La crise. Quelle alternative ?

dimanche 26 septembre 2010.
 

1) Lutter contre les inégalités pour sortir de la crise

2) Renationaliser les banques

3) Portons des propositions alternatives audacieuses

4) Le fruit mûr ne tombe pas tout seul

1) Lutter contre les inégalités pour sortir de la crise

par Nasser Mansouri-Guilani, responsable de la commission économie de la Cgt

1. Les inégalités sont de nature diverse, même si habituellement, on les désigne par référence au revenu ou au patrimoine des individus.

Citons par exemple, les inégalités dans le travail (salaires des femmes inférieurs à ceux des hommes, précarité de l’emploi surtout parmi les jeunes et les femmes, accès inégal à la formation professionnelle) ou encore devant les retraites (espérance de vie plus courte parmi les ouvriers ; pension des femmes plus faible que celle des hommes ).

Pour s’en tenir aux définitions classiques, on notera que nous vivons dans un monde fortement inégalitaire. Ainsi, pour peu qu’on puisse parler des statistiques mondiales, les 20% les plus riches du monde ont droit à 86% du PIB mondial. Inversement, les 20% les plus pauvres n’ont accès qu’à 1% du PIB mondial.

Les inégalités ont fortement augmenté au cours des deux dernières décennies partout dans le monde. Il ne s’agit pas simplement d’un creusement des écarts entre "pays riches" et "pays pauvres", comme on entend souvent dire. Les inégalités se sont creusées dans chaque région, dans chaque pays.

2. Comment en est-on arrivé là ?

Le monde connaît depuis plusieurs décennies une période de fortes mutations technologiques que synthétise le concept de "révolution informationnelle". Ces nouvelles technologies permettent de segmenter les processus productifs, de délocaliser des pans entiers de l’activité économique. Cette possibilité technique devient réelle grâce aux décisions politiques de déréglementation et de libéralisation des économies, avec à la clé la libre circulation des capitaux. Il en résulte une mise en concurrence des travailleurs et plus largement des systèmes socio-productifs à travers le monde.

L’une des conséquences de cette mise en concurrence est une déformation du partage des richesses nouvelles créées par les travailleurs, de la valeur ajoutée, au détriment de ceux-ci. Ainsi, en France la part des salaires au sens large comprenant les cotisations sociales, dans la valeur ajoutée, a chuté de 10 points entre 1983-1989 et se stabilise depuis. Toutefois, cette stabilité apparente dissimule une inégalité croissante au sein du salariat, car la dynamique salariale a été très faible pour une grande majorité de salariés, tandis que les rémunérations des 10% les mieux rémunérés, principalement les dirigeants d’entreprises, ont fortement augmenté.

Pour mesurer l’ampleur des pertes pour les travailleurs, on rappellera que chaque point du PIB représente 20 milliards d’euros par an. Il y a donc, en gros, quelque 200 milliards d’euros qui passent, chaque année et ceci depuis une vingtaine d’années, du camp du travail à celui du capital. C’est là une grande injustice et une source majeure des inégalités.

3. Quels liens avec la crise ?

Soyons clairs, nous sommes devant une crise du système capitaliste et non, comme on entend souvent dire, une crise financière qui serait venue des Etats-Unis avec la crise dite des subprimes et qui se serait transformée en crise économique.

La déformation du partage de la valeur ajoutée est un élément explicatif de cette crise. Elle résulte de la combinaison de deux tendances néfastes : baisse de l’emploi et faible dynamique salariale surtout eu égard à l’évolution de la productivité du travail. Ainsi en France, au cours des 15 dernières années, la productivité du travail dans l’industrie a augmenté en moyenne de 4,7%, alors que le salaire moyen n’a cru que de 1,7%.

La contrepartie de ces tendances est bien la hausse de la part des profits dans la valeur ajoutée et une forte progression des dividendes versés aux actionnaires. La part des dividendes versés aux actionnaires est passée de 5% en 1985 à un quart actuellement.

Cette pression permanente sur le monde du travail et, inversement, cet accroissement de l’exigence de rentabilité conduisent, en fin de compte, à une crise des débouchés. Chaque entreprise essaye de contracter au plus sa masse salariale pour accroître sa rentabilité. Mais la généralisation de cette pratique rend problématique la rentabilisation du capital dans la sphère productive, car in fine, la demande émanant des salariés ne sera pas suffisante pour assurer la vente des marchandises produites.

