La neige
Emile Verhaeren
La neige tombe, indiscontinûment, Comme une lente et longue et pauvre laine, Parmi la morne et longue et pauvre plaine, Froide d’amour, chaude de haine. |
La neige tombe, infiniment,
Comme un moment -
Monotone - dans un moment ;
La neige choit, la neige tombe,
Monotone, sur les maisons
Et les granges et leurs cloisons ;
La neige tombe et tombe
Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes.
Le tablier des mauvaises saisons, Violemment, là-haut, est dénoué ; Le tablier des maux est secoué A coups de vent, sur les hameaux des horizons. |
Le gel descend, au fond des os,
Et la misère, au fond des clos,
La neige et la misère, au fond des âmes ;
La neige lourde et diaphane,
Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme,
Qui se fanent, dans les cabanes.
Aux carrefours des chemins tors, Les villages sont seuls, comme la mort ; Les grands arbres, cristallisés de gel, Au long de leur cortège par la neige, Entrecroisent leurs branchages de sel. |
Les vieux moulins, où la mousse blanche s’agrège,
Apparaissent, comme des pièges,
Tout à coup droits, sur une butte ;
En bas, les toits et les auvents
Dans la bourrasque, à contre vent,
Depuis Novembre, luttent ;
Tandis qu’infiniment la neige lourde et pleine
Choit, par la morne et longue et pauvre plaine.
Ainsi s’en va la neige au loin, En chaque sente, en chaque coin, Toujours la neige et son suaire, La neige pâle et inféconde, En folles loques vagabondes, Par à travers l’hiver illimité du monde. |
Nuit de neige
Guy de Maupassant
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.
Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes. L’hiver s’est abattu sur toute floraison ; Des arbres dépouillés dressent à l’horizon Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes. |
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde, Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ; Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement, Aux étranges reflets de la clarté blafarde. |
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ; De leur oeil inquiet ils regardent la neige, Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas. |
Des vers
Le vent sauvage de Novembre (poème d’Emile Verhaeren)
Dialogue
Amadis JAMYN, poète champenois de la Pléiade (1540 - 1593), ami de Ronsard
Où sont tant de beautés que le printemps avait, Ornement des jardins et des molles prairies ? Où sont toutes les fleurs des campagnes fleuries ? Où est le temps serein qui les coeurs émouvait ? |
Où est le doux plaisir qui dans l’âme pleuvait
Durant les jeunes mois ? par qui les fantaisies
Des esprits généreux célestement nourries
Admiraient les effets que nature pouvait ?
Ces beautés maintenant mortes dessus la terre Vivent en Artémis, qui les garde et les serre Pour embellir ce tout de mille bien divers ; |
La face du printemps de là se renouvelle,
Le soleil y emprunte une clarté plus belle,
Et c’est le paradis de ce grand univers.
Les hôtes Emile Verhaeren |
Ouvrez, les gens, ouvrez la porte,
je frappe au seuil et à l’auvent,
ouvrez, les gens, je suis le vent,
qui s’habille de feuilles mortes.
Entrez, monsieur, entrez, le vent, voici pour vous la cheminée et sa niche badigeonnée ; entrez chez nous, monsieur le vent. |
Ouvrez, les gens, je suis la pluie,
je suis la veuve en robe grise
dont la trame s’indéfinise,
dans un brouillard couleur de suie.
Entrez, la veuve, entrez chez nous, entrez, la froide et la livide, les lézardes du mur humide s’ouvrent pour vous loger chez nous. |
Levez, les gens, la barre en fer,
ouvrez, les gens, je suis la neige,
mon manteau blanc se désagrège
sur les routes du vieil hiver.
Entrez, la neige, entrez, la dame, avec vos pétales de lys et semez-les par le taudis jusque dans l’âtre où vit la flamme. |
Car nous sommes les gens inquiétants
qui habitent le Nord des régions désertes,
qui vous aimons - dites, depuis quels temps ? -
pour les peines que nous avons par vous souffertes.
Dans l’interminable …
Paul Verlaine
Dans l’interminable Ennui de la plaine, La neige incertaine Luit comme du sable. |
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Comme des nuées Flottent gris les chênes Des forêts prochaines Parmi les buées. |
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Corneille poussive Et vous, les loups maigres, Par ces bises aigres Quoi donc vous arrive ? |
Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.
Romances sans paroles (1874)
LA NEIGE
Albert MERAT
L’air donne le frisson comme un breuvage amer. Le jour est morne, éteint, et prend des tons de cuivre. Les moineaux, pépiant de froid, se laissent suivre, Et, s’envolant, font sur la brume un vague éclair. |
La neige, floraison pâle des ciels d’hiver,
Fait pleuvoir tristement ses étoiles de givre.
Les arbres aux bourgeons captifs qu’avril délivre
La mettent à leur front, ainsi qu’un joyau clair.
