Laïcité et religions (Dharréville, Quiniou)

dimanche 2 mars 2014.
 

- A) Laïcité : « Un principe émancipateur et non une liste d’interdits » (par Pierre Dharéville)

- B) Il convient de libérer l’homme de la fantasmagorie religieuse (Par Yvon Quiniou, philosophe )

A) Laïcité : « Un principe émancipateur et non une liste d’interdits »

Pour Pierre Dharéville, la laïcité garantit le vivre ensemble dans la société.

Le communiste Pierre Dharréville présentait mardi son livre sur la laïcité aux Repaires de Château-Arnoux.

« Il existe dans notre société un trouble, une incompréhension par rapport à la laïcité », faisait observer Pierre Dharréville, secrétaire départemental du PCF des Bouches-du-Rhône et auteur du récent ouvrage La laïcité n’est pas ce que vous croyez, co-édité par le journal La Marseillaise et les éditions de l’Atelier, mardi soir au restaurant Le Stendhal de Château-Arnoux à l’occasion d’une soirée des Repaires de Château-Arnoux organisée conjointement par La Marseillaise et l’association Approches Cultures et Territoires. Ce malentendu par rapport à ce qu’est réellement la laïcité en France est, pour Pierre Dharréville, la cause essentielle de ce que l’extrême droite ait pu opérer une récupération politicienne de cette dernière : « L’idée de ce livre m’est venue à partir du moment où le FN s’est mis à discourir de la laïcité », expliquait le conférencier.

Un principe fondateur Afin donc de déblayer le vaste chantier des confusions, amalgames et idées reçues savamment entretenus par ces adversaires de la laïcité qui comptent l’instrumentaliser pour mener à bien leurs objectifs de division de la société, Pierre Dharréville entreprenait d’esquisser un bref historique de la laïcité et de la façon dont ce principe s’est imposé peu à peu dans le pays. Le dirigeant communiste rappelait que le concept même était né aux alentours des années 1870, lors des tumultueux début de la IIIe République : « L’idée de laïcité pré-existait néanmoins au concept », rappelait-il en en évoquant la forte opposition contre le pouvoir de l’Église pendant la Révolution Française, qui répondait à une nécessité impérieuse de contrer le principe même de monarchie absolue de droit divin. Le conférencier revenait ensuite sur la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, ainsi que sur les premières mesures de séparation prises par la Commune de Paris en 1871. Pour mieux expliciter ce concept, il en revenait d’ailleurs à l’origine du mot « laïcité ». Celui-ci vient du mot grec « láos », qui signifie peuple. Cependant, en opposition au terme « dêmos », qui désigne le peuple organisé en communauté de citoyens, le « láos » est le peuple en opposition au chef. On aura compris qu’il s’agissait du peuple émancipé du clergé, c’est à dire des chefs religieux susceptibles d’imposer une vision déterminée du monde et de la vie en société. « La laïcité est donc un principe politique, puisqu’il s’agit bien de poser la question du pouvoir, donc de la souveraineté populaire en démocratie », avançait Pierre Dharéville.

Pas de République sans laïcité En citant Jaurès, Pierre Dharéville rappelait que la laïcité est garante de l’égalité des droits, donc de la démocratie : « Elle met en musique les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité qui sont celles de la République ». Pour autant, il ne s’agit pas d’une valeur, mais seulement d’un principe politique. Ce rappel du principe de laïcité servait ensuite au conférencier à rappeler que la souveraineté du peuple, donc la démocratie, était largement mise à mal par le libéralisme : « Les attaques contre les services publics sont autant d’atteintes au principe d’égalité des citoyens, donc in fine à la laïcité », faisait-il valoir. Pierre Dharréville concluait en dénonçant la théorie du choc des civilisations : « La laïcité est un outil précieux pour refuser cet affrontement identitaire mortifère pour notre société ».

Intégrismes

Pierre Dharéville n’a pas manqué de rappeler les menaces qui pèsent sur la laïcité, notamment en raison d’une droite et son extrême qui n’ont de cesse de la mettre en avant pour stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane mais aussi de par le repli sur soi communautariste à l’œuvre chez certaines populations, lui aussi outil de l’oppression économique et sociale. Le débat qui s’en est suivi a donc été l’occasion de signaler que le principe même de la laïcité était la liberté de conscience des citoyens, dont la liberté de culte n’est que le corollaire. Ce principe, d’ordre juridique, est un rempart suffisant contre tous les intégrismes ; il ne peut être mis à mal que par une remise en cause sournoise par les pouvoirs politiques. À titre d’exemple, des intervenants ont cité le dialogue religieux prôné par les traités de l’Union européenne ou les fameuses « racines chrétiennes de l’Europe », dont on peut trouver une illustration locale dans des initiatives comme « Manosque Espérance », où les élus délèguent le vivre ensemble aux chefs religieux locaux.

MORGAN TERMEULEN

B) Il convient de libérer l’homme de la fantasmagorie religieuse (Par Yvon Quiniou, philosophe )

Les religions ont toujours été porteuses d’un dogmatisme inadmissible, alimentant l’obscurantisme (Yvon Quiniou)

Dans un livre que j’ai lu avec attention (2), comme dans une récente tribune parue dans l’Humanité, Pierre Dharréville nous présente une conception très ouverte de la laïcité, liée à une conception elle-même très avenante de la religion. Le problème est que cette dernière n’est pas justifiée, ni sur le fond ni dans le visage que nous offrent à nouveau aujourd’hui les religions qui tentent de réinvestir la sphère politique publique, risquant d’altérer la véritable laïcité telle qu’elle existe en France depuis un siècle.

