avec les cocos. Quand je travaillais à Vitry, comme pion, je tenais le ciné-club  : je me suis bien plu avec les cocos de là-bas. Ça agace mes potes anars, autant que lorsque je dis du mal de Léo Ferré (rires), ou qu’il faut aller voter… Ils me jettent… puis me reprennent après. J’avais vingt-deux ans en Mai 68, j’allais manifester avec les anars et on se faisait taper sur la g… en fin de cortège, par le service d’ordre de la CGT  : des malabars  ! Récemment, dans une manif, un militant de la SKF qui m’avait coursé m’a reconnu. Il était content de me revoir (rires)  : « C’était bien, à l’époque, on se marrait  ! » il m’a dit. Je n’ai jamais été un anticommuniste primaire… En septembre, j’étais à la cité du livre de la Fête de l’Huma. Surtout pour faire plaisir aux libraires et voir les potes. En ce moment, je me sens proche du Front de gauche. Et surtout de Pierre Laurent. Je le trouve pondéré, calme, précis. Laurent m’intéresse beaucoup… Ça change, ce côté intello. Ce n’est pas un beau parleur. Pas un hurleur agressif…

Quelles ont été vos relations avec l’extrême gauche…

Jean-Bernard Pouy. Je me suis toujours méfié des extrémistes violents  : Brigades rouges, Baader, Action directe, etc. Olivier Rollin (un des deux frères écrivains – NDLR) a bien fait de calmer les gars de la GP (gauche prolétarienne) qui voulaient se lancer dans la lutte armée, à l’époque de Le Bris (Michel). On oublie tous les mecs qui ont fait de la taule ou qui se sont suicidés. Par contre, c’est vrai que je m’inspire de l’actualité, comme lorsque les flics ont arrêté ces pseudo-terroristes du TGV… Je ne supporte toujours pas qu’on interdise.

Vous rendez hommage à Raymond Queneau dans votre nouveau livre…

Jean-Bernard Pouy. Toujours… il a été une révélation pour moi. C’est un de mes auteurs préférés. J’aime jouer avec les mots mais je me méfie de l’aspect sectaire de l’Oulipo  : c’est très mathématique. Queneau était un passionné de maths… Je me sens plus proche de Perec dans la pratique. Je suis plus ludique… Je mets des clés dans mes livres sans le dire. Si on trouve tant mieux, sinon tant pis. Écrire est un plaisir pour moi. Je joue. J’ai peur de me faire ch… Je lis toujours beaucoup, un peu de tout, jeunes, vieux, et pas que du roman noir.

Une autre de vos thématiques, c’est le vélo…

Jean-Bernard Pouy. Je n’aime pas les sports en chambre… Je veux dire ceux qui se pratiquent coincés dans un stade. Le cyclisme c’est dehors, dans les rues, au milieu des gens. C’est populaire. Au foot, les mecs n’ont pas le droit de mettre les mains  : c’est des handicapés… J’ai toujours établi un rapport entre l’écriture et le vélo. C’est une dramaturgie. Oui, il y a un rapport avec la littérature populaire. Il y a des trahisons, des héros lamentables, des stratégies, des mecs qui pleurent sur la route  : ces des prolos. Quand j’écris. C’est moi qui pédale. Personne ne m’emm…

Il y a peu de sexe dans vos livres…

Jean-Bernard Pouy. Un peu comme chez Daeninckx… Mais il a réussi un tour de force, dans le Poulpe, en écrivant cette phrase géniale  : à Gabriel qui demande à Chéryl comment elle voudrait faire l’amour  ? Elle répond  : sans les mains…  !

Biographie express

Né le 2 janvier 1946, à Paris, Jean-Bernard Pouy a gardé les révoltes de son adolescence. Malgré des problèmes de santé il continue à écrire des polars et à publier des amis ou des jeunes qui débutent. Outre le Poulpe, qui met en scène Gabriel Lecouvreur, enquêteur ultragauche, il a imaginé Pierre 
de Gondol, Série Grise, Tourisme et polar, et « Suite noire », qui vient d’arrêter faute de lecteurs… 
En 2002, il publie Die Amsel (« le merle »), laissant croire qu’il n’est « que » le traducteur d’Arthur Keelt, auteur imaginaire, dont les citations sont… 
de Jean-Bernard Pouy. Adepte de l’Oulipo, cher 
à Queneau, il pratique l’écriture à contraintes, comme le faisait Perec. Il participe assidûment 
à l’émission Des papous dans la tête (France Culture).

Entretien réalisé par Guillaume Chérel, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message