Catastrophe humaine en cours à La Poste

vendredi 4 février 2011.
 

Plusieurs postiers se sont donné la mort ces derniers mois alors que l’entreprise publique est en pleine restructuration. Enquête dans les Bouches-du-Rhône.

1) Les postiers en état d’alerte à Marseille

Deux cents postiers se sont rassemblés hier contre les conséquences des restructurations. Envoyé spécial.

De Jean-Luc Botella pour la CGT à Bernard Cheval pour la CFTC, tous les syndicalistes qui ont pris la parole hier devant quelque deux cents postiers rassemblés pour dénoncer les conséquences des restructurations délivrent le même diagnostic  : la souffrance au travail est principalement responsable des cinq suicides et onze tentatives qui ont eu lieu dans les Bouches-du-Rhône en 2010.

« On assiste à une souffrance atroce », estime Serge Taza, de l’Unsa, pointant un climat de travail délétère avec des managers qui, selon Gilles Boukhalfa, de SUD, ont classé avec mépris les postiers en trois catégories  : les polissons, les hérissons et les paillassons  ! Les syndicats sont bien décidés à ne pas se laisser faire. La journée de grève d’hier résonnait d’ailleurs comme un droit d’alerte collectif. Pour la suite, les syndicats ont déposé des préavis de grève de 59 minutes dans tous les centres de tri de la région et annoncent des initiatives innovantes, dont l’une en soutien aux postiers du 
2e arrondissement de Marseille, en grève depuis 112 jours  !

Philippe Jérôme

2) Changement de statut et multiplication des suicides

C’était il y a moins d’un an, le 1er mars 2010. Au terme d’un débat houleux, qui avait mobilisé des centaines de milliers de citoyens contre le changement de statut, La Poste devenait une société anonyme. Son président, Jean-Paul Bailly, promettait alors que ce nouveau statut ne changerait rien aux missions de service public, notamment de distribution du courrier. L’augmentation du capital de l’opérateur postal à hauteur de 2,7 milliards d’euros doit servir à sa « modernisation ». Derrière l’entrée à marche forcée dans le monde de la concurrence, un drame était sans doute déjà en train de se nouer. Du France Télécom, en pire, avec un plan social qui ne dit pas son nom mais promet de supprimer 50 000 emplois d’ici à 2015, en poussant, entre autres, les fonctionnaires à la démission. Une restructuration en accéléré qui amène les syndicats des Bouches-du-Rhône à tirer la sonnette d’alarme.

27 juillet 2010, au treizième étage d’une tour de Marseille, Myriam Roux, quarante-cinq ans, factrice dans le 15e arrondissement, ouvre la porte de son appartement pour partir au travail, se ravise, fait demi-tour puis saute dans le vide. Brigitte Marie, sa meilleure amie, elle aussi factrice dans le même quartier et qui habite à l’étage au-dessus, se souvient d’avoir discuté avec Myriam, la veille du drame  : « Sa tournée avait été rallongée, elle était obligée de prendre deux bus pour la réaliser. Elle était très fatiguée et elle se demandait ce qu’elle allait devenir car elle n’y arrivait plus. Son cas avait été signalé à la direction mais tout le monde s’en foutait. Depuis la restructuration du bureau dans le 15e arrondissement, on est vraiment traité comme de la merde  ! Myriam avait des soucis dans sa vie privée, mais j’estime que La Poste est responsable au moins à 50 % de son suicide  ! »

Accusations et restructuration

Robert Palpant, marié et père de deux enfants, lui, n’avait pas de problème dans sa vie privée. C’est en tout cas le sens du courrier qu’il a laissé à son épouse, Michelle, avant d’aller se jeter sous un TGV le samedi 8 janvier. Dans sa lettre d’adieu, ce postier de Vitrolles demande qu’il n’y ait « pas de représentants de La Poste… » à ses obsèques. Le mardi précédent, sa chef d’établissement recevait un fax dans lequel ce caissier, à qui il était reproché d’avoir volé 160 euros dans un monnayeur, se décrivait comme un pestiféré. « Si j’avais eu connaissance de ce fax j’aurais pu alerter un médecin, estime Michelle qui va devoir prouver à la mutuelle de La Poste, et surtout pour son honneur et l’équilibre psychologique de ses enfants, que son mari s’est bien suicidé à cause de sa souffrance au travail. En fait il était épuisé depuis la réorganisation du bureau… Et puis il se sentait accusé dans cette histoire de monnayeur. »

Frédéric Béringuier, secrétaire départemental CGT chargé du pôle enseigne, est plus précis encore  : « J’ai connu Robert en 2009 lorsqu’il a fait grève, pour la première fois de sa carrière, contre la restructuration à Vitrolles. Après une nouvelle réorganisation en 2010, son bureau était passé de huit emplois à trois plus un demi-poste en renfort. Robert, c’était le caissier mais on l’appelait MacGyver car il était capable d’accomplir toutes les tâches. Sa charge de travail était devenue énorme. Quant à l’histoire du monnayeur, c’est très injuste qu’on l’ait accusé parce que cette erreur est très fréquente avec ces machines. Robert était un bon agent du service public que la restructuration a fait craquer. »

