Bretagne : Classe ouvrière, bonnets rouges et patronat

mercredi 27 novembre 2013.
 

A) Elections prudhomales et classes sociales

Je reviens un instant sur la signification de l’existence d’une institution comme les conseils de prud’hommes. En désignant des collèges d’électeurs distincts, en proposant une diversité de choix de candidats différents dans les deux collèges, ce type d’institutions est directement partie prenante de la constitution des classes sociales. Ce processus nous intéresse très directement. En effet si une classe sociale est décrite essentiellement par sa position dans les rapports de production, cette description n’est en quelque sorte qu’une photographie vue d’avion. Les classes sociales se constituent dans la réalité effective, par la perception qu’elles ont d’elles-mêmes. Quand un groupe humain devient conscient de sa situation réelle, la situation réelle est déjà changée. La conscience de soi n’est pas un à-côté surplombant la réalité dans un univers parallèle de fumée conceptuelle ! C’est la réalité devenant consciente d’elle-même. L’analyse matérialiste des rapports sociaux ne peut jamais séparer les données objectives d’une situation des composantes subjectives qui la composent. On connaît le vieil adage syndicaliste : « quelle est la limite à l’exploitation ? ». La réponse est : « la résistance à l’exploitation ». Comment mieux décrire l’articulation entre une situation et les conséquences de la prise de conscience de celle-ci ?

B) Lutte sociale et classe ouvrière

C’est pourquoi j’ai plaidé que le fait de constater, dans les manifestations de Quimper, une forte présence ouvrière, ne suffisait pas à faire de cette démonstration de force autre chose que ce dont se réclamaient les organisateurs patronaux et leurs slogans. Dans ma conception de la lutte sociale, finalement assez classique, les salariés ne sont pas simplement résumés par leur feuille de paye et leur estomac. Ils sont au contraire des êtres de conscience, agissant dans le cadre d’un ensemble de valeurs culturelles et morales, qui peuvent parfois entrer en contradiction avec leur intérêt bien compris et, d’autres fois, donner à celui-ci, au contraire, une force absolument sans proportion avec l’effet déclencheur ! C’est pourquoi je veux revenir sur la question des « bonnets rouges ». Dans l’interview que j’ai donnée au journal « Médiapart », on se souvient que je me trouvais placé quasiment en position défensive par rapport aux questions qui m’étaient posées, compte tenu du préjugé qui dominait alors selon lequel l’essentiel, dans la manifestation de Quimper, aurait été le mouvement et la composition sociale plutôt que les mots d’ordre et les organisateurs. J’ai protesté contre cette vision très « mouvementiste » de la lutte sociale, au profit d’une lecture plus respectueuse de ce que les protagonistes déclaraient mettre réellement en jeu. Il me semble que l’évolution de la situation jusqu’au point où nous voici rendus pour ce 23 novembre breton confirme cette approche.

C) Patrons à l’origine des bonnets rouges

Je reviens donc sur le cas des fameux « bonnets rouges ». Je le fais parce que lorsque j’ai interpellé le sens de la manifestation de Quimper du début du mois de novembre, on m’avait beaucoup fait reproche des mots que j’avais utilisés comme « nigauds » ! Je n’étais pas dupe du fait qu’une fois de plus, il s’agissait de me diaboliser et de refuser de discuter les arguments que je présentais. Mais comme je savais parfaitement que mes mots fonctionneraient comme des obus, je ne m’en plains pas. Mon but était d’attirer l’attention sur la manifestation de Carhaix que je voulais soutenir, et je crois y être parvenu. Je n’ai donc pas attaché beaucoup d’importance au fait que, par exemple, Maurice Szafran, de « Marianne », m’ait reproché « d’insulter » les Bretons, après que lui-même n’a pas hésité à me traiter de « con » pour titrer un de ses éditoriaux ! Celui-là, et combien d’autres, sont dorénavant bien connus de nous. Et moi, je sais où appuyer pour les faire klaxonner ! Mais, une quinzaine de jours plus tard, le paysage s’est considérablement éclairci.