Premier point  : les religions – à distinguer de la foi intérieure qui est une option métaphysique sur le réel, tout aussi légitime que l’athéisme et qui n’est pas concernée ici – ne sont pas ce que Pierre Dharréville en dit, à savoir des facteurs de lien social, de pacification des mœurs, voire de solidarité sociale. Elles se sont toujours opposées entre elles, ont suscité ainsi des conflits et offert une structure d’accueil idéologique aux pires violences sectaires et meurtrières comme on le voit, aujourd’hui, avec le judaïsme d’extrême droite en Israël et, surtout, l’islam intégriste au Moyen-Orient. Cela a été l’honneur de la philosophie des Lumières d’en avoir fait le procès en son temps (Spinoza, Hume, Kant, pour ne citer qu’eux).

Par ailleurs, elles ont toujours – je dis bien toujours – été porteuses d’un dogmatisme inadmissible, alimentant l’obscurantisme en refusant les grandes découvertes scientifiques qui contredisaient leur conception du monde et de l’homme  : cela s’est manifesté spectaculairement avec Galilée et s’est renouvelé avec Darwin, dont la théorie continue à être combattue par les mouvements créationnistes aux États-Unis ou les tenants du «  dessein intelligent  » qui ont des relais influents en France. Enfin, elles ont constamment soutenu les pires régimes d’oppression politique et sociale – la carte des dictatures au XXe siècle coïncide avec celle de la domination la plus forte des Églises. Et, sauf naïveté, on ne saurait se laisser prendre aux apparentes avancées du pape François  : non seulement il maintient une vision rétrograde des mœurs et de la sexualité (comme les deux autres religions monothéistes), mais son ouverture au social est une magnifique duperie  : son «  option préférentielle pour les pauvres  » est purement «  théologique  », a-t-il pu proclamer récemment et l’Église «  n’a pas à devenir une ONG  »  ! Sans compter que ce sont les excès du capitalisme qu’il condamne et non celui-ci dans son essence.

Deuxième point  : il ne faut pas ignorer ou oublier l’immense apport critique des grands théoriciens du XIXe siècle. Non seulement et sous des formes diverses ils nous ont montré, voire démontré, que les religions sont des phénomènes purement humains que l’on peut expliquer, sur un plan strictement immanent, par l’ignorance, le faible développement technique, la psychologie ou l’histoire et dont on peut prévoir la disparition à (long) terme, mais, surtout, ils en ont dénoncé la malfaisance  : elles ont dénigré la vie (Nietzsche), enfoncé l’homme dans l’infantilisme ou la névrose (Freud), aliéné l’humanité dans la croyance en un monde fictif (Feuerbach) et, last but not least, elles ont alimenté, selon Marx, l’aliénation socio-historique des hommes en la masquant ou en la justifiant par des illusions idéologiques.

La protestation contre la «  détresse réelle  » qu’elles constituaient à leur manière n’était suivie d’aucune lutte effective contre elle, voire offrait un dérivatif imaginaire qui en détournait. Et, quand au XXe siècle, les théologiens de la libération ont voulu inverser ce processus, ils ont été rapidement rappelés à l’ordre. C’est bien pourquoi il faut saluer ce mot de jeunesse de Marx affirmant que «  la critique de la religion est la condition préliminaire de toute critique  », laquelle doit être suivie de la critique des conditions sociales qui la produisent car la «  détresse religieuse  » n’a pas de solution en elle-même.

D’où un dernier point, portant sur la laïcité. Celle-ci concerne bien spécifiquement la question religieuse dans son rapport à l’État, et on ne saurait la fondre dans une vague problématique de l’émancipation en général. Celui-ci doit garantir la libre existence des religions (comme l’expression de l’athéisme, ce qu’on oublie souvent) et ne privilégier, ni soutenir financièrement, aucune d’entre elles.

Or, c’est là qu’intervient un contresens  : la neutralité de l’État ne signifie en rien celle des citoyens ou de l’école à l’égard du phénomène religieux. Dans le cadre d’une éducation à la raison et au jugement critique qui sous-tend aussi l’exigence laïque, l’examen critique des religions dans leurs dérapages intellectuels, leurs excès et leur malfaisance humaine, est de droit. C’est d’ailleurs, cette fois-ci, un élément, mais spécifique, du combat pour l’émancipation humaine en général.

Il nous faut donc rester fidèles au message de Marx, dans la Critique du programme de Gotha  : étant entendu que la liberté de conscience doit être absolument défendue, il ajoutait que le propre des communistes n’était pas de s’en contenter et de libérer les religions des entraves qu’elles rencontrent (c’est la laïcité positive, plurielle et molle), mais de «  libérer l’homme de la fantasmagorie religieuse  », puisqu’elle est un facteur d’aliénation, par une critique continuée de ses effets.

C’est cela la vraie laïcité  : celle qui favorise l’autonomie des êtres humains.

(1) À paraître, en septembre 2014, 
aux Éditions La ville brûle  : 
Critique de la religion. Une imposture intellectuelle, 
morale et politique.

(2) La laïcité n’est pas ce que vous croyez, 
Éditions de l’atelier, 2013, 144 pages, 16 euros.


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