Patrick Serugne, cinquante-quatre ans, était lui aussi un bon facteur. Il a pourtant été accusé de vol, suite à la découverte d’un colis ouvert dans son bureau de poste à Saint-Victoret où il officiait depuis vingt ans. « À 10 h 30 ce 12 juin (2010) je l’appelle au téléphone pour lui demander s’il avait bien dormi. Il me répond  : “Ça va, ne t’inquiète pas.” Une heure après il se tire un coup de fusil en plein cœur  ! » raconte Sébastienne, sa veuve, pour qui il ne fait pas de doute que Patrick était de plus en plus mal considéré à son travail  : « Il était le plus ancien du bureau mais on lui avait brutalement changé sa tournée pour la rallonger après la restructuration. Il avait perdu ses bons clients, il partait plus chargé et il travaillait deux heures de plus par jour. Il était fatigué, il allait au bureau avec la boule au ventre. Après l’accusation de vol, il a été harcelé. En octobre 2009, il a craqué puis il a dû aller en maison de repos pour dépression. Le 9 juin, le médecin de La Poste lui a quasiment ordonné de reprendre le travail. À une semaine de la retraite  ! »

Myriam, Robert, Patrick… À cette liste de postiers morts brutalement en 2010, il faut ajouter ce facteur marseillais qui a fait un infarctus peu après une violente altercation avec son chef d’établissement, et cette guichetière d’Aix, morte en pleine dépression. Les syndicalistes racontent les cas de postiers qui sombrent dans l’alcool, la drogue, les tentatives de suicide qui se multiplient. C’est par exemple le cas de cette jeune femme transférée d’un centre de tri à un bureau mais sur un poste de comptabilité pour laquelle elle ne reçoit aucune formation. Résultat, elle n’assure pas, subit réprimandes et brimades et finit par avaler un tube de cachets pour mourir. La direction de La Poste qui, selon la CGT, « est dans le déni permanent » (1), met sa tentative sur le compte d’une dépression passagère d’après-grossesse  ! Ce tableau déjà très sombre se complète par une hausse importante (33% selon SUD PTT) du nombre d’accidents du travail (hors suicides) et du taux d’absentéisme pour maladie.

Nationalement, la CGT et FO des Bouches-du-Rhône, qui ont entrepris un recensement macabre, comptent plus de 
70 suicides de postiers ces derniers dix-huit mois, soit deux fois plus, pour une même période, qu’à France Télécom. Une véritable catastrophe humaine. Une catastrophe annoncée. Au printemps 2010, le syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste écrit au président du groupe, Jean Paul Bailly, décrit « une situation alarmante » et demande « d’engager des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait devenir un processus morbide ». La lettre revendique « une dimension collective et humaine du travail, le respect et la reconnaissance dus à des agents fiers de servir La Poste », autant de « valeurs qui permettent de garder un sens à leur travail ». Mais comme l’écrivait Robert Palpant, justement à propos de son travail  : « À l’idée de l’exécuter,  ; tu as le moral en marmelade. (…) Si tu dois l’abattre sans pitié, avant d’abandonner ton lit, souhaite voir changer la vie. » Apprenant son suicide, Guy Jean, un ancien cadre de La Poste à Vitrolles, confie  : « J’ai l’impression qu’il s’est sacrifié pour que la souffrance au travail soit dénoncée dans toutes ces entreprises qui ne prennent plus du tout en compte le facteur humain mais seulement la rentabilité. »

(1) Nous avons demandé lundi matin 
à la direction départementale 
de La Poste son point de vue sur 
cette vague de suicides. Au moment 
où nous mettons sous presse 
nous n’avons reçu aucune réponse.

Philippe Jérôme

3) La poste. La chasse aux fonctionnaires 
est ouverte

Dans certains bureaux, le nombre d’intérimaires dépasse maintenant celui des fonctionnaires, que l’on cherche à faire partir. Envoyé spécial.

« Pour les nouveaux managers de La Poste le compte est vite fait  : un licenciement c’est tout bénéfice même s’ils perdent aux prud’hommes », explique Thierry Gras dont les dossiers de postiers virés pour un oui ou pour un non s’empilent sur son bureau de secrétaire départemental CGT chargé des activités postales. Son syndicat a calculé que depuis 2003, 63 000 postes (sur un effectif total d’environ 280 000 agents) ont été supprimés. Dans un premier temps en ne remplaçant pas des départs à la retraite. Mais par des méthodes plus brutales depuis la mise en route, fin 2008 du projet « facteur d’avenir » et autre « plan business » qui prévoit d’ici à 2015 la suppression de 40 % des guichetiers. On pousse cette factrice du 
15e arrondissement de Marseille à prendre prématurément sa retraite après avoir saccagé sa tournée et embauché un intérimaire pendant une absence. On accuse de vol un facteur à la longue carrière irréprochable. On conseille vivement à ceux qui ne peuvent pas occuper un poste de travail debout « d’aller chercher du boulot ailleurs » que dans le bureau qu’un manager zélé réorganise.

Les dégâts collatéraux sont considérables. « La charge de travail des facteurs a augmenté en moyenne de 30% dans les Bouches-du-Rhône », indique Thierry Gras. Dans certains bureaux, le nombre d’intérimaires ne connaissant rien du métier dépasse celui des facteurs avec comme conséquence une explosion des plaintes d’usagers. Le centre de tri de Rognac a perdu, en un an, 100 de ses 160 emplois. « Les gens sont poussés à bout par toutes sortes de pressions, pour ceux qui restent c’est infernal, ils viennent au travail à reculons et beaucoup prennent des antidépresseurs », s’indigne Pascal Pisson, élu CGT au CHSCT, qui ne demande pas moins « que l’on réintroduise les droits de l’homme dans l’entreprise ».

P. J.


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