La rue relève-t-elle de la sphère publique ? Faut-il y interdire la burka et le voile ?

jeudi 30 novembre 2006.
 

Premier texte

- Le voile, c’est l’asservissement de la femme, et je suis contre son autorisation

Je suis d’accord sur la nécessité, un jour ou l’autre, d’en arriver à interdire totalement le port du voile des femmes musulmanes dans la rue. Il s’agit d’un signe religieux ostensible qui veut dire : moi j’ai ma religion, j’en suis fier, et si ce n’est pas la vôtre, tant pis pour vous. Moi qui suis athée, je me sens agressée chaque fois que je rencontre une femme voilée.

Pourquoi ne respecte-t-elle pas ma libre pensée ? Lorsque mes parents ont émigré de Pologne, en France en 1923, ils étaient étonnés de voir que les hommes étaient tête nue. Ils ne comprenaient pas non plus, que les gens, pressés, courraient dans la rue à Paris. Ils ont retiré leur chapeau, et malheureusement, se sont mis à courir dans la rue, comme tout le monde. on ne les prenaient pas pour des voleurs !

Etre accueilli dans un pays donne des droits et aussi des devoirs, dont celui de se plier aux règles, aux moeurs qui sont traditions comprises, celles du pays d’accueil. Que dirait-on si toutes les femmes catholiques se promenaient en cornette ? On tomberait dans le folklore, Pourquoi pas au fond ? Mais Dieu n’y reconnaîtrait plus les siens. Alors les cornettes et les chapeaux à l’Eglise, les voiles à la Mosquée, et les kipas à la synagogue. Les adultes dit Stephan Arlen sont en droit de s’habiller comme ils veulent.

Je ne crois pas que cela aille jusqu’à affirmer haut et fort son identité, ses croyances intimes. Il s’agit d’une véritable provocation. La tolérance dans ce cas, tourne au laxisme, au détriment d’un minimum de discrétion qui est une façon de ne pas porter atteinte à la conscience de l’autre, donc à sa liberté. Depuis mai 68, la révolution des moeurs a eu du bon par rapport à l’hypocrisie ambiante, et à l’asservissement de la femme. (on sait que ça a commencé à l’université de Nanterre où le concubinage entre étudiants était interdit). Mais on en voit maintenant les effets pervers : le manque de respect généralisé (juqu’à l’école bien entendu), qui est une atteinte à la dignité de l’homme, à sa liberté de conscience que justement la laïcité bien comprise est en droit d’imposer. Tant pis s’il le faut , par la loi !

La loi sur l’interdiction du port du voile dans les lycées mis en avant par les médias a été votée par une forte majorité à l ’Assemblée nationale. La République l’aura emporté sur la démocratie. Les groupes de pression, religieux entre autres, se sont fait entendre ouvertement, démocratiquement donc, par médias interposés. Mais la même démocratie d’opinion s’est appuyée sur les valeurs républicaines pour contrer les valeurs libertaires de la démocratie, en l’occurrence le droit de s’habiller selon ses convictions !

Quel paradoxe ! Mais qui montre que parfois des limites sont atteintes dans le sens démocratique. Quand la démocratie d’intérêts (loi des marchés) et/ou la démocratie " communautariste " (Liberté) va trop loin, la République s’unit pour faire respecter les mots Egalité, et Fraternité inscrits à son fronton. Toutefois, en l’occurrence on peut se demander si le remède n’est pas pire que le mal.

On voit en effet, de plus en plus de femmes voilées, comme enhardies, et peut-être encouragées à porter le voile, comme si elles se vengeaient d’être brimées à l’école. Il me semble qu’il aurait fallu soit l’interdire totalement, soit les laisser progressivement s’auto-réguler, sur le long terme, se fondre dans les moeurs vestimentaires environnantes. Les adolescentes n’auraient peut-être, pas longtemps supporté d’être montrées du doigt par leurs collègues de classe.

Il n’est pas trop tard pour modifier cette demi-mesure. On en arrivera peut-être un jour à une interdiction totale, malgré le tollé des intégristes à prévoir. Ce signe d’asservissement de la femme de la part des religieux n’est pas unique. A-t-on oublié, que, en France, jusqu’après la dernière guerre, les femmes n’osaient pas sortir dans la rue " en cheveux " ? C’était mal vu : elles étaient considérées comme femmes de mauvaise vie. On peut comparer la " mode ", de cette époque, porter un chapeau, au port du foulard pour les musulmanes, même si ce n’était toujours ressenti comme un asservissement.

Or, pour la religion catholique, la femme, la plus assidue à l’Eglise, était souvent femme au foyer. Il était évident pour le clergé de fonder son pouvoir sur elle. Jugée inférieure à l’homme, elle pouvait être consolée de ses malheurs, de ses faiblesses, par la religion. L’émancipation de la femme n’a été possible que grâce à son émancipation notamment sexuelle. C’est pourquoi le clergé islamiste continue à s’y opposer. Notre rôle à nous attachés à la laïcité traditionnelle qui est l’un des piliers les plus importants de la République, est de lutter sans arrêt pour que se principe ne nous échappe pas progressivement, sous le prétexte généreux en soi de la liberté. C’est-à-dire, à nous laïques, musulmans catholiques, protestants, juifs, de faire passer nos messages en permanence, jusqu’à l’interdiction ou au moins la disparition quasi totale des signes religieux manifestes.