Pour résoudre le problème, les entreprises chercheront une rentabilité supplémentaire dans la sphère financière. Cette dérive dans la financiarisation accentue l’exigence de rentabilité des capitaux et alimente davantage les inégalités.

Ainsi en France sur la base de 100 en 1984, le salaire moyen atteint 193 actuellement, tandis que l’indice des dividendes versés aux actionnaires s’établit à 1319. Autrement dit, alors que les dividendes versés aux actionnaires ont été multipliés par 13, le salaire moyen n’a même pas été multiplié par deux.

La solution envisagée pour répondre à l’insuffisance de revenu salarial, à savoir le recours à l’endettement, ne fait qu’aggraver la situation, car il va bien falloir rembourser les emprunts. Que se passera-t-il si les salariés endettés n’arrivent pas à rembourser leur dette ? Eh bien ils vont se trouver dans les rues du jour au lendemain. Pour leur part, les banques se trouvent avec des créances dévalorisées, ce qui peut aller jusqu’à mettre en péril leur existence même. C’est précisément ce qui s’est produit aux Etats-Unis d’Amérique en 2007-2008, avec ses effets contagion dans le reste du monde.

L’exigence de rentabilité exorbitante qui résulte de la financiarisation affaiblit aussi le potentiel productif. Ainsi en France le montant des dividendes versés aux actionnaires dépasse depuis 2005 celui des investissements productifs réalisés par ces entreprises.

4. Quelles solutions possibles ?

On a souvent tendance à considérer les mécanismes redistributifs et notamment la fiscalité comme les meilleurs moyens pour réduire les inégalités. Certes, ces mécanismes sont indispensables. Mais alors il s’agit d’un traitement en aval, a posteriori, du problème. Or, le principal enjeu consiste à combattre les inégalités à la racine, en amont, depuis la sphère productive.

Une réforme fiscale est évidemment indispensable pour rendre le système plus juste et plus efficace. Il s’agit, contrairement à ce que fait le gouvernement, d’augmenter l’impôt sur les plus fortunés, de réduire la TVA et les impôts locaux qui pèsent qui les populations les plus défavorisées. Il s’agit également d’inciter les entreprises à accroître l’emploi et l’investissement productif et de pénaliser celles qui versent des dividendes aux actionnaires. Il s’agit enfin de supprimer le bouclier fiscal et les niches fiscales qui ne sont pas socialement et économiquement justifiées.

Ce dont on a surtout besoin est bien un changement de mode de production. Une revalorisation du travail dans toutes ses dimensions est indispensable pour créer les conditions de ce nouveau mode de production et combattre les inégalités à la racine. Il s’agit surtout de créer des emplois qualifiés, stables et bien rémunérés, ce qui implique une hausse des salaires et l’égalité de traitements entre femmes et hommes.

Pour atteindre cet objectif, il faut changer les choix, ceux de politique économique et sociale tout comme ceux de gestion des entreprises. Cela nécessite particulièrement des droits d’intervention des travailleurs par exemple pour mettre un terme aux pratiques scandaleuses de distribution des dividendes aux actionnaires aux dépens de l’emploi et de l’investissement productif.

Enfin, le développement des services publics de qualité et accessibles à tous les citoyens est indispensable pour réduire les inégalités.

Cet ensemble permettrait de combattre les facteurs fondamentaux qui sont à l’origine de la crise en cours. Les luttes sociales pour établir un nouveau rapport de forces en faveur des travailleurs, y compris dans la sphère politique, jouent ici un rôle décisif.

La bataille des retraites est de ce point de vue déterminante. La remise en cause des retraites par répartition et le développement des retraites par capitalisation accentuent à la fois la financiarisation de l’économie et les inégalités, amplifiant les facteurs de la crise.

(*) La Crise et sa sortie en dix leçons, 
co-écrit avec Jean-Christophe Le Duigou, éditions de l’Atelier, 2009. 10 euros.

Nasser Mansouri-Guilani

2) Renationaliser les banques

Par François Chesnais, économiste, professeur associé à l’université Paris Xiii, membre du conseil scientifique d’Attac (*).

