Léon Blum en février 1934 face au fascisme

dimanche 30 janvier 2011.
 

Du 6 au 12 février 1934, comment la France ouvrière et républicaine a stoppé le fascisme (témoignage de Léon Blum)

Léon Blum, dirigeant du Parti socialiste SFIO, n’est pas mon modèle, loin de là. Il n’empêche qu’il a fait preuve en ce moment crucial entre le 6 et le 12 février 1934 d’une clarté, d’une énergie et d’une détermination méritoires.

1) Dès la soirée du 6 février, au moment où les troupes de choc des ligues factieuses d’extrême droite attaquent le Parlement défendu par la police (avec des ordres assez fermes de Daladier, radical de gauche, chef du gouvernement), il monte à la tribune de l’Assemblée pour lancer un avertissement : si le gouvernement ne stoppe pas les fascistes, « nous lancerons un appel aux masses ouvrières et paysannes ».

Son intervention présente plusieurs qualités :

• Blum comprend bien que la démagogie dans le sens du poil des anciens combattants cache le but essentiel du fascisme dans quelque pays que ce soit : laminer les droits civiques et sociaux des travailleurs pour mieux protéger les profits des capitalistes « Ce n’est même plus la dissolution que visent les réactionnaires, c’est la main mise brutale sur les libertés publiques que le peuple des travailleurs a conquises, qu’il a payées de son sang, qui sont son bien, qui restent le gage de son affranchissement final ».

• En un moment où se joue le rapport de forces face au fascisme déjà vainqueur en Italie, au Portugal, en Allemagne, bientôt en Espagne… Blum sait mettre le gouvernement en place devant ses responsabilités sans le rejeter avec les factieux « Si le gouvernement mène la lutte avec assez d’énergie, avec assez de foi dans la volonté populaire, il peut compter sur nous »

• Surtout, Blum annonce sa détermination à en appeler à la levée en masse des ouvriers, paysans et tous les républicains pour stopper les énergumènes cravatés du 6 février. Si le gouvernement « manque à son devoir, c’est nous qui dans le pays tout entier, lancerons l’appel aux forces républicaines en même temps qu’aux masses ouvrières et paysannes ».

2) Dans les journées du 7 et du 8 février, Léon Blum reste en permanence dans les locaux du Populaire (journal de la SFIO) en compagnie de Jean Zyromsky et Marceau Pivert (dirigeants de la fédération socialiste de la Seine et animateurs nationaux de la gauche du parti) .

La Commission Administrative Permanente de la SFIO se réunit. Elle décide sur leur proposition et contre les représentants du Secrétariat Général de préparer une manifestation publique.

« Il ne restait plus qu’à l’organiser. Nous voulions frapper fort et aussi frapper vite. Nous sentions que la réplique au défi fasciste devait être prompte, presque immédiate. Cela se passait dans la journée du 7 et du 8. Notre espoir était d’être prêts pour le 9.

3) « L’attitude du Parti Communiste dans la journée (du 6) avait été plus qu’équivoque. L’Humanité du 7 avait flétri « Daladier le fusilleur ». Cependant, nous décidâmes que nos fédérations de la Seine et de la Seine et Oise lui feraient appel. Notre désir de provoquer la plus puissante concentration possible de forces populaires était tel que nous n’hésitâmes pas à tenter cette chance. D’ailleurs l’intérêt du Parti communiste n’était-il pas d’accepter ? La constitution en France d’un Etat pré-fasciste ou néo-fasciste ne représentait-elle pas une menace plus directe encore pour lui que pour nous ?

« La démarche fut faite. Elle se heurta à une fin de non-recevoir. Les communistes entendaient faire leur opération à eux, leur opération à eux seuls. Et ils lancèrent en effet dans les faubourgs du Nord et de l’Est de Paris l’étrange attaque de la soirée et de la nuit du 9 février qui reste encore, elle aussi, un des points obscurs de l’histoire de cette période…

4) « Du côté de la vieille CGT, l’accueil fut tout autre. Lorsque nous allâmes rue Lafayette, rendre visite à ses dirigeants, nous nous sentîmes aussitôt en accord complet avec eux.

« Mais une difficulté d’ordre pratique se présentait : Nous proposions une démonstration publique aussi prochaine que possible, de préférence pour le 9… Le Bureau confédéral de la CGT avait déjà adopté le principe d’une grève générale de vingt quatre heures dont la préparation exigeait un certain délai, et dont la date ne pouvait être pratiquement fixée avant le 12.

« La résolution des délégués socialistes fut aussitôt prise. Nous déclarâmes à nos amis de la CGT, que malgré l’inconvénient du retard, nous renoncions à notre date et que nous nous rallions a la leur.

« Ce fut la détermination décisive, grève et manifestation se confondraient et se multiplieraient l’une par l’autre. Les grévistes deviendraient des manifestants et on ferait grève pour manifester

« La journée du 12 février était née. »

5) « Mais comment allait réagir le gouvernement Doumergue (radical de droite) issu de cette insurrection fasciste (du 6 février) ? N’allait-il pas interdire notre manifestation ? Faudrait-il passer outre ? N’allions-nous pas au devant d’un choc sanglant entre la masse des manifestants et les forces gouvernementales ? J’offris de porter directement la question devant Gaston Doumergue…

« Sa décision n’était pas encore prise. J’obtins de lui - et je dois l’attester, sans trop de peine- qu’aucune interdiction ne nous serait opposée et que tout contact direct serait évité entre la foule et le service d’ordre. Ce qui le détermina, autant que j’en pus juger, ce fut notre résolution bien arrêtée qu’il sentit en nous de persévérer dans notre dessein coûte que coûte, et la crainte de marquer d’une touche sanglante son gouvernement naissant.

« Interdite ou non, la manifestation aurait eu lieu. Elle aurait été illégale, c’est entendu. On peut soutenir aussi, si l’on veut, que la grève générale ordonnée par la CGT était illégale. Mais nous ne nous placions pas, je l’avoue, sur le plan de la légalité.

« L’insurrection fasciste du 6 février avait attenté à la République. C’est pour défendre la république, pour préserver l’essence de la République que nous nous serions élevés, s’il l’avait fallu, au dessus de la loi républicaine. Sans nul trouble de conscience, nous aurions enfreint la loi écrite pour le salut de la liberté qui est la loi suprême…

« La journée du 12 février eut donc lieu. »


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