Retraites « Il y aurait aussi un autre mode de vie à inventer » ( Robert Guédiguian, cinéaste)

lundi 25 octobre 2010.
 

Le cinéaste Robert Guédiguian nous livre son regard sur le mouvement social, depuis Marseille où il tourne actuellement les Pauvres Gens, son prochain long métrage avec Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin.

L’ampleur du mouvement social contre la réforme des retraites vous surprend-il  ?

Robert Guédiguian. Non, mais je pense que cette forte mobilisation n’est pas seulement liée à la réforme des retraites. Elle est associée à la crise générale, qui touche l’emploi, l’éducation, la santé, les services publics… Ce mouvement traduit une volonté plus globale de changement. Ce qui me réjouit  ! Parce que la réforme des retraites est une mesure à laquelle je m’oppose évidemment, mais de laquelle aussi, je considère que l’ensemble de la gauche, des associations, des syndicats, et des partis qui se préoccupent de ces questions, ne s’occupent pas comme il faut depuis vingt-cinq ou trente ans. Car la question des retraites est indissociable de la question anthropologique.

Qu’entendez-vous par la question anthropologique  ?

Robert Guédiguian. On ne peut pas dégager la question des retraites de celle de la place d’une personne de 60, 70, 80 ans dans nos sociétés. J’ai 57 ans, mon père est mort l’année dernière à 88 ans, je me pose la question de savoir comment des gens de cet âge restent actifs, debout, utiles à la société et je me refuse à poser ces questions du point de vue exclusivement du financement. Or, c’est ce qu’on fait depuis des années. Et je crois que cela ne suffit pas au bonheur des vieilles personnes. Il ne s’agit pas que de financement, même si évidemment la question se pose. Concernant le montant des retraites, par exemple, ma mère touche 700 euros par mois, donc je sais ce qu’est la retraite des pauvres. Mais à force de poser la question sous la forme quantitative, depuis vingt-cinq ou trente ans, on finit par croire qu’elle n’est que quantitative. J’aurai aimé, mais je ne jette la pierre à personne, que nous réfléchissions ensemble, de façon générale, à la question de la place de l’homme dans la société, ce que j’appelle la manière anthropologique. Il faut allier la question des retraites à une réflexion sur une société supérieure avec une vision plus enthousiasmante. Or, aujourd’hui, plus on se bat, moins on recule vite… mais tant qu’il n’y aura pas de contre-propositions, on ne regagnera pas du terrain. J’appelle à une révolution intellectuelle.

Vous posez la question 
de la place de l’homme et de son épanouissement dans la société…

Robert Guédiguian. Oui. D’ailleurs, la droite martèle son foutu argument « si on vit jusqu’à 100 ans, on ne va pas être à la retraite à 60 ans », cela semble avoir la force de l’évidence, mais les questions sont à poser différemment. Il y a peut-être d’autres modes de travail, d’autres modes d’utilité sociale, d’autres modes même de bonheur pour une vieille personne, quel que soit le travail qu’elle a fait. Elle a peut-être envie de rester utile à la société dans laquelle elle vit. Et je ne parle pas que des intellectuels  : par exemple, lorsque mon père, qui était mécanicien, a pris sa retraite, il réparait gratuitement, tous les après-midi, les bateaux de ses amis sur des quais à l’Estaque. Il aimait transmettre son savoir et pourtant il avait eu un métier éminemment pénible, trente accidents du travail… Donc c’était bien qu’il soit à la retraite mais c’était bien aussi qu’il ait son activité. Il en a pris l’initiative tout seul, mais cela n’est pas toujours possible, il faudrait que la société l’organise, l’invente. Il ne s’agit donc pas de dire simplement  : « Oui, le financement existe, finançons et restons comme on est. » Non, non et non  ! Lorsqu’on parle de contre-propositions, c’est un abus de langage  : ce sont des contre-propositions sur le financement, pas sur le mode de vie. Donc je suis un peu fâché sur la manière dont le combat est mené. Mais évidemment je le soutiens et pense que cette réforme est mauvaise  !

Après les précédentes fortes mobilisations, le gouvernement est resté droit dans ses bottes, pensez-vous qu’il cédera  ?

Robert Guédiguian. Il faut que le mouvement ait une ampleur exorbitante pour que le gouvernement cède. Car il y a tout de même beaucoup de personnes qui ne manifestent pas et pensent cette réforme nécessaire. Pour que le gouvernement plie, il faut donc que les manifestations soient d’une ampleur démesurée, sans parler de grèves reconductibles, il faudra qu’il y ait un raz de marée. Le gouvernement ne cédera que s’il y est obligé.

Entretien réalisé par 
Anna Musso


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