Je tiens tout d’abord à remercier le MRC aveyronnais :
pour sa participation au débat sur notre site
plus généralement pour la qualité de leur travail militant, par exemple dans le Collectif de défense et développement des Services publics.
Cher camarade Bruno Valentin, 1er secrétaire fédéral du MRC,
1) Le vote du 29 mai
Ton message part du NON au Traité Constitutionnel Européen à 55%, le 29 mai 2005 . Je suis d’accord avec le fait que le sens politique global du vote NON, c’est :
Non à la "concurrence libre et non faussée"
Non au chômage de masse et à la précarité généralisée, conséquences du libéralisme
Non à la suppression des services publics
Non à la confiscation du pouvoir démocratique par des autorités non élues
Non aux implications de la Constitution européenne, par exemple en matière de création du droit
Non à l’alignement sur l’impérialisme américain
Non à la suppression de la laïcité au profit d’un modèle communautariste anglo-saxon.
Cet accord représente un socle commun important.
J’ai personnellement d’autres points d’accord avec le MRC :
la dénonciation de la dictature des marchés financiers, de l’hyperpuissance américaine, des délocalisations, des privatisations, des privilèges du dollar...
la valorisation de l’héritage républicain français et du point d’appui qu’il représente pour nos combats d’avenir
l’importance de maintenir un rôle actif de l’Etat dans le cadre d’une économie mixte, le regret que l’Etat ait perdu du pouvoir au profit de l’actionnariat pour des entreprises comme Airbus ou Arcelor.
la défense des services publics
la dénonciation des traités fondateurs de l’Union européenne comme un cheval de Troie du capitalisme financier transnational...
Je n’y reviendrai pas dans le reste de ce texte.
J’ai connu un certain nombre de militants du CERES puis du MRC. Leur conviction, leur ancrage à gauche, leur qualité ne font aucun doute. Aussi, je souhaite qu’ils contribuent à féconder une gauche qui en a bien besoin aujourd’hui.
Je ne crois pas que cet accouchement d’une nouvelle gauche capable d’accéder au pouvoir et de gouverner puisse se réussir par un processus linéaire en évitant les discussions de fond. Aussi, je m’excuse du fait que ma réponse ne s’en tienne pas aux nombreux points d’accord.
La position du MRC qui me pose problème touche à la question de la nation.
2) La nation
Dans son discours au Congrès du MRC (voir sur ce site à la rubrique "Gauche MRC") Jean Pierre Chevènement s’est réclamé de la conception de la nation développée par Renan ( sur ce site, même rubrique). " Les socialistes qui ont dit NON l’ont fait par anti-libéralisme... Entre eux et nous reste posé le problème de la nation, dont très souvent, ils n’ont pas une idée claire. Ils confondent fréquemment la nation républicaine, communauté de citoyens, et la nation ethnique qui n’a jamais été et ne sera jamais notre conception. Nous n’avons jamais abandonné la France à Le Pen. La plupart des socialistes n’ont pas lu Renan et sa célèbre conférence de 1882 "Qu’est-ce qu’une nation ?" où il définit la nation comme un "principe spirituel", "héritage de souvenirs communs et de valeurs qu’un peuple entend faire fructifier indivis".
Cette référence à Ernest Renan me laisse pantois. Sa personnalité et ses écrits sont plus marqués par la philosophie de l’histoire "romantique nationale" de Herder que par celle du socialisme historique.
Le besoin de cohérence ne l’étouffe pas ; Renan conditionne la nation par la citoyenneté moderne mais "de la fin de l’Empire romain, ou, mieux, depuis la dislocation de l’Empire de Charlemagne, l’Europe occidentale nous apparaît divisée en nations".
Il postule une source des nations européennes (Allemagne, France, Grande Bretagne, Italie, Espagne) dans le Traité de Verdun et différencie une race française, une race allemande... dès le 10ème siècle, toutes choses indéfendables.
Pour lui, c’est la royauté qui a construit la France d’où une valorisation de l’Ancien Régime dans sa conférence : " le roi de France a perdu son prestige ; la nation qu’il avait formée l’a maudit, et, aujourd’hui, il n’y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu’il valait et ce qu’il a fait". La royauté a contribué à constituer l’espace géographique appelé aujourd’hui la France. Cependant, pour moi, la nation française date de la Révolution ; c’est la République qui a fondé la nation, sans sous-estimer le processus historique préalable.
Je trouve que Renan est porteur d’une vision trop identitaire de la nation "l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun" et trop racialiste " Antioche est un foyer de putréfaction morale dû au mélange des races" ( dans cette conférence comme dans d’autres textes).