Le facteur déclencheur de la crise économique et financière mondiale en août 2007 a été l’éclatement d’une immense bulle spéculative dans le secteur immobilier américain. Le crédit hypothécaire ayant été nourri par une création fictive de liquidités par les banques au moyen de la titrisation et d’autres « innovations financières », la bulle immobilière a provoqué une crise financière sans précédent. Le tissu très fragile des opérations bancaires s’est déchiré. Le montant des créances pourries s’est envolé. Les banques n’ont plus voulu se prêter mutuellement et les plus exposées ont fait faillite à Londres comme à New York. Le plus souvent, elles ont été sauvées par les autorités des deux pays (Northern Rock en novembre 2007, Bear Stearns en mars 2008, etc. La seule fois où l’on s’y est refusé avec la banque Lehmann, le système financier a été au bord de l’effondrement. Les dirigeants politiques américains (Bush, Paulson) comme européens (Brown, Sarkozy, Merkel) se sont précipités au secours des grandes banques sans contrepartie, encore moins l’établissement d’un contrôle sur leurs opérations. Au cours des trois ans et plus que dure la crise, des mouvements spéculatifs forts se sont donc produits sur le pétrole (145 dollars le baril en juin 2008), les matières premières et les produits alimentaires de base. Par deux fois, la spéculation a mis le prix du blé et du riz hors de la portée des plus démunis et provoqué des révoltes. A partir de janvier 2010, la spéculation s’est déplacée vers les titres de la dette publique des pays les plus fragiles de la zone Euro, les « PIGS ». L’abaissement de leurs notations par l’oligopole restreint des agences a donné le coup d’envoi aux politiques d’austérité dans ces pays comme dans toute l’UE, mais il a porté un coup aussi à toutes les banques ayant voulu faire des profits au moyen de la détention de titres de dette publique. Pour la seconde fois en moins de deux ans, les gouvernements et la BCE, flanqués cette fois du FMI, ont accouru au chevet des banques en faisant payer les salariés et les couches populaires.

Les banques sont aujourd’hui des conglomérats financiers auxquels la libéralisation, la dérèglementation et la libéralisation financières ont permis de combiner des activités classiques de guichet, de crédit commercial et industriel, de prêt hypothécaire avec la valorisation, à très grande échelle, de portefeuilles de titres, pour leurs clients comme pour leurs actionnaires et le personnel rémunéré sur stocks options et bonus. L’argent qu’elles valorisent provient des profits non réinvestis par les entreprises alors même que le chômage n’a cessé de se développer sous des formes durables même avant la crise, ainsi que de patrimoines et des revenus élevés. Cet argent s’accumule et sa masse grandit au moyen d’intérêts et de dividendes prélevés sur la richesse créée par le travail, dont une partie croissante transite par le service de la dette publique. L’accumulation financière traduit les impasses du système capitaliste. Aujourd’hui elle aggrave la crise, le chômage, l’austérité, en même qu’elle permet, les gouvernements aidant, à ses bénéficiaires d’échapper à la crise et de continuer à spéculer. Aussi longtemps que ce sera le cas, les bulles spéculatives, avec leurs cortèges d’effets, continueront à se former. La renationalisation des banques, avec contrôle des salariés sur les décisions, est le pivot incontournable de toute politique de défense des classes populaires contre la finance

(*) A notamment publié : Tobin et Cie, des taxes internationales sur le capital, Tribord éditions, 2006. 2,85 euros.

François Chesnais

3) Portons des propositions alternatives audacieuses

Par Paul Boccara, économiste communiste (*).

« L’actuelle crise du capitalisme mondialisé est une crise radicale, qui peut mettre en cause la domination du système. Un tournant d’aggravation extrême de cette crise s’est produit à partir de 2008, avec l’éclatement de la spéculation sur les titres de crédit pour les achats de logements aux États-Unis et les énormes difficultés des banques américaines et européennes. En 2009, c’est la récession à l’échelle mondiale. En 2010, c’est la crise des dettes publiques européennes (en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Irlande) et de l’euro. Les États, par des fonds publics, et les banques centrales, par leur création monétaire, ont dû intervenir massivement pour soutenir les banques et pour des plans de relance. Mais cela, sans changer les critères des banques, des fonds d’investissement et des sociétés d’assurances pour leur rentabilité financière. D’où la relance de la spéculation. Dans l’Union européenne, on a mis en place des plans de rigueur sociale en prétendant rassurer les marchés financiers sur la possibilité de rembourser les dettes. Les États sont intervenus par des endettements publics considérablement accrus sur les marchés financiers. D’où le risque d’un éclatement ultérieur bien plus grave de la spéculation sur les dettes publiques, qui toucherait aussi les bons du Trésor des États-Unis, le dollar et l’économie mondiale. Le risque de retrait des bons du Trésor des États-Unis concerne notamment la banque centrale chinoise, qui en a 1 000 milliards de dollars, soit près de la moitié de ses réserves en dollars. Tout cela fait monter l’exigence de propositions alternatives audacieuses.

