Retraite : La manoeuvre des centristes

mercredi 13 octobre 2010.
 

Extrait du blog de François Delapierre, délégué général du Parti de Gauche

Ainsi le Sénat vient d’adopter l’article reportant à 62 ans l’âge légal de départ en retraite. Vous vous souvenez qu’il y a à peine deux jours on nous expliquait que le vote serait difficile en raison de la résistance des élus centristes. Quelle fable ! Je me suis renseigné sur leur attitude auprès de ma camarade Agnès Labarre, sénatrice PG de l’Essonne, et de son assistant Sacha Tognolli.

J’étais en effet invité jeudi soir de Public Sénat pour une émission spéciale sur cette question [...]. A l’origine j’aurais dû parler de la visite du pape au Vatican face à Hervé Mariton. Puis à quelques minutes d’intervalle la chaîne m’annonce que ce sujet est décommandé en raison de l’actualité exceptionnelle sur les retraites au Sénat puis me demande de venir quand même sur ce nouveau sujet. Bon il faut être flexible d’autant que ma journée au boulot ne me laisse pas l’opportunité de préparer ! Sur place je découvre deux nouveaux invités : la sénatrice Tasca mais aussi un sénateur centriste Tiens, c’est Public Sénat qui avait déjà interrogé Jean-Luc Mélenchon en plein rassemblement sur les retraites sur ce qu’il attendait des sénateurs centristes. C’est assez compréhensible que cette chaîne donne beaucoup de poids à la décision de l’Assemblée à laquelle elle est liée et dans laquelle les centristes font mathématiquement la bascule. La réponse de Jean-Luc Mélenchon a pas mal circulé car il avait déclaré qu’un centriste est toujours fourbe et faux. Du miel pour le « buzz » ! En tout cas son point de vue est assez documenté : il les a longuement fréquentés au Sénat. Moi je ne les connais guère. Mais l’attitude dont ils viennent de faire preuve dans ce débat confirme largement ces propos !

Reconnaissons au moins un mérite au président des centristes au Sénat, Nicolas About. Il ne cache pas son adhésion à la philosophie de la réforme Sarkozy. Voici un extrait édifiant de ses propos dans l’hémicycle : « il faut bien reporter l’âge légal et celui du départ à taux plein sans décote. Révolution mentale difficile pour ceux qui s’accrochent à des acquis d’un autre temps (…) Il est temps de rompre avec la conception antique du travail comme esclavage ». Oui vous avez bien lu, c’est aux salariés qu’il fait la leçon en matière d’esclavage et non aux patrons. Il ne manque pas de culot pour vanter la modernité du travail jusqu’à la mort, qui était justement le sort des esclaves qui n’avaient pas d’autre valeur que leur force de travail. Les centristes adressent néanmoins un reproche à la réforme : ils la trouvent trop modérée. Ecoutons encore About : « Ce projet de loi ne peut être la réforme définitive, ne serait-ce qu’à cause d’une prévision de taux de chômage trop optimiste. Il faudra encore réfléchir à un système par point. »

A quoi servent donc ces centristes qui sont tout autant que leurs collègues UMP des champions de la régression sociale ? A une mise en scène qui vise à faire croire que le projet a été adouci, non pas grâce à la mobilisation sociale ou à la gauche mais grâce au rôle modérateur des centristes dans l’enceinte parlementaire. Dans cette manœuvre, les centristes du Sénat sont la pièce essentielle. Jeudi 7 octobre au matin, Sarkozy réunit ministres et sénateurs, dont le président du Sénat Larcher, pour leur demander de présenter et soutenir deux amendements : l’un qui suspend la décote à 65 ans pour les femmes qui ont eu trois enfants et qui sont nées entre 1951 et 1955. Cette mesure transitoire concerne seulement 25000 femmes par an. Cela n’empêche pas Woerth de dire qu’ainsi le problème des inégalités que subissent les femmes est réglé. Ignore-t-il que beaucoup de femmes n’ont pas eu trois enfants ? L’autre amendement porte sur la non décote à 65 ans pour les parents d’enfants handicapés qui se sont arrêtés de travailler pour s’en occuper. On voit que le cœur de la réforme est inchangé. Mais les centristes saluent immédiatement ces « avancées ». Ils aident alors à tripoter l’ordre du jour du Sénat pour obtenir que le recul à 62 et 67 ans des âges de départ en retraite soit voté avant la manifestation du 12 octobre. C’est Nicolas About qui demande le report des amendements du groupe communiste et des sénateurs du Parti de Gauche à la fin de la discussion de la loi. Dans le même temps la droite sénatoriale décide d’examiner les articles 5 et 6 (durée à 62 et 67 ans) avant même d’avoir abordé l’article 2 ! Ils veulent devancer la mobilisation qu’ils craignent par-dessus-tout car elle pourrait emporter toute leur réforme tout en faisant croire que c’est l’attitude du groupe centriste du Sénat qui est la question décisive !

Je suis certain que cette mise en scène se retourne déjà contre ses instigateurs. D’abord, en cherchant à apparaître comme l’auteur de ces amendements, Sarkozy confirme qu’entre lui et la rue il n’y a rien. Dès lors le débat du Sénat n’est plus un enjeu. Il y a d’ailleurs un précédent assez extraordinaire si on y réfléchit bien. C’est celui du CPE. La loi avait été votée par le Parlement. Elle a été effacée par le refus de Chirac, contraint par la rue, de la promulguer. Le Parlement n’a même pas eu à revoter pour l’abroger. Cette survivance du droit de veto royal a son revers : vote parlementaire ou pas, Sarkozy est bien responsable de bout en bout, c’est lui qu’il faut faire céder, il sera donc la cible des manifestants. Cette manœuvre a aussi un autre effet qui ruine l’argumentaire gouvernemental et nous donne involontairement raison. L’amendement familialiste repris par Sarkozy avait été défendu par des élus de droite à l’Assemblée. Woerth s’y était alors violemment opposé : cela coûterait plus de 3 milliards, c’est impossible vous n’y pensez pas ! Mais en quelques heures ce qui était impossible est devenu parfaitement faisable. Il aura suffi de relever de 0,2% le prélèvement sur le capital et passer de 17 à 19% l’imposition sur les plus-values immobilières. Le Medef qui crie au voleur dès qu’on se contente de jeter un œil sur les profits patronaux n’a pas dit mot. C’est qu’il lui en reste beaucoup et que le capital sort toujours grand gagnant d’une telle réforme. La preuve est donc faite qu’il reste dans le coffre-fort de la bande beaucoup d’argent disponible pour financer le droit à une retraite décente pour tous. Tout est question de partage et donc de rapport de forces entre travail et capital. Voilà le vrai enjeu de l’heure.


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