Bellaciao mis en examen ! ( par Philippe Marlière, maître de conférence en sciences poltiques à l’Université de Londres )

vendredi 17 novembre 2006.
 

"Roberto Ferrario est un militant de gauche qui, depuis 2002, anime l’un des sites politiques les plus intéressants que je connaisse. Cet espace de diffusion, d’analyses et de débats constitue l’un des plus beaux succès sur Internet, comme en témoigne sa fréquentation impressionnante (23 millions de visites à ce jour). Je m’y rends quotidiennement et j’en retire toujours une lecture intéressante ou un commentaire de lecteur qui me fait réfléchir. Ce qui est remarquable chez Roberto et ses amis de Bellaciao (puisqu’il s’agit d’un collectif), c’est qu’ils ouvrent leur site aux diverses philosophies et tendances de la gauche : antilibéraux, anticapitalistes, réformistes, communistes, socialistes, Verts, libertaires, etc. C’est très rare et cela mérite d’être souligné.

Roberto vient d’être mis en examen par le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, à la suite d’une plainte déposée par les chantiers navals de la même ville. Que lui reproche-t-on ? D’avoir mis en ligne sur le site de Bellaciao un communiqué de l’USM-CGT : La flibusterie des temps modernes. De quoi s’agit-il ? Treize Polonais empoyés en sous-traitance dans ces chantiers navals ont saisi la CGT locale pour faire valoir leurs droits systématiquement bafoués par leur employeur : mois de salaire impayés, non-paiement des heures supplémentaires (ils travaillaient en moyenne 220 à 245 heures par mois pour quelque 1200 euros de rémunération), pas de congés payés, pas de bulletins de salaire, paiement en liquide d’une partie des salaires, non déclarée par l’employeur.

Ils ont dénoncé la menace de renvoi dont ils ont été l’objet s’ils saisissaient un syndicat, ainsi que le rapatriement précipité en Pologne d’un travailleur victime d’un grave accident de travail, qui ne bénéficiait d’aucune couverture sociale. On reste ébahi, choqué, sonné par cette longue liste d’entraves aux règles les plus élémentaires du droit du travail français. On se pince, on croit rêver : cela ne se passe pas dans un pays éloigné, dans un pays pauvre, qui ne possède ni législation sociale, ni Etat de droit pour la faire appliquer. Non, cela se passe en France, aujourd’hui !!!

Mais ce n’est pas tout : les chantiers navals de Saint-Nazaire ne contestent pas les faits, avérés, mais estiment "diffamatoires" certains qualificatifs contenus dans le communiqué ("flibusterie ", "banditisme patronal ", "esclavage moderne " et "actes mafieux perpétrés sur le site "). Il faut avoir l’estomac bien accroché pour encaisser la suite : l’USM-CGT et Roberto ont été traduits en justice, le syndicat, pour avoir rédigé un communiqué dont les chantiers navals ne contestent rien sur le fond, Roberto pour avoir diffusé une information sur le site de Bellaciao. Notons que la dite information a été reprise par de nombreux médias sans que ceux-ci soient inquiétés. Seul Roberto a été mis en examen car l’USM-CGT est une personnalité morale. Les intentions sont claires : en 2006, on cherche toujours à museler l’activité syndicale.

Mais pourquoi inculper Roberto, à titre individuel, alors que Bellaciao est un collectif international ? Parce qu’on cherche à abattre la cheville ouvrière de ce site. A travers Roberto, on cherche à se débarrasser de Bellaciao. Autre "découverte" qui fait froid dans le dos : dans notre France contemporaine, le pluralisme politique, les idées de gauche, celles qui prônent un égalitarisme exigeant, dérangent. Elles dérangent tellement qu’il faut trouver un prétexte pour tenter de les réduire au silence. On s’en prend donc à leurs porte-parole les plus actifs, ceux qui sont publiquement identifiés. Cette démarche vise, ni plus, ni moins, à sanctionner le délit d’opinion de gauche. Roberto, la gauche égalitaire, l’Italie : quel merveilleux programme !"


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