J’emploie le mot peuple en un sens républicain qui ne m’aurait pas fait fuir Paris pour Versailles au moment de la Commune (contrairement à Renan).
Je considère avoir une idée claire de la nation. Dans mon enfance j’ai sucé et resucé avidement toute la mémoire patriotique républicaine de Saint Just à Jean Moulin, des soldats de l’An II aux maquisards de 43-44. Encore aujourd’hui, je connais cela par coeur et en reste en partie pétri. Je ne suis pas le seul ; la force du mouvement citoyen de Firmi en défense de son service postal vient pour beaucoup de la capacité de la mairie et de Roger Lajoie Mazenc à s’ancrer dans cette tradition. La gauche doit faire vivre la mémoire républicaine française et ne peut pas laisser Le Pen se revendiquer seul de la France. Des substrats idéologiques ont toujours joué un rôle important pour souder les sociétés.
Ernest Renan : Qu’est-ce qu’une Nation ? (texte et critique)
Ceci dit, je ne supporte pas les mythes, "principe spirituel" "héritage de souvenirs communs" qui ont poussé des peuples à s’auto-glorifier bêtement, à conquérir, à mépriser l’étranger, à s’entredétruire, de l’Allemagne aux Etats Unis, du Japon à Israel, du Paraguay à la Serbie, de la Grande Bretagne à la Lybie, la France n’ayant guère fait mieux.
La création de nations, en Europe essentiellement au 19ème siècle, a permis aux bourgeoisies nationales d’unifier leurs marchés sans entraves féodales. Pour les Montagnards de 93, la nation représentait le cadre géographique et politique de mise en pratique de la souveraineté populaire et des droits de l’homme, du primat du politique sur l’économique. Ni pour les bourgeoisies, ni pour les Montagnards, il ne s’agissait d’un "principe spirituel".
Lorsque j’écoute ou lis Jean Pierre Chevènement, il m’arrive de trouver qu’il porte une valorisation de la "France", relevant effectivement du "principe spirituel". Tel est le cas par exemple lors de son dernier meeting à Japy : " C’est ainsi que nous « ferons France » à nouveau comme nous avons su le faire depuis des siècles".
3) Nation et Europe
Tu écris : " Nous voulons une Europe ... de nations libres qui coopèrent solidairement".
Ainsi, la démocratie et la prise en compte de l’intérêt général se porteraient mieux dans chacune des nations qu’au niveau européen. J’en suis moins sûr que toi.
L’angle d’analyse du monde d’aujourd’hui et de proposition ne me paraît pas être celui des nations contre la technocratie bruxelloise mais celui des opprimés et de l’intérêt général humain contre le capitalisme financier transnational dont les conséquences sont évidentes au niveau économique, social et financier au niveau européen comme dans chaque nation.
Je ne suis pas un parfait connaisseur des textes du MRC.
Est-ce que le respect des nations libres implique le refus d’instances européennes comme le Parlement européen ?
Le retour au franc étant impensable, ne devons-nous pas souhaiter une meilleure gouvernance politico-financière de l’euro permettant par exemple aujourd’hui une émission de monnaie pour arrêter sa surévaluation qui pénalise l’économie européenne ? Comment est-ce possible sans instance démocratique européenne ?
Les nouvelles techniques (transports, internet...) comme l’interdépendance des marchés poussent à la prise en compte du niveau supra national indépendamment de la nature de l’Union européenne. Victor Hugo l’avait bien compris en appelant à des Etats-Unis d’Europe. Devons-nous considérer l’Union européenne actuelle comme un embryon d’Etats-Unis d’Europe, démocratiques, laïques et sociaux ? Je ne le pense absolument pas ; l’Union européenne est une création du grand capital atlantiste. Ceci dit, les générations jeunes confondent leur désir d’Europe avec l’Union européenne en place et nous devons en tenir compte.
Lors du congrès du MRC, JP Chevènement a insisté sur " l’exigence démocratique qui est celle de la souveraineté populaire" européenne. Pour des républicains, cette souveraineté populaire ne peut se concrétiser en quelques experts représentant les chefs d’Etat ; il faut donc construire une France effectivement démocratique (6ème république) et une Europe effectivement démocratique. Dans les deux cas, il faudra que les peuples s’en mêlent, probablement sous ma forme d’une Constituante. s responsabilités dans les domaines de compétence européens.
Au plan institutionnel, je crois nécessaire de combiner un niveau européen avec les réalités nationales.