Frêle et vain ornement, outrage des ramures, A qui va la beauté des larges feuilles mûres Où circule le sang glorieux des étés ! |
Ta blanche clarté fait que j’aime mieux les roses,
O neige dont la grâce est celle des chloroses,
Image des froideurs et des virginités.
Brise marine
Stéphane MALLARME
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! |
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie, Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris. |
Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.
En hiver
Emile Verhaeren
Le sol trempé se gerce aux froidures premières, La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs, Et met, au bord des toits et des chaumes branlants, Des coussinets de laine irisés de lumières. |
Passent dans les champs nus les plaintes coutumières,
A travers le désert des silences dolents,
Où de grands corbeaux lourds abattent leurs vols lents
Et s’en viennent de faim rôder près des chaumières.
Mais depuis que le ciel de gris s’était couvert, Dans la ferme riait une gaieté d’hiver, On s’assemblait en rond autour du foyer rouge, |
Et l’amour s’éveillait, le soir, de gars à gouge,
Au bouillonnement gras et siffleur, du brassin
Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d’airain.
Nuits d’hiver
Victor Hugo
I
Comme la nuit tombe vite !
Le jour, en cette saison,
Comme un voleur prend la fuite,
S’évade sous l’horizon.
Il semble, ô soleil de Rome, De l’Inde et du Parthénon, Que, quand la nuit vient de l’homme Visiter le cabanon, |
Tu ne veux pas qu’on te voie,
Et que tu crains d’être pris
En flagrant délit de joie
Par la geôlière au front gris.
Pour les heureux en démence L’âpre hiver n’a point d’effroi, Mais il jette un crêpe immense Sur celui qui, comme moi, |
Rêveur, saignant, inflexible,
Souffrant d’un stoïque ennui,
Sentant la bouche invisible
Et sombre souffler sur lui,
Montant des effets aux causes, Seul, étranger en tout lieu, Réfugié dans les choses Où l’on sent palpiter Dieu, |
De tous les biens qu’un jour fane
Et dont rit le sage amer,
N’ayant plus qu’une cabane
Au bord de la grande mer,
Songe, assis dans l’embrasure, Se console en s’abîmant, Et, pensif, à sa masure Ajoute le firmament ! |
Pour cet homme en sa chaumière,
C’est une amère douleur
Que l’adieu de la lumière
Et le départ de la fleur.
C’est un chagrin quand, moroses, Les rayons dans les vallons S’éclipsent, et quand les roses Disent : Nous nous en allons ! …….. V Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare Des parfums et des couleurs ! Toute la plaine s’effare Dans une émeute de fleurs. |
La prairie est une fête ;
L’âme aspire l’air, le jour,
L’aube, et sent qu’elle en est faite ;
L’azur se mêle à l’amour.
On croit voir, tant avril dore Tout de son reflet riant, Éclore au rosier l’aurore Et la rose à l’orient. |
Comme ces aubes de flamme
Chassent les soucis boudeurs !
On sent s’ouvrir dans son âme
De charmantes profondeurs.
On se retrouve heureux, jeune, Et, plein d’ombre et de matin, On rit de l’hiver, ce jeûne, Avec l’été, ce festin. |
Oh ! mon coeur loin de ces grèves
Fuit et se plonge, insensé,
Dans tout ce gouffre de rêves
Que nous nommons le passé !
Je revois mil huit cent douze, Mes frères petits, le bois, Le puisard et la pelouse, Et tout le bleu d’autrefois. |
Enfance ! Madrid ! campagne
Où mon père nous quitta !
Et dans le soleil, l’Espagne !
Toi dans l’ombre, Pepita !
Moi, huit ans, elle le double ; En m’appelant son mari, Elle m’emplissait de trouble… - O rameaux de mai fleuri ! |
Elle aimait un capitaine ;
J’ai compris plus tard pourquoi,
Tout en l’aimant, la hautaine
N’était douce que pour moi.
Elle attisait son martyre Avec moi, pour l’embraser, Lui refusait un sourire Et me donnait un baiser. |
L’innocente, en sa paresse,
Se livrant sans se faner,
Me donnait cette caresse
Afin de ne rien donner.
Et ce baiser économe, Qui me semblait généreux, Rendait jaloux le jeune homme, Et me rendait amoureux. |
Il partait, la main crispée ;
Et, me sentant un rival,
Je méditais une épée
Et je rêvais un cheval.
Ainsi, du bout de son aile Touchant mon coeur nouveau-né, Gaie, ayant dans sa prunelle Un doux regard étonné, |
Sans savoir qu’elle était femme,
Et riant de m’épouser,
Cet ange allumait mon âme
Dans l’ombre avec un baiser.
Mal ou bien, épine ou rose, A tout âge, sages, fous, Nous apprenons quelque chose D’un enfant plus vieux que nous. |
Un jour la pauvre petite
S’endormit sous le gazon… -
Comme la nuit tombe vite
Sur notre sombre horizon !
|
Victor Hugo, Les quatre vents de l’esprit
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