La BCE peut refinancer les banques, pour un autre type de crédit, pour la sécurisation de l’emploi et de la formation  : un crédit à long terme pour des investissements réels, matériels et de recherche, avec des taux très abaissés, zéro et même négatifs (c’est-à-dire des réductions des remboursements). Ces taux d’intérêt seraient d’autant plus abaissés que sont programmés des emplois et des formations. Cela doit être démultiplié au niveau national et international. Ce sont des fonds publics régionaux qui prendront en charge tout ou partie des intérêts de ce crédit. C’est aussi un pôle public financier qui, outre des nationalisations de banques et les prises de participation publiques assorties de contrôles, regrouperait tous les organismes publics ou semi-publics, comme la Caisse des dépôts et consignations. Un autre rôle fondamental de la BCE doit concerner une création monétaire pour prendre des titres de dettes publiques des États européens et financer ainsi le développement des services publics, avec un Fonds européen de développement social. Le Fonds monétaire international (FMI) pourrait refinancer les banques centrales pour le nouveau crédit. Cela suppose sa démocratisation (suppression de la minorité de blocage des États-Unis sur les votes), mais aussi une nouvelle monnaie commune mondiale, autre que le dollar, à partir des droits de tirages spéciaux (DTS), déjà proposée par la Chine. De même, le FMI pourrait soutenir par sa création monétaire le développement des services publics dans le monde, pour des biens publics et communs mondiaux, dans l’alimentation, l’écologie, l’éducation, la santé, etc. Cela renvoie à de nouveaux pouvoirs dans les entreprises, les services publics, et à une démocratie participative et d’interventions directes. L’enjeu est en définitive une nouvelle civilisation. »

(*) Dernier ouvrage publié  : Transformation et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative  ?, 2e édition actualisée, Le Temps des cerises, 2009, 22 euros.

Propos recueillis par Laurent Etre

4) Le fruit mûr ne tombe pas tout seul

Par Jean Lojkine, sociologue, directeur de recherche honoraire au CNRS (*).

Pourquoi l’idéologie néo-libérale résiste t-elle avec autant de force à toute tentative politique pour « dépasser » le système capitaliste ? Les propositions économiques alternatives ne manquent pas, elles sont de plus en plus précises. L’injustice sociale est désormais patente, mais pourtant la masse des salariés semble toujours sous l’emprise idéologique du « rêve américain » ; la mutualisation, la solidarité se heurtent à l’individualisme capitaliste de l’entrepreneur. Comment en sortir ? Comment faire des alternatives économiques au néo-libéralisme un projet partagé par la masse des salariés ?

Si l’on voulait tenter de faire un bilan des obstacles à une mobilisation anti-capitaliste on pourrait mettre l’accent sur les points suivants :

1) Les grandes mobilisations populaires comme celles de 1968 ou de 1995 ont plus mis l’accent sur le rejet des « réformes » libérales remettant en cause la protection sociale que sur les propositions économiques alternatives. Elles ont donc reproduit implicitement le clivage idéologique entre ce qui est du domaine de l’action syndicale (le « Social » : salaires, statut, conditions de travail) et ce qui est du domaine de la gestion patronale ou étatique (l’Economique). Ce n’est pas une spécificité française ; c’est un problème mondial.

2) L’idée de privilégier « l’intervention directe » des salariés et de la population, par opposition à leurs représentants élus, s’est heurtée à un certain nombre d’obstacles non dépassés. Premier obstacle, le risque d’isolationnisme de chaque petit cercle autogestionnaire, faute d’une maîtrise collective de la coordination de ces collectifs locaux enfermés dans leurs micro-problèmes et facilement manipulés par le management « participatif ». Ce fut la raison principale de l’opposition en 1968 du PCF et de la CGT (du moins de la majorité des militants) qui prônaient « l’autonomie de gestion » des entreprises nationalisées contre l’approche autogestionnaire de la CFDT. Deuxième obstacle, L’intervention « directe » , par opposition à la « participation » ( à une décision non prise en commun) et au simple « contrôle » suppose des capacités cognitives chez les salariés qui font cruellement défaut dans le domaine économique et gestionnaire. Les expériences d’intervention dans la gestion sont restées marginales, parce que subordonnées aux rapports de force politiques et électoraux entre le PCF et le PS : comme si l’intervention dans la gestion et l’expérimentation autogestionnaire étaient subordonnées à la victoire électorale de la gauche radicale. Faute d’une formation massive des militants syndicaux à de nouveaux critères de gestion, économes en capital, la gestion économique est restée dominée par l’extériorité de l’intervention populaire, voire même des cadres, à l’égard de l’économie libérale qualifiée, à tort, d’approche dite « comptable » (notamment dans le mouvement hospitalier contre la « tarification à l’activité », voire dans l’opposition à la réforme libérale des retraites), comme si toutes les comptabilités étaient néolibérales.