Ceci dit, plutôt qu’ergoter sur des subtilités autour de "confédération d’Etats nations", je me pose des questions simples et te rejoins dans la démarche valorisant les acquis sociaux et démocratiques des nations :
Comment défendre les services publics ? Je préfère évidemment le cadre national tant que l’Europe n’apporte pas un mieux aux salariés comme aux usagers.
comment résister au mieux au capitalisme financier transnational, comment défendre les salariés et couches populaires de plus en plus précarisées ? En matière de droit du travail et nombreux autres acquis, le cadre national reste protecteur et le cadre européen destructeur.
comment construire un rapport de force social et politique européen pour avancer par exemple vers un salaire minimum unique ...?
4) Pour quel type d’Europe luttons-nous aujourd’hui ?
Tu résumes ainsi tes propositions :
" Oui à l’Europe des peuples et des projets ! Oui à une Europe indépendante des Etats Unis d’Amérique !
Nous voulons une Europe qui respecte les peuples et les démocraties, une Europe de nations libres qui coopèrent solidairement".
Je ne veux pas analyser ta position à partir de ces trois affirmations seules. Nous baignons dans un contexte médiatique qui pousse aux positionnements caricaturaux et caricaturés, à des slogans plus qu’à des argumentations, à des confrontations simplistes plus qu’à des débats approfondis.
Entre nous, il doit être possible de débattre autrement.
En avril dernier, j’avais pris le temps de lire le rapport de Jean Pierre Chevènement au congrès du MRC qu’Alain avait, à juste titre, proposé pour publication sur notre site. J’en retiens quelques phrases :
" Il faut faire une Europe que les peuples puissent aimer et non pas une Europe rébarbative de la directive Bolkestein ou de l’allongement rendu possible à 65h par semaine de la durée du travail". Tout à fait d’accord.
"Pour ouvrir la voie d’une alternative républicaine, il faut impérativement articuler la critique sociale, ou si l’on préfère antilibérale, de la Constitution européenne et l’exigence démocratique qui est celle de la souveraineté populaire. Là est l’originalité de notre démarche". Cette position n’a rien d’original dans la gauche française. Le problème, c’est comment traduire institutionnellement cette souveraineté populaire européenne ? je ne vois pas de formule plus démocratique aujourd’hui que l’élection directe d’un Parlement européen, tout en redéfinissant le rôle des Parlements nationaux. En tout cas, je ne crois pas qu’une réunion des chefs d’Etat ou de leurs experts soit plus démocratique et plus protectrice.
" Une synthèse praticable avec Laurent Fabius : il a préconisé l’Europe des 3 cercles, zone euro, Europe élargie, Europe associée". Sur le fond, je suis d’accord à condition de ne pas sous-estimer le contexte du capitalisme financier transnational dont l’objectif me paraît être un grand marché transatlantique.
" Nous pourrions accepter un petit traité institutionnel, par exemple pour donner un président plus durable au Conseil européen - deux ans et demi renouvelable". Si le MRC défend cela, en quoi la proposition de processus constituant formulée par PRS serait-elle moins républicaine qu’un huis clos d’experts nommés par les chefs d’Etat sur ce sujet ?
5) Capitalisme financier transnational, Ségolène, Chevènement et l’Europe
Aujourd’hui, le développement du capitalisme financier transnational rend le niveau national insuffisant pour agir dans l’intérêt public, au niveau syndical, politique, associatif, institutionnel. Au niveau économique, le grand patronat a constitué depuis longtemps son niveau transnational et en partie européen. La création de l’euro constitue par ailleurs une réalité et le besoin de choix politiques sur ce terrain financier se fait sentir.
Penser le projet politique continental en terme seulement d’ Europe des projets respectant les peuples et les démocraties, ne répond pas à ce besoin. Quand tu avances le slogan d’Europe des projets, je comprends ta logique fondée sur des objectifs définis ensemble par les nations, mais cela n’est pas très éloigné de la position de Blair et globalement de Ségolène Royal. L’objectif des classes possédantes d’Europe c’est de laisser le champ libre au marché libre et non faussé, au grand capital, aux fonds de pension... Pour cela, deux choix se présentaient dans la social-démocratie, d’une part celui de Blair voulant tellement laisser libre le marché libre qu’il ne voulait pas entendre parler de constitution, d’autre part celui des porteurs du Traité constitutionnel. Les deux pistes ne valent pas mieux l’une que l’autre. Je ne suis pas surpris par l’évolution de Ségolène Royal du Oui au TCE à une "Europe des projets", "Europe par la preuve". C’est la même chose. Sans instance politique européenne de régulation, une Europe des projets ne pèsera pas lourd.
