Les ressorts d’une crise sans précédent

samedi 23 juillet 2011.
 

Les dirigeants de la zone euro étaient convoqués mercredi 20 juillet 2011 pour enfin trouver un accord sur le plan « d’aide » à la Grèce.

Deux questions étaient à l’ordre du jour. La première était de trouver un accord qui garantisse les besoins d’emprunt de la Grèce jusqu’en 2014. De peur de ne pas retrouver leurs billes, les partenaires d’Athènes voudraient voir le secteur privé participer. Il faut dire que les gouvernements qui ont fait payer à leurs peuples la crise qu’ils n’ont pas créée ont été remerciés. Mais pour les Dix-Sept, il est hors de question de donner l’impression que la Grèce est en défaut de paiement. Plusieurs solutions sont donc à l’étude

La deuxième question est celle d’une réforme générale de la gouvernance de la zone euro. Pour faire pression en ce sens, le Fonds monétaire international (FMI) a demandé hier un « plan d’action cohérent ». « Le problème qui est apparu n’est pas uniquement celui de la Grèce. C’est une question européenne », estimait hier le ministre des Affaires étrangères grec, Stavros 
Lambrinidis. « Nous devons prendre ensemble des mesures pour faire face à des situations telles qu’elles sont apparues récemment à propos de l’Espagne, de l’Italie ou du Portugal », poursuit-il. Un appel à généraliser les mesures prises en Grèce… D’ailleurs les Vingt-Sept n’ont pas attendu l’appel du FMI. Lors de leurs précédentes réunions, ils ont déjà instauré le pacte pour l’euro et renforcé le pacte de stabilité. Un savant mélange d’austérité budgétaire et salariale, accompagné d’un zeste de privatisations. Le cocktail à l’origine de la crise.

Décryptage

1. Quels sont les risques  ?

Les besoins de financement de la zone jusqu’en 2013 s’élèvent à 4 000 milliards d’euros  : 100 milliards pour l’Irlande et le Portugal, 600 milliards pour l’Espagne, 850 milliards pour la France, soit la somme la plus importante. La situation de la Grèce est cependant la plus critique. Son endettement cumulé est de 360 milliards d’euros pour un PIB tombé en 2010 à 235 milliards. Cette enflure de la dette publique en Europe connaît trois causes principales  : le soutien apporté au système financier lors de la crise de 2007-2008, la récession de 2009, la baisse des prélèvements publics sur le capital et les fortunes ces dernières années.

Quel est le risque  ? Il vient principalement de la façon dont les gouvernements prétendent traiter la dette, essentiellement par une baisse des dépenses publiques utiles, une mise sous tutelle des politiques budgétaires et sociales contre l’emploi et les salaires. C’est le pacte euro plus. Cela nourrit des contradictions terribles  : les politiques d’austérité étouffent les possibilités de reprise et, en retour, réduisent les recettes publiques et donc la capacité à rembourser les dettes. La croissance sur un an est de – 5% en Grèce, de 0% au Portugal et en Irlande, de moins de 1% en Espagne et en Italie. On craint qu’elle fléchisse aussi en France. Pèse sur la Grèce, mais aussi sur l’Espagne et même l’Italie, la menace d’un défaut de paiement, c’est-à-dire d’une incapacité pour la puissance publique à rembourser ses créanciers et à remplir son rôle vis-à-vis de la population. 
La zone euro risque d’éclater  !

2. Comment traiter la dette grecque  ?

Depuis la crise de 2007-2008, les finances publiques grecques sont sous perfusion. Athènes ne peut plus recourir aux marchés financiers pour financer sa dette. Les taux d’intérêt dépassent les 20 % sur les obligations à deux ans, les investisseurs jugeant trop risqué de prêter leur argent. Actuellement, ce sont les versements des aides de l’Union européenne et du FMI qui lui permettent de garder la tête hors de l’eau et d’éviter le défaut de paiement. Mais même l’aide déjà accordée de 110 milliards d’euros ne suffit plus.

Que faut-il faire  ? Les dirigeants de la zone, notamment français et allemands, ont des divergences, sauront-ils les surmonter  ? L’Allemagne répugne à payer à nouveau et veut trouver des dispositions qui réduisent sa contribution. D’où l’idée d’aménager la dette grecque. Faut-il permettre à Athènes de diminuer unilatéralement ses remboursements, l’autoriser à les étaler dans le temps, inciter les créanciers à transformer les remboursements en nouveaux prêts, aider Athènes à racheter une partie de ses titres de dette qui, sur le marché, ne valent plus que la moitié de leur valeur à l’émission  ? Il s’agit d’un vrai casse-tête. Comment en effet assouplir la dette d’Athènes sans donner aux investisseurs le sentiment qu’ils vont y perdre  ? Si cette contradiction n’est pas résolue, les créanciers de l’Espagne ou de l’Italie vont craindre de subir le même sort, et donc se désengager du financement de la dette de ces pays, leur faisant également courir un risque de défaut de paiement. La possibilité d’une contagion à l’Espagne, l’Italie et même la France est réelle.

3. La sortie de l’euro, une solution  ?

Même si la Grèce sortait de l’euro, elle ne serait pas dégagée de ses obligations à l’égard des marchés financiers. Certes, dans ce cas, elle pourrait alors dévaluer sa monnaie mais cela ne ferait qu’accroître sa dépendance à l’égard de la finance. Le retour de tel ou tel pays de la zone euro à sa monnaie nationale dévaluée aurait pour effet mécanique d’augmenter sa dette dans des proportions équivalentes à la dévaluation opérée vis-à-vis de l’euro. Les exigences de rémunération des créanciers en seraient renforcées, ils réclameraient une hausse de l’intérêt versé. La charge de la dette pèserait encore plus lourdement sur les finances publiques, la croissance, l’emploi, les salaires.