3) Du « gradualisme » révolutionnaire.

L’absence d’une « évolution révolutionnaire » (Jaurès, Gramsci), d’une stratégie de conquête progressive de l’hégémonie dans toutes les strates de la vie quotidienne a miné la politique économique de la gauche.

Les « nouveaux critères de gestion (Paul Boccara, 1985) et l’idée d’une « nouvelle » croissance (alternative à la croissance dominée par la loi du profit) ont été perçus par la plupart des militants politiques et syndicaux non comme le point de départ d’une conquête par les travailleurs de l’hégémonie culturelle dans la sphère de l’entreprise, mais bien plutôt comme une conséquence, un résultat rendu possible seulement par la victoire électorale et l’union des Partis de gauche au sommet de l’Etat. Sitôt les ministres communistes partis (1984), ces militants cesseront toute intervention dans la gestion, (re)devenue de la « collaboration de classe », un moyen de « se faire avoir » par la direction. C’est donc l’illusion du « Grand soir » et de la conquête du pouvoir d’état « Avant » de réformer la société, qui a mobilisé bon nombre de militants qui ont voulu s’attaquer aux propositions économiques pour une autre gestion.

4) Un « trou noir » entre l’espace syndical et l’espace politique (partidaire)

L’échec en France du programme commun de la gauche (1983-84), marqué par l’abandon des objectifs de transformation sociale définis en 1972 et la conversion du PS au néo-libéralisme, fut aussi l’échec de la forte implication de la CGT, et même de la CFDT malgré ses réticences initiales, dans la mise en œuvre, sinon dans la conception, du PCG (lois Auroux en 1982 sur les GED et les conseils d’atelier). L’échec produisit une profonde méfiance à l’égard de l’engagement politique, et la rupture des liens anciens entre la CGT et le PCF, et même des liens –tendus- entre la CFDT et le PS (à l’époque des Assises du socialisme en 1974). Le résultat fut un véritable trou noir dans l’espace des projets et des propositions alternatives, sans que l’on sache bien aujourd’hui ce qui relève du domaine légitime des partis politiques et des organisations syndicales, ni comment reconstruire des nouvelles formes de coopération, après l’échec des politiques néo-libérales.

5) La force et les limites de l’idéologie capitaliste néo-libérale

On ne peut pas expliquer les difficultés de la lutte idéologique contre l’hégémonie néo-libérale, sans prendre en compte la force d’attraction de l’idéologie néo-libérale sur les couches moyennes salariées et même une partie des couches populaires. Des enquêtes sociologiques ont ainsi souligné le parallélisme entre la victoire idéologique de l’idéologie néo-libérale et la participation des couches moyennes salariées à la spéculation immobilière et financière, avec la forte illusion de pouvoir utiliser la spéculation sur son logement et l’endettement pour s’enrichir, assurer sa propre retraite par la capitalisation (l’assurance vie), grimper dans l’échelle sociale et payer ainsi l’accès à la consommation de masse, et à la propriété immobilière patrimonial.

Or c’est justement dans cet attrait quotidien de l’idéologie du risque individuel (du « gagneur »), dans l’accès à la consommation de masse que le capitalisme a bâti son hégémonie et c’est également là qu’il doit être défait si l’on veut gagner l’adhésion des masses populaires à un nouveau mode de vie, à de nouvelles formes d’épanouissement et d’émancipation individuelles et de coopération, ce qui commence à se lire dans le monde entier à travers les multiples critiques écologiques du productivisme économique capitaliste, destructeur de la planète, bien au delà des programmes électoraux des partis politiques traditionnels.

(*) Dernier ouvrage paru  : La Crise des deux socialismes, 
Le temps des cerises, 2008, 15 euros.

Jean Lojkine


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