Il y a un peu plus de cent ans, en 1914, le court vingtième siècle commençait par la grande guerre, rebondissait à Saint Pétersbourg au mois d’octobre 1917, qui accoucha d’une révolution mise en mouvement par les laissés pour compte de la boucherie des tranchées.
Obnubilés par le souvenir de ce qui est souvent présenté comme un coup d’état, suivi d’un régime oppressif, nous ne nous souvenons plus que la révolution russe fut d’abord initiée par une manifestation de femmes, le 8 mars 1917. En quatre jours, elles furent rejointes par les ouvriers de Poutilov et les soldats chargés de les réprimer. Ce soulèvement populaire réussit à abolir le régime tsariste en reprenant les aspirations de dizaines de millions de paysans et d’ouvriers qui réclamaient la paix, le pain et la liberté. C’est parce qu’elles ne furent pas prises en compte par les socialistes de l’époque, les mencheviks d’Alexandre Kerenski, que Vladimir Lénine et ses compagnons prirent le pouvoir au mois d’octobre 1917.
Si je rappelle cet épisode, ce n’est pas seulement pour revenir à un moment fondateur du vingtième siècle, mais parce que l’année 2017 rassemble les conditions d’une rupture dans le système dont la profondeur est similaire à celle d’il y a un siècle.
Une situation mondiale caractérisée par la guerre dans tout le Moyen-Orient et dont les conséquences se font sentir dans les démocraties occidentales à chaque attentat. Une situation de chaos géopolitique où de grandes puissances, la Chine, les Etats Unis et la Russie, ont des intérêts contradictoires dans un monde instable. Une division de l’Europe jamais atteinte depuis la fin de la seconde guerre mondiale et une crise multiforme, d’abord écologique mais aussi migratoire, sociale et culturelle, qui bouscule les individus au plus profond de leur intimité. Un mode de développement bouleversé par la nécessité d’une transition énergétique d’une ampleur inégalée depuis l’avènement du pétrole. C’est d’ailleurs en 1916 que les accords entre Mark Sykes et François Georges Picot, un des éléments du démantèlement de l’empire ottoman, figèrent la situation en créant l’Irak et la Syrie pour servir les intérêts des nouveaux maîtres du monde de l‘époque, les compagnies pétrolières.
Il y a un autre point commun, c’est la pusillanimité des politiciens français, allemands, russes ou anglais. A part Jean Jaurès, Rosa Luxembourg et quelques autres, peu avaient conscience de l’immensité des défis que le monde attendait. Jusqu’au bord du gouffre, ils s’afféraient à leurs habituels joutes parlementaires, croyant que leur monde, celui de la belle époque, était immuable.
Aujourd’hui, les participants à la primaire socialiste font un peu penser à ce théâtre d’ombres où une mauvaise pièce, sans cesse rejouée, débouche sur le néant politique. En effet, qui peut croire un seul instant que la gauche ou l’écologie se régénéreront à travers trois débats réunissant quatre anciens ministres d’un président ayant auto abdiqué et trois affidés cherchant obstinément à se raccrocher à un pouvoir en lambeaux ? C’est pourtant le spectacle affligeant auquel nous sommes en train d’assister, alors que sont déjà représentés les deux pôles de ce que nous nommions au siècle dernier la gauche, le social libéralisme en la personne d’Emmanuel Macron et la gauche écologiste de transformation avec Jean Luc Mélenchon, et qu’Europe Ecologie Les Verts (EELV) cherche désespérément à être présent pour représenter l’écologie politique.
Les partis sont contestés par l’émergence de nouvelles forces issues des rangs des exclus du système et le Parti Socialiste est devenu le représentant du système par excellence, connivence des élites, entre soi, apparatchiks n’incarnant que leur volonté vorace d’accéder par tous les moyens à un pouvoir sans partage pour que surtout rien ne change, arrogance envers les plus défavorisés et soumission aux privilégiés.
Pendant un mois, le Parti Socialiste va monopoliser le terrain médiatique pour pas beaucoup de choses, car au final et quel que soit les débats entre les héritiers de Tony Blair et de Michel Rocard, les uns comme les autres ne seront pas présents au second tour des élections présidentielles. La seule chose qu’ils pourront préempter, c’est le prochain congrès du Parti Socialiste, si ce dernier survit à la prochaine séquence électorale.
Ceux qui, à gauche ou dans l’écologie, souhaitent voter à cette élection primaire des dupes se trompent lourdement. Ils ne sauveront ni la gauche, ni le Parti Socialiste, mais ils auront contribué une fois de plus à semer quelques illusions, qui retomberont dès le lendemain, mettant surtout en lumière les divisions d’un appareil et le bilan d’un quinquennat qui aura déçu ceux qui, comme moi, avaient voté pour ce qu’ils croyaient être le combat contre la finance et se sont retrouvés avec la déchéance de nationalité, l’utilisation du quarante neuvième article de la constitution de la cinquième république française, la loi travail et, en prime, la mort de Rémi Fraisse.
Le jeu de dupes est encore plus écœurant quand on entend Manuel Valls proposer la suppression du quarante neuvième article de la constitution pour grappiller quelques voix, après l’avoir imposé aux français pour faire passer la loi travail. Le Parti Socialiste et ses élections primaires ne sont donc pas la solution, mais le problème. Et nous devons le défaire pour ouvrir une autre voie et une autre espérance.
Mais un éditorial de nouvel année suppose d’abord de partir du bon pied et de souhaiter une bonne et heureuse année à tous, une année de joie, de solidarité et de fraternité. Les bonnes nouvelles existent aussi, tel ce procès intenté à des gens formidables, ceux de la vallée de la Roya dans le sud est de la France, qui n’hésitent pas à désobéir pour sauver des enfants réfugiés. La relaxe d’un des accusés fait chaud au cœur, même si le parquet, en faisant appel de la décision, montre que l’état s’entête dans l’injustice. Alors que le préfet et le président du conseil départemental ne respectent pas la convention internationale des droits de l’enfant, les désobéissants, eux, sauvegardent les principes universalistes et la dignité de la France. Ils nous ont apporté une bouffée d’air frais et prouvé que nous ne perdons que les combats que nous ne menons pas.
Bonne année à toutes et à tous.
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