De tous côtés, les enquêtes réalisées montrent que j’avais raison : chez les bonnets rouges, il n’y a que le bonnet de rouge. Dernière confirmation en date : le syndicat Force Ouvrière du Finistère était le seul syndicat à avoir participé au collectif des "bonnets rouges" et à la manifestation de Quimper le 2 novembre. Depuis, ce syndicat a décidé de quitter le collectif dénonçant son "corporatisme" et son "régionalisme". Nous avions vu cela dès début novembre : les mots d’ordre de la manifestation de Quimper, les organisations qui y appelaient autour de l’UMP, de la FNSEA et du Medef, le soutien des évêques et du Front National, tout cela nous avait mis en alerte. J’ai dit sans détour ce que j’en pensais ! Le Parti de Gauche n’a pas été en reste ! Nous avons bien fait. A cette heure on nous témoigne de la reconnaissance de l’avoir fait « cru et dru ». A présent, les témoignages se multiplient qui confirment la manipulation à laquelle nous avons appelé à ne pas céder. Ainsi, Le Monde du 17 novembre a dressé le portrait de "ces patrons à l’origine des bonnets rouges" comme le titre le journal. Dès le titre, il est donc clair que l’initiative est patronale, comme nous l’affirmions. La manifestation des "bonnets rouges" a été organisée à l’appel d’un collectif nommé "Vivre, décider et travailler en Bretagne". C’est ce collectif que FO a décidé de quitter. Le caractère productiviste et patronal du collectif est limpide, puisque sa cheville ouvrière est le président de la FNSEA du Finistère Thierry Merret. Depuis le début, ce collectif revendique aussi son caractère régionaliste à travers le maire de Carhaix, Christian Troadec. Celui-ci explique au Monde comment ce collectif dont il fait partie a été composé autour d’"un réseau informel de gens qui se connaissent très bien, qui se côtoient très régulièrement, dans les locaux de l’Institut de Locarn ou ailleurs".

Cet Institut de Locarn est le fer de lance du patronat régionaliste. « Le Monde » le présente comme un "think thank régionaliste". Régionaliste n’est pas le bon mot pour le décrire. C’est un haut lieu du communautariste identitaire, ce qui n’est pas pareil. C’est une évidence. Son président, Alain Glon, est même allé jusqu’à écrire le 10 novembre 2012 sur un blog breton que "le problème de la Bretagne c’est la France". Alain Glon a explicitement soutenu le Parti Breton et son candidat dans la campagne législative à Dinan. Mais ce think tank est aussi intimement lié au monde patronal puisqu’il compte, parmi ses principaux membres, de grandes entreprises et le syndicat patronal CGPME. « Les bonnets rouges » ne sont qu’un épisode dans une offensive concertée des patrons identitaires. Celle-ci vient de loin. A l’époque, le 18 juin, il y a maintenant cinq mois, quand on ne parlait pas encore des bonnets rouges, une trentaine de patrons réunis à Ponthivy, dans le Morbihan, créent le "comité de convergences des intérêts bretons" (CCIB). Ce CCIB a ensuite participé à la création du collectif des bonnets rouges. Parmi les initiateurs de l’appel, il y a un homme : Alain Glon. Il est le président de l’Institut de Locarn dont parle Troadec. Au « Monde », il avoue la supercherie des "bonnets rouges" en déclarant clairement "on pilote deux choses : les “bonnets rouges” et un projet pour la Bretagne". Le pilote, c’est donc lui, son institut et ses acolytes du patronat de la grande distribution et de l’agroalimentaire productiviste.

En juin, ces patrons ont lancé un "appel". Cet appel de Pontivy fixe le cadre de ce qui deviendra ensuite le mouvement des bonnets rouges. On y trouve déjà tout ce que nous avons rejeté dans la manifestation de Quimper. Sur la méthode d’abord ! Comment s’étonner ensuite du saccage des portiques Ecotaxe ? Surtout quand Alain Glon explique que "on peut tolérer un peu de violence". Sur le fond, le message est aussi très clair. Le discours anti-Etat et antirépublicain est fortement présent et s’agglomère dans un gloubi-boulga libéral contre « l’hyper centralisme français et le labyrinthe des réglementations ». Ils réclament que davantage de pouvoir soit donné aux régions ainsi qu’un "droit à l’expérimentation (…) afin de ne pas avoir à affronter en permanence les excès des systèmes bureaucratiques".


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