Louis Peretz www.pierrebelle.org


Deuxième texte

- La bourka et la statue de Ploërmel

Il ne faut pas confondre choses : l’usage qu’on fait de son corps, et l’usage qu’on fait de cet espace commun qui est la rue.

L’usage qu’on fait de son corps est un usage qui relève de la liberté de chacun, et à propos duquel la loi doit être la plus silencieuse possible. Quelques exemples : le législateur n’a pas le droit de me contraindre d’arrêter de fumer dans la rue, il n’a pas à le droit de me contraindre à porter un uniforme quand je vais faire mes courses, il n’a pas le droit d’interdire le piercing, il n’a pas non plus le droit d’interdire à celles qui ont opté pour la servitude volontaire de porter la bourka dans la rue.

Je serai radicale : je pense que le législateur ne doit poser aucune interdiction concernant l’usage privé du corps (quand il y a usage marchand du corps, on sort de l’usage privé, et là, bien sûr, le législateur doit poser des interdits) : par exemple, dans l’absolu, la loi ne doit pas m’interdire de me mutiler. Tel est d’ailleurs le cas dans le droit français : aussi choquant que cela puisse paraître, la législation française ne m’interdit pas de me mutiler. Si je décide de le faire, je sortirai de la logique du droit pour entrer, de facto, dans une autre logique, celle de la pathologie (j’irai faire un tour en hôpital psychiatrique).

En revanche, lorsque mon corps acquiert une visibilité (c’est le cas quand je sors dans la rue), l’usage que j’en fais n’est plus totalement privé : c’est la raison pour laquelle le législateur intervient pour poser une limite, à savoir l’interdiction de la nudité. Je pense qu’il faut s’en tenir là : outrepasser cette limite, c’est être liberticide, c’est verser du côté de l’ordre moral, c’est tomber dans l’écueil du dogmatisme. Par exemple, je trouve que les discours de S. Royal sur le port du string relèvent davantage de l’ordre moral que de " l’ordre juste ". Au nom de ce même principe, même si je supporte mal la vue de la bourka, je pense que l’interdire serait liberticide. Car défendre le principe de laïcité, cela ne signifie pas vouloir abolir la liberté individuelle.

Je suis, au fond, une libérale farouche, et plus conséquente que ceux qui se targuent de l’être : je pense que la loi doit être la plus silencieuse possible lorsqu’il s’agit de tout ce qui touche à l’usage que chacun fait de son corps et de sa pensée. Ce n’est qu’à la condition du silence de la loi que la liberté individuelle peut exister. Pour que la loi reste silencieuse, il faut -ce qui peut sembler a priori paradoxal- que le législateur énonce le plus grand nombre de droits-libertés (ce sont tous les droits de : le droit de se déplacer librement, d’exprimer ses opinions, d’exercer le culte de son choix, de faire commerce de ses talents, etc.)

- vouloir le plus de droits-libertés possible, c’est ça être un libéral farouche ; mais je pense aussi que, pour que la liberté individuelle ne soit pas seulement formelle, il faut que le législateur produise le plus grand nombre de droits-créances (ce sont tous les droits à : le droit à la sécurité sociale, à l’instruction, à la retraite, etc.)

- vouloir le plus grand nombre de droits-créances possible, c’est ça être un libéral conséquent. Si j’habite dans un petit village de Creuse où il n’existe aucun service public, aucune bibliothèque municipale, aucun dispensaire, etc. eh bien ! je suis moins libre que le parisien qui peut en avoir l’usage. La République sociale, c’est donc le libéralisme (au sens premier du terme : le libéral étant celui qui promeut la liberté) poussé jusqu’au bout !

Je pense que l’usage qu’on fait de cet espace commun qu’est la rue ne relève pas du même principe que l’usage que chacun fait de son corps. "La rue" est une notion ambivalente, car elle peut être pensée à partir de deux logiques juridico-politiques distinctes. C’est un lieu dans lequel des corps individuels peuvent se croiser (et dans ce cas, c’est le principe de tolérance qui doit prévaloir, limitée par la seule obligation de porter un vêtement et de ne pas provoquer de désordres), mais c’est aussi un espace dont les citoyens peuvent décider de faire un usage commun. La rue est alors moins un lieu de passage, qu’un lieu d’exposition. Dans ce cas, deux principes doivent prévaloir : le principe démocratique d’abord. C’est à la majorité des contribuables de déterminer quelles seront les oeuvres qu’on y exposera (comme c’est aux contribuables de déterminer quel sera l’usage que l’on fera de tel terrain municipal.).

Mais le principe de laïcité doit venir, le cas écheant, faire limite aux visées hégémoniques des communautés : c’est ce qui sa passe à Ploërmel. A partir du moment où un objet exposé dans la rue ne reflète qu’un lien communautaire (c’est le cas de la statue de Jean-Paul II), il est légitime que les citoyens le refusent. Voilà pourquoi je ne suis pas certains de mes camarades dans leur combat pour l’interdiction de la bourka dans la rue. Voilà pourquoi je soutiens le comité qui refuse la statue de Jean-Paul II à Ploërmel.

Marie Perret

professeur agrégée de philosophie


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