D’ailleurs, dans sa conférence de presse du 11 octobre, Ségolène Royal n’a guère bougé par rapport à sa campagne pour le oui :
Elle explique toujours le vote NON par le réflexe de peur de secteurs sociaux essentiellement archaïques face à la modernité. Il est vrai que les milieux ouvriers, paysans pauvres, précaires ont voté NON à la précarisation induite par le nouvel âge du capitalisme ; ce vote exprime un besoin de prise en compte des exploités et opprimés par le politique, prise en compte qui est au fondement du socialisme.
" les peuples sont au mieux indifférents, au pire méfiants à l’égard de l’Europe. Les progrès apportés par l’Europe sont méconnus ou occultés (...) Les égoïsmes nationaux se font plus virulents. Plus personne ne semble avoir de vision ou de volonté. Et pour finir, le non français et néerlandais »
"Je ne veux pas dire que le traité est mort parce que c’est trop défaitiste"
A la question de savoir s’il faut remettre en cause l’indépendance de la BCE, elle répond : « non, je n’irais pas jusque là » ...
Rien dans sa conférence de presse sur l’objectif poursuivi par les libéraux de transformer l’Union Européenne en zone de libre-échange afin qu’elle ne puisse pas constituer un outil de lutte face au capitalisme financier international et aux intérêts des classes dominantes.
Lors du débat télévisé, elle n’a pas pris de position claire pour limiter l’élargisement de l’Europe, affirmant qu’elle suivrait le point de vue du peuple français sur l’adhésion de la Turquie. Bizarre d’en appeler à un référendum sur ce point et de limiter la réflexion sur les propositions institutionnelles européennes à une nouvelle "convention". Drôle de démocratie participative européenne.
J’avoue avoir été surpris des ponts jetés par JP Chevènement, sur le fond de l’orientation, en direction de Ségolène Royal :
" Ségolène Royal, cheminant au milieu des obstacles, n’a-t-elle pas choisi une méthode originale qui, en remettant en cause les vieux tabous que j’avais moi-même cherché à briser sur la sécurité, l’Ecole, la nation, lui permettrait peut-être de rebrasser les cartes ? C’est l’hypothèse que j’ai formulée à l’Université d’été des Ulis, en vous invitant à suspendre provisoirement votre jugement". Bigre ! Je trouve que Ségolène Royal, sur ces sujets, s’est considérablement rapprochée de positions libérales, rien de plus.
" Tel est le défi que Ségolène Royal doit relever en ayant reçu le PS tel que je viens de le décrire, en héritage. Il me semble que de notre part, cette exigence de rigueur intellectuelle et morale n’a rien d’exorbitant car elle vaut pour l’avenir et nous ne réclamons nulle repentance, seulement un peu de conscience." La rigueur intellectuelle de Ségolène Royal ne plaisait pas à Lionel Jospin qui constatait "qu’elle ne parlait pas socialiste" ; je partage son point de vue.
" Ce legs difficile éclaire peut-être les raisons de la désignation de Ségolène Royal comme candidate du parti socialiste. Parce qu’elle symbolise, par sa féminité et sa jeunesse, ce besoin de renouvellement que le vieux parti socialiste ressent instinctivement mais qu’il n’a pas été capable de formuler par lui-même, écrasé qu’il était par ses querelles d’éléphants. Ainsi peut-être la désignation de Ségolène Royal est-elle une « ruse de la Raison », comme aurait dit Hegel. La vérité est que nous n’en savons rien, mais que nous le saurons bientôt. En tout cas sa tâche est rude si elle veut durablement s’attacher le soutien des classes populaires." Je ne partage pas du tout le point de vue que Ségolène Royal pourrait symboliser un renouvellement du Parti Socialiste ; au contraire, sa désignation confirme le glissement blairiste du PS de plus en plus à la recherche d’une personnalité apte à sauver les mandats de ses élus plutôt qu’à défendre l’intérêt des opprimés et l’intérêt général.
" Ségolène Royal, qui s’était engagée derrière le « oui » au projet de « Constitution européenne », a quand même déclaré, il y a deux mois, que ce projet était désormais « caduc » et qu’il fallait « faire l’Europe par la preuve ». Que Ségolène Royal soit passée du OUI au TCE à l’Europe par la preuve signifie seulement qu’elle veut gagner des voix parmi les partisans du Oui comme du Non et qu’en conséquence, elle noie le poisson
Avec mes amitiés républicaines, citoyennes et socialistes
Au plaisir de te revoir et d’en discuter de vive voix
Jacques Serieys
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