ATTAC, débat sur Europe et nations : réponse de Pierre Khalfa à Bernard Cassen

vendredi 23 février 2007.
 

Le 22 décembre, nous avions mis en ligne un article de Bernard Cassen intitulé : " Nier la dimension nationale dans la construction européenne serait une illusion absolue" (sous-rubrique "débats nation")

Au sein d’ATTAC, Pierre Khalfa vient de publier un point de vue différent ci-joint.

Bernard Cassen affirme que "seuls les gouvernements d’Etats-nations (agissant éventuellement sous la pression de leur opinion) peuvent mettre des grains de sable dans le processus néolibéral". On pourrait ironiser sur le "agissant éventuellement sous la pression de leur opinion". Bernard pense-t-il que les gouvernements qui ont mis en place l’Europe néolibérale vont de leur propre chef la déconstruire ? Au-delà, c’est l’affirmation que "seuls les gouvernements..." qui me paraît problématique et ne pas correspondre à la réalité. L’argument employé par Bernard sur le TCE pour justifier son affirmation est de ce point de vue paradoxal. Ce ne sont pas les gouvernements français et néerlandais qui ont bloqué le processus mais les peuples, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est une mobilisation populaire qui a bloqué le TCE, pas les gouvernements. Les gouvernements avaient eux négocié le TCE ! Bernard assimile sans cesse peuples et gouvernements. Si, comme il le dit, "les gouvernements issus d’élections démocratiques (même s’ils ne me plaisent pas) sont parfaitement légitimes et le méconnaître relève du coup d’Etat idéologique" on se demande à quoi sert Attac et plus généralement une telle affirmation s’apparente à une condamnation sans appel de tout mouvement d’interpellation citoyenne dans les pays "démocratiques". Il y a là une sorte d’angélisme sur la nature de la démocratie représentative qui fait abstraction de son fonctionnement réel, de ses limites intrinsèques et de l’existence d’intérêts dominants.

Ceci dit, personne ne nie l’importance d’agir au niveau national, mais agir simplement sur ce terrain est totalement insuffisant. Il faut être capable pour bloquer par exemple un projet de directive d’agir aussi au niveau européen et de combiner pression sur le Parlement et sur les gouvernements. La clef est la construction de mouvements sociaux et citoyens, évidemment au niveau national, mais aussi au niveau européen. S’en remettre aux gouvernements est suicidaire. Ceux-ci, et les gouvernements français sont des spécialistes en la matière, tiennent en permanence un double discours : lors des sommets européens ils mettent en place des orientations néolibérales qu’ils justifient ensuite auprès de leurs peuples par la contrainte européenne qu’ils ont eu-mêmes créée. Evidemment Bernard a raison d’affirmer, et ce la ne fait pas débat entre nous, que "si, d’aventure, un Etat se dotait d’un gouvernement refusant l’Europe néolibérale et jetait un seau de sable dans les rouages" cela modifierait de façon très importante les rapports de forces en Europe. Mais nous ne sommes pas hélas dans cette situation, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas travailler pour que cela arrive un jour.

La construction d’un espace public européen

Le désaccord est clair. Bernard considère comme une "illusion" le fait que des avancées institutionnelles puissent contribuer au développement d’un espace public européen qu’il appelle pourtant de ses voeux. Et de citer comme preuve le bilan du parlement européen depuis 30 ans. Le contre-sens est là total. Le parlement européen a été conçu comme un parlement croupion, sans pouvoir réel. Evidemment donc, il n’est pas apparu comme un enjeu politique. Or Bernard ne voit pas que les choses ont changé avec la montée en puissance de la codécision. Le rôle du parlement s’est accru considérablement à tel point qu’il devient une cible des mobilisations sociales et citoyennes comme par exemple l’ont montré les mobilisations sur la directive portuaire et sur la directive Bolkestein.

Il ne s’agit pas de dire que le parlement européen, en soi, serait une garantie de quoi que ce soit - ce serait faire preuve d’une naïveté sans borne -, mais de comprendre que son rôle accru sur le plan institutionnel est en train de changer son rapport aux opinIons publiques, et que nous avons intérêt à ce changement. Ce que refuse de voir Bernard, c’est que l’existence, ou pas, d’institutions modifient la configuration du champ politique. De plus, comment ne pas voir qu’une élection au suffrage universel centrée sur le contenu d’un nouveau traité, c’est-à-dire sur la nature de la construction européenne, permettrait d’ouvrir un débat dans toute l’Europe et serait ainsi de nature à accélérer la construction d’un espace public européen ? Comme l’a montré l’exemple du TCE à à l’échelle nationale, nous avons tout à gagner à un véritable débat public et à sortir des négociations secrètes entre Etats.

Les pistes avancées par Bernard ne sont pas fausses, elles sont largement insuffisantes, mais dans leur insuffisance, elles dessinent en creux une vision cohérente : celle du refus du combat pour faire de l’Europe une alternative au néolibéralisme, alors même que le niveau européen pourrait être le niveau pertinent face à la mondialisation libérale. De plus il est illusoire de croire que l’on construira une espace public européen par l’accumulation des échanges bilatéraux (ce qui ne veut pas dire qu’ils soient inutiles, c’est même sans doute à encourager, comme d’ailleurs la proposition de Bernard sur les langues). Au passage, combien sont-ils les citoyens français à connaître l’histoire et les traditions particulières des diverses régions de France ? Pas beaucoup, et pourtant, cette histoire fait partie de la construction d’un peuple français. Un espace public européen repose sur la conscience d’un destin commun et donc sur des moments de décisions communes. Le choix que nous avons est, soit de s’en remettre comme par le passé aux gouvernements qui nous ont concocté une Europe antidémocratique et néolibérale, soit de faire en sorte que les peuples puissent intervenir directement dans le processus. C’est ce deuxième choix que je soutiens.

Pierre Khalfa


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