23 septembre 1977 Rupture de l’Union de la Gauche

dimanche 24 septembre 2023.
 

Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1977, le programme commun est rompu par l’échec des négociations entre le PCF et le Parti socialiste.

Ci-dessous, analyse des causes et des conséquences par le Parti de gauche et par Roger Martelli (historien, membre du PCF à cette époque).

1) 23 septembre 1977 Rupture de l’Union de la Gauche

Source : http://www.lepartidegauche.fr

Il avait été signé le 26 juin 1972 par le PS et le PC. Le mouvement des radicaux de gauche y avait apposé sa signature le mois suivant. Il comprenait notamment la semaine de 40 heures, la nationalisation de secteurs-clé, l’intervention de l’État dans le secteur bancaire et l’instauration d’un contrat de législature liant le Gouvernement et la majorité parlementaire pour son application. C’était le premier programme de cette nature depuis la scission du Congrès de Tours en 1921 et la première stratégie de rassemblement de la gauche depuis 1936.

Les élections municipales de 1977 marquent la nette victoire de la gauche, notamment grâce aux désistements de second tour. L’Union de la gauche devient majoritaire dans le pays, une première depuis 1958 !

Une réactualisation du programme commun est prévue aux lendemains des élections municipales. Mais, depuis sa première mouture six ans plus tôt, le PCF connait un déclin. Aux élections de 1974 il obtient moins de voix que le PS. Cette tendance se confirme en 1977. Lors des négociations le PCF fait valoir de nouvelles revendications : plus de nationalisations, davantage de pouvoir aux syndicats au sein des entreprises nationalisées...

Dès la réunion des 14 et 15 septembre, Robert Fabre, dirigeant du MRG critique la rigidité et la surenchère communiste : « les radicaux de gauche regrettent de constater que le parti communiste a maintenu ses nouvelles propositions, bouleversant les principes et les équilibres sur lesquels avait été fondé le programme de 1972. L’actuelle réunion au sommet ne peut se poursuivre ». Les négociations se poursuivent pourtant entre communistes et socialistes. Mais dans la nuit du 22 au 23 septembre 1977, un ultime essai de replâtrage échoue. En réponse à cet échec, lors du Congrès de Metz d’avril 1979, François Mitterrand appelle les socialistes à être « unitaire pour deux ».

Malgré sa rupture, le programme commun a enclenché une dynamique débouchant sur la victoire de 1981. En outre, il a permis qu’un acquis fondamental perdure : celui du désistement au second tour en faveur du candidat de gauche le mieux placé.

2) Septembre 1977, la rupture du programme commun

(par Roger Martelli Historien)

À l’initiative du Parti communiste, le programme commun est signé en juin 1972 entre les trois partis (PS, PC, radicaux de gauche). Cinq ans plus tard, les négociations concernant une «  réactualisation  » échouent…

Au printemps de 1977, les partis signataires du programme commun de gouvernement (PCF, PS, radicaux de gauche) ont le vent en poupe. Ils ont raflé la mise aux élections municipales de mars – le PCF dirige près de 1 500 municipalités. La droite, divisée depuis 1976, est menacée. Le 31 mars, la direction communiste propose à ses partenaires  d’«  actualiser  » le programme commun, dans la perspective des élections législatives de l’année suivante. Le 7 avril, le PS accepte. Un groupe de 15 discutera des points en litige  : Charles Fiterman, Philippe Herzog, Pierre Juquin, Jean Kanapa et Paul Laurent y représenteront le PC. Entre-temps, chacun a pris ses marques. Face à la crise qui s’incruste depuis quatre ans, le PCF veut durcir le volet social du programme et conforter les outils de régulation publique, en élargissant notamment le champ des nationalisations. Le PS de François Mitterrand, lui, veut assurer son image de «  réalisme  » et écarter tout ce qui nourrit les accusations de «  maximalisme  ».

Les divergences ne manquent pas  : outre le dossier économico-social, on note entre autres celui de la force de frappe nucléaire (le PCF vient de s’y déclarer favorable, au rnom d’une politique de défense indépendante et «  tous azimuts  ») et celui de l’élection envisagée du Parlement européen au suffrage universel. Pourtant, quand s’engage concrètement la négociation, à la fin mai, les partenaires semblent encore désireux de parvenir à un accord.

Deux mois de travail, 15 longues séances, cent heures de discussions serrées… et de nombreuses passes d’armes publiques. Le PC, qui se méfie de son allié socialiste, entend que tous les engagements nécessaires soient bien consignés dans le programme mis à jour. Au contraire, l’œil sur les réajustements qui sont en train de s’opérer dans la social-démocratie européenne, le PS souhaite s’engager le moins possible sur ce qu’il va faire au pouvoir.