La facture serait particulièrement lourde pour des pays comme la Grèce ou comme… la France, dont la dette publique est en majorité détenue par des investisseurs étrangers. Par ailleurs, l’éclatement de la zone euro pousserait la plupart de ses pays membres à pratiquer des dévaluations compétitives pour tenter de redresser leurs comptes sur le dos du voisin. Plutôt que de sortir de l’euro, mieux vaut émanciper celui-ci des marchés financiers.

4. Quelle contribution 
des investisseurs privés  ?

L’idée d’une taxation des banques pour réduire la contribution des États est avancée, notamment par l’Allemagne. Certes, les établissements financiers se sont « gavés » en empruntant à 1,5% auprès de la BCE et en prêtant cet argent aux États à 7%, 8%, voire 15%. Il faut donc enrayer la spéculation et s’attaquer à l’argent facile. Mais il s’agit également de tenir compte du fait que la situation de nombre de banques est très fragile. Les derniers « stress tests » ont pointé du doigt 24 banques en situation difficile, mais ils ont surtout révélé l’importance de l’exposition du système bancaire européen aux risques de la dette publique. C’est particulièrement vrai pour les grandes banques françaises, très engagées, notamment en Grèce et en Italie.

Deux mesures pourraient s’avérer efficaces  : taxer les transactions financières que les banques réalisent pour leur propre compte, essayant ainsi de gonfler leurs résultats  ; s’en prendre au fer de lance de la spéculation en taxant les opérations des fonds spéculatifs (hedge funds) et des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières, Sicav et fonds communs de placement). Selon certains spécialistes, les hedge funds géreraient actuellement 2 044 milliards de dollars d’actifs. Le principal fonds de l’empire de George Soros, le Quantum Endowment Fund, dispose de plus de 19 milliards de dollars de cash.

5. Comment éviter 
une nouvelle récession  ?

Le gouvernement américain est très attentif à ce qui se passe dans la zone euro et suit de près les discussions sur le traitement de la dette grecque. En visite à Athènes, Hillary Clinton, ministre des Affaires étrangères d’Obama, a apporté son soutien au plan de super-austérité du gouvernement. « J’applaudis le gouvernement grec pour sa détermination à prendre des mesures difficiles », a-t-elle déclaré. Les États-Unis estiment que les pays européens ont largement les moyens d’aider l’économie grecque qui ne représente que 3% de celle de l’Union. Mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Même si les États-Unis sont impliqués dans les mesures concernant la crise de l’euro au travers de l’action du FMI.

Pourquoi cette insistance américaine  ? Les politiques d’austérité d’ores et déjà engagées en Europe et les futurs traitements par une thérapie de choc de la crise de l’euro dans des pays plus importants que la Grèce, comme l’Espagne, l’Italie ou la France, risquent d’asphyxier l’économie européenne au moment même où les États-Unis sont à la recherche de relais pour leur propre croissance, aujourd’hui en perte de vitesse. Le chômage outre-Atlantique est toujours à un niveau historique et risque de compromettre la réélection du président. La crainte d’une rechute en récession de l’économie mondiale refait son apparition. Mais pour autant, les milieux dirigeants américains n’ont pas de recette miracle à proposer. Il est vrai qu’il n’est d’issue que dans l’émancipation de la dictature des marchés et Wall Street est allergique à cela.

Gaël De Santis et Pierre Ivorra, L’Humanité

Des alternatives à portée des luttes populaires

Syndicats européens, Indignés d’Athènes et de Madrid, Gauche européenne proposent une nouvelle intervention publique.

Refus du pacte euro plus, taxation des transactions financières, nationalisation des banques, nouveau rôle de la Banque centrale européenne (BCE), création d’un fonds de développement social... Au-delà de la diversité des propositions portées par les luttes populaires, peu à peu se construisent des propositions alternatives. Ce qui les rassemble est certainement l’idée qu’il faut déployer une nouvelle intervention publique et qu’il ne faut pas laisser faire les marchés financiers.

Peu de trace dans ces mouvements d’une demande de sortie de l’euro. Ils invoquent, à des degrés divers et avec plus ou moins de lucidité, plutôt l’esprit de solidarité que le repli sur soi. Il est vrai que l’on est plus fort ensemble, mais à condition d’œuvrer pour soi. Pas pour la finance. Aussi faut-il être clair soi-même. On ne peut pas faire face à la crise de la dette publique, captive des marchés, en recourant encore davantage aux marchés. C’est pourtant la logique tant du fonds européen de stabilité financière de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel que 
de la proposition soutenue 
par la gauche socialiste de lancer des emprunts européens, des eurobonds.

Il n’y a pas d’alternative : si l’on veut émanciper les États et les services publics des marchés, il faut trouver d’autres modes de financement de leurs besoins. Les budgets publics doivent être rééquilibrés grâce à de nouveaux prélèvements. Mais, compte tenu de la faiblesse de la croissance, cela ne peut suffire. Il est un moyen de financement, puissant, qui peut aider à créer des richesses nouvelles, des emplois, à développer la formation, la recherche, c’est la création monétaire. Aujourd’hui, avec la BCE, elle est accaparée par la finance. La BCE pourrait, au contraire, l’utiliser pour contribuer au financement des dépenses publiques et aussi inciter les banques européennes, publiques et privées, à mettre leur propre capacité à créer de la monnaie au service de la croissance et de l’emploi.

P. I.


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