1) Premier sourire du printemps. Théophile Gautier
2) La rose. Jan Antoine de Baïf
3) Le printemps. Théodore de Banville
4) Les lilas et les roses. Aragon
1) Premier sourire du printemps
Théophile Gautier (1811-1872)
Tandis qu’à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
*
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d’or.
*
Dans le verger et dans la vigne,
Il s’en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l’amandier.
*
La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
*
Tout en composant des solfèges,
Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
*
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l’oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d’argent du muguet.
*
Sous l’herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
*
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d’avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "
2) La rose
Jan Antoine de Baïf (1532-1589)
Durant cette saison belle
Du renouveau gracieux,
Lorsque tout se renouvelle
Plein d’amour délicieux,
Ny par la peinte prérie,
Ny sus la haye fleurie,
Ny dans le plus beau jardin,
Je be voy fleur si esquise
Que plus qu’elle je ne prise
La Rose au parfum divin.
Mais la blanche ne m’agrée Blême de morte paleur, Ny la rouge colorée D’une sanglante couleur. L’une de blêmeur malade, Et l’autre de senteur fade Ne plêt au nés ny à l’oeil : Toutes les autres surpasse, Celle qui vive compasse De ces deux un teint vermeil. |
La Rose incarnate est celle
Où je pren plus de plaisir :
Mais combien qu’elle soit telle
Si la veu-je bien choisir.
Car l’une prise en une heure,
Et l’autre en l’autre est meilleure
Au chois de nostre raison.
Toute chose naist, define,
Tantôt croît et puis decline
Selon sa propre saison.
Je ne forceray la Rose Qui cache dans le giron D’un bouton étroit enclose La beauté de son fleuron. Quelque impatient la cueille Devant que la fleur vermeille Montre son trésor ouvert. Mon désir ne me transporte Si fort que celle j’emporte Qui ne sent rien que le verd. Livre des passetems (1573) 3) Le printemps Théodore de Banville (1823 - 1891) Te voilà, rire du Printemps ! Les thyrses des lilas fleurissent. Les amantes qui te chérissent Délivrent leurs cheveux flottants |
Sous les rayons d’or éclatants
Les anciens lierres se flétrissent.
Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses de lilas fleurissent.
Couchons-nous au bord des étangs, Que nos maux amers se guérissent ! Mille espoirs fabuleux nourrissent Nos coeurs gonflés et palpitants. Te voilà, rire du Printemps ! 4) Les lilas et les roses Aragon Printemps 1940 O mois des floraisons mois des métamorphoses Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés |
Je n’oublierai jamais l’illusion tragique
Le cortège les cris la foule et le soleil
Les chars chargés d’amour les dons de la Belgique
L’air qui tremble et ce bourdon d’abeilles
Le triomphe imprudent qui prime la querelle
Le sang que préfigure en carmin le baiser
Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles
Entourés de lilas par un peuple grisé
Je n’oublierai jamais les jardins de la France
Semblables aux missels des siècles disparus
Ni le trouble des soirs l’énigme du silence
Les roses tout le long du chemin parcouru
Le démenti des fleurs au vent de la panique
Aux soldats qui passaient sur l’aile de la peur
Aux vélos délirants aux canons ironiques
Au pitoyable accoutrement des faux campeurs
Mais je ne sais pourquoi ce tourbillon d’images Me ramène toujours au même point d’arrêt A Sainte-Marthe Un général De noirs ramages Une villa normande au bord de la forêt Tout se tait L’ennemi dans l’ombre se repose On nous a dit ce soir que Paris s’est rendu Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses Et ni les deux amours que nous avons perdus |
Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres
Douceur de l’ombre dont la mort farde les joues
Et vous bouquets de la retraite roses tendres
Couleur de l’incendie au loin roses d’Anjou
Aragon (1897-1982)
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