À la fin juillet, les négociateurs sont tout de même en voie de parvenir à un accord. Le 28, un protocole encourageant est rédigé, qui laisse augurer d’un bon «  sommet  » des trois partis, au début de septembre.

C’est compter sans les inquiétudes du côté du PC. Le 17 juillet, Georges Marchais s’est exprimé sur TF1 pour affirmer qu’il ne serait pas question d’aller au pouvoir pour «  gérer la crise  ». Le 30, après la dernière réunion du groupe de travail sur le programme, il tance vertement les négociateurs  : «  Vous avez capitulé  !  »

Nul ne dit vouloir rompre, mais la polémique enfle peu à peu. Le 3 août, Marchais refuse toute nouvelle concession, laissant entendre que le PCF ne peut plus transiger sur les points restés en suspens. Le 8 août, Mitterrand dénonce l’«  escalade verbale  » du PC et se pose en champion de la «  liberté  ». Le 9 septembre, devant le comité central, Marchais n’exclut pas la «  possibilité d’une rupture  ». «  Oui au programme commun, non au programme communiste  », affirme au même moment Mitterrand.

Le PCF portera seul le chapeau de la désunion

Le 14 septembre, lors d’une réunion au sommet, le leader des radicaux de gauche, Robert Fabre, claque la porte  : si le PC maintient ses exigences sur le «  seuil  » des nationalisations, la discussion n’a plus de sens. Il reviendra à la table des négociations, mais la messe est dite. Fabre est le «  modéré  » et Marchais le «  maximaliste  », ce qui laisse à Mitterrand la posture confortable… au centre. Celui qui fut à deux reprises le candidat de la gauche à la présidentielle continue de se réclamer du programme commun et de l’union de la gauche, mais il est débarrassé de l’hypothèque communiste. Du gagnant-gagnant, dans une opinion de gauche qui souhaite un accord à tout prix…

Le 24 septembre, à 1 h 14 du matin, le constat du désaccord est dressé. Le programme ne sera pas réactualisé. Chaque parti ira à la bataille avec sa propre lecture de l’œuvre commune de 1972. Le PCF va payer cher l’épisode de la négociation manquée. Alors que les responsabilités de la rupture sont pour le moins partagées, c’est lui qui portera le chapeau de la désunion.

Quand il signe le programme, en juin 1972, il est persuadé qu’il tirera le bénéfice d’un accord qu’il a réclamé le premier et qu’il a défendu bec et ongles pendant des années. Or, le scénario optimiste ne s’est pas réalisé. Les socialistes, aux abois à la présidentielle de 1969, ont comblé bien vite le retard qui les sépare des communistes depuis 1945. En 1977, Georges Marchais et le groupe dirigeant pensent qu’ils peuvent encore contraindre le PS à des concessions et infléchir l’union vers la gauche. Un an plus tard, les espérances sont déçues et le PS passe en tête. Encore trois ans et, en 1981, il triomphe sans appel, tandis que le PCF amorce un déclin électoral quasi continu. À lire  : L’Union sans unité. Le programme commun de la gauche, 1963-1978, de Danielle Tartakowsky, Alain Bergounioux. Presses universitaires de Rennes, 2012 De battre mon cœur n’a jamais cessé, de Pierre Juquin. Mémoires, l’Archipel, 2006. Croissance et contestations, 1958-1981, de Jean Vigreux. Seuil, 2014. Un «  mystère marchais  »  ?

On a glosé sur l’attitude de Georges Marchais en juillet 1977. On a évoqué la main de Moscou, alors même qu’en 1977 ses relations avec le PC soviétique sont au plus bas. En fait, le secrétaire général est obsédé par l’idée que le PCF pourrait se trouver satellisé par le PS. L’homme, on le sait, a le verbe haut et une présence médiatique avérée. Il est persuadé qu’en haussant le ton et en appelant «  les masses  » à la rescousse, il obligera le PS à plier. Au fond, il ne fait rien d’autre que ce que le PC pratique depuis 1973. Tiraillés entre l’exigence unitaire et la peur de perdre leur leadership sur la gauche, les communistes oscillent entre la surenchère unitaire et le bras de fer avec le PS. C’est compter sans le fait que Mitterrand est ravi de montrer qu’il n’est pas l’otage des communistes. Au jeu du chat et de la souris, c’est lui le vainqueur.


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