20 au 22 mars 1944 le Résistant Pierre Brossolette, atrocement torturé, meurt sans avoir parlé

mercredi 27 mai 2015.
 

Journaliste 
et homme politique socialiste, Pierre Brossolette fut 
un haut responsable des services secrets de la France combattante. 
Il rejoignit le Groupe du musée 
de l’Homme avant 
de participer 
à la formation 
de l’Organisation civile et militaire 
et à Libération-Nord. 
Arrêté et torturé 
en 1944, il se suicida sans avoir parlé.

Né à Paris le 25 juin 1903 dans une famille d’enseignants républicains, normalien et agrégé d’histoire, Pierre Brossolette devient journaliste en 1926 et s’impose comme un spécialiste de la politique internationale. Immédiatement hostile aux régimes fasciste puis nazi, il met dix ans à renoncer aux idéaux briandistes mais s’affirme comme un antimunichois farouche. Franc-maçon, membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica), un temps proche des Jeunes Turcs du Parti radical, il milite à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), du printemps 1930 à l’été 1939.

Mobilisé comme officier de réserve, il est emporté par la débâcle mais échappe à la captivité. Patriote et conscient du caractère mondial de la lutte pour la liberté, antinazi et hostile au régime de Vichy, il rejoint le Groupe de résistance du musée de l’Homme à la fin de l’hiver 1941. Il entre ensuite en contact avec les socialistes résistants puis avec Libération-Nord. Devenu chef de la section presse et propagande du réseau Confrérie Notre-Dame, en novembre 1941, il rédige pour la France libre une série de rapports sur l’opinion et la classe politique françaises et sur la résistance en zone occupée. Il donne la liaison avec Londres à l’Organisation civile et militaire et à Libération-Nord. En zone libre, il noue des contacts avec Combat, Libération-Sud et le groupe Pierre-Bertaux.

Parvenu à Londres au printemps 1942, fort de son expérience politique, de sa connaissance de la France occupée et de son aura de pionnier de la Résistance, il s’impose parmi les décideurs de la France combattante. Le 1er octobre, il devient adjoint du colonel Passy à la tête du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Compagnon de la Libération et membre du conseil de l’ordre, il appartient alors au saint des saints des forces gaullistes mais demeure lucide sur « l’homme du 18 juin ».

Au cours de cet automne londonien, il redevient propagandiste et homme politique. Il dénonce Vichy et la Collaboration. Il plaide pour l’union des résistants derrière de Gaulle. Il réfléchit à la rénovation politique, économique et sociale d’une France démocratique régénérée dans la Résistance. Il se fait le chantre du combat des ombres. C’est ainsi que le 22 septembre 1942, au micro de la BBC, il prononce des mots passés depuis à la postérité  : « Tués, blessés, fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours de leur foyer, coupés souvent de leur famille, combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards, régiment sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s’inscriront point en lettres d’or dans le frémissement de la soie mais seulement dans la mémoire fraternelle et déchirée de ceux qui survivront (…). La gloire est comme ces navires où l’on ne meurt pas seulement à ciel ouvert mais aussi dans l’obscurité pathétique des cales. C’est ainsi que luttent et que meurent les hommes du combat souterrain de la France. Saluez-les, Français  ! Ce sont les soutiers de la gloire. »

De juin 1942 à mars 1944, Pierre Brossolette effectue trois missions clandestines en France. Au cours de la première (du 3 juin au 13 septembre 1942), il fait partir à Londres André Philip et Louis Vallon, et convainc l’ancien leader du PSF Charles Vallin de rallier la France combattante. Si Philip devient commissaire à l’Intérieur, l’opération politique liée à la venue de Vallin fait long feu. Durant la mission Brumaire (du 27 janvier au 16 avril 1943), tandis que Passy et l’agent du SOE Forest Yeo-Thomas se concentrent sur les enjeux paramilitaires et de renseignement, Brossolette coordonne l’action civile de la résistance en zone nord. Il convainc Passy d’ignorer les instructions prescrivant de former directement un Conseil de la Résistance unique pour toute la France et comportant, outre les mouvements, des partis politiques et des syndicats. Tenant compte de l’hostilité aux partis manifestée par les résistants, les deux hommes forment un comité de coordination limité aux cinq plus importants mouvements de la zone qu’ils réunissent le 26 mars.

Candidat malheureux à la succession de Moulin, Brossolette revient en France avec Yeo-Thomas le 19 septembre 1943 pour installer dans ses fonctions le nouveau délégué général du CFLN, Émile Bollaert, et travailler à la réforme de la presse. Avec Yeo-Thomas, il renforce les instances de coordination paramilitaire de la Résistance. Il soutient l’action du Comité central des mouvements, rival du CNR. Ce faisant, il désobéit aux instructions d’Alger et s’oppose à Bidault, Bingen et Serreulles. Il profite de sa mission pour préparer la Libération avec ceux de ses camarades socialistes de l’Aube qui sont entrés en résistance.

Rappelé à Londres, il refuse de partir en novembre puis échoue dans ses tentatives de départ de décembre 1943 et de janvier 1944. Dans la nuit du 2 au 3 février, il essaie de quitter la Bretagne par mer avec Bollaert. Ils sont arrêtés le 3 février au soir à la suite d’un contrôle de routine et incarcérés à Quimper puis à Rennes. Identifié le 16 mars, transféré à Paris dans la nuit du 19 au 20, torturé pendant deux jours et demi, Brossolette se suicide le 22, sans avoir parlé.

Quelques mois plus tôt, le 18 juin 1943, il avait prononcé, à l’Albert Hall de Londres, un vibrant «  hommage aux morts de la France combattante ». Il avait conclu par ces mots dont l’actualité, depuis, ne s’est jamais démentie  :

« Colonels de trente ans, capitaines de vingt ans, héros de dix-huit ans, la France combattante n’a été qu’un long dialogue de la jeunesse et de la vie. Les rides qui fanaient le visage de la patrie, les morts de la France combattante les ont effacées  ; les larmes d’impuissance qu’elle versait, ils les ont essuyées  ; les fautes dont le poids la courbait, ils les ont rachetées. En cet anniversaire du jour où le général de Gaulle les a convoqués au banquet sacré de la mort, ce qu’ils nous demandent ce n’est pas de les plaindre, mais de les continuer. Ce qu’ils attendent de nous, ce n’est pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas un sanglot, mais un élan.  »

Par Guillaume Piketty, historien, est l’auteur de Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Éditions Odile Jacob.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message