USAGE ET CONTRE USAGE DU « TOUS POURRIS » (tribune de Patrick Mignard)

dimanche 7 février 2010.
 

Il m’a été, et il m’est, souvent reproché, au travers de mes écrits, d’accréditer implicitement, par les critiques faites, le « Tous pourris ! ». C’est évidemment un peu court comme analyse et mérite un éclaircissement. C’est le but de ce texte.

Il est des mots, des expressions qui, sans être interdits ou injurieux, valent leur poids de signification ambiguë et à « double sens ». Les prononcer expose, celle ou celui qui s’y aventure, à l’opprobre des bien pensants « démocrates » et « républicains ».

Il est de bon ton de faire croire que « tous pourris » tient lieu d’analyse politique, ce qui permet aux élus de faire leurs petites et grandes affaires, en sauvant les apparences, et aux fidèles militants de continuer à croire à ce qu’ils font sans trop se poser de questions.

Expression, certes peu élégante, elle exprime le décalage abyssal qui se creuse entre la classe politique, privilégiée, et le reste de la société civile a qui sont demandés, par cette même classe, tous les efforts et sacrifices. Même si elle – cette expression - fait peur dans une « démocratie », elle met l’accent sur les limites et contradictions de cette dernière.

L’OMBRE SINISTRE DE L’EXTREME-DROITE

Le gros argument pour condamner l’expression est de dire qu’elle a pris naissance dans le discours de l’extrême-droite. C’est incontestablement vrai.

La droite conservatrice, celle qui n’a jamais accepté la République, le « gueuse », n’a eu de cesse depuis la Révolution Française, de cultiver la nostalgie des privilèges de l’Ancien Régime et de nier la volonté d’égalité sociale du nouveau. En ce sens, les « représentants du Peuple » étaient tout naturellement désignés comme cibles… et il était de bon ton de les accabler des dérives les plus sordides,… pensant qu’en les condamnant, on les déconsidèrerait aux yeux de leurs électeurs, le Peuple… fragilisant par là même le système honni.

De l’émeute fasciste du 6 février 1934, au « poujadisme » de l’après guerre (1956),… et jusqu’au Front National… le credo du « tous pourris », est resté un grand classique de l’extrême-droite.

Mot d’ordre qui se voulait mobilisateur, et qui ne l’a jamais été,… il faut dire qu’il était utilisé par des individus qui loin d’avoir les « mains propres », avaient surtout pour objectif de prendre la place de ceux qu’ils dénonçaient.

Pourtant, le nouveau pouvoir, la République, n’a que très imparfaitement liquidé les scories politiques du passé et largement fait dégénérer ses propres principes, prêtant ainsi le flanc à des critiques faciles, souvent mal intentionnées, mais hélas en grande partie fondées.

CLASSE POLITIQUE ET POUVOIR CORRUPTEUR

Ce que l’on appelle généralement la classe politique n’est pas un ensemble homogène, ni de part sa composition, ni de part ses objectifs et sa manière de fonctionner.

Entre l’élu de la petite collectivité territoriale qui consacre une partie de son temps libre aux affaires publiques, touchant une maigre indemnité, sinon rien, - et qui mérite d’être loué - et le politicien professionnel, grassement payé, généralement cumulant plusieurs fonctions, élu d’une grande ville ou du Parlement, sans parler du Gouvernement… il y a un abîme…. Pour ne pas dire une frontière de classe. Les noms sont connus de tous !

Celui qui fait problème, n’est pas le premier, mais bien le second. En effet, on fini par se demander ce qui le motive,… et même si, officiellement, il clame que c’est le « service du bien public »,… on est en droit, aux vues de certaines de ses pratiques et de ses conditions de vie, d’en douter… sans parler de la hargne qu’il met à conserver ce pouvoir.

Pourtant, il est manifestement politiquement incorrect d’aborder le sujet au risque de se faire traiter de « poujadiste » - de gauche dans le meilleur des cas - et de « mettre en péril la démocratie » ( ?).

Ce n’est pas un scoop, de dire que le pouvoir corrompt, peut-être pas tous, mais la plupart…. Et les autres se taisent.

Les conditions avantageuses liés au pouvoir ont une explication : à l’origine, au 18e siècle, elles permettent de, pour garantir l’indépendance de l’élu, le mettre à l’abri de la corruption et des puissances d’argent. L’intention est certes louable. Le problème c’est qu’elle a complètement était détournée, et cette « garantie d’indépendance », s’est vite transformée en « privilège de pouvoir »… ce qu,i par ailleurs, n’a pas du tout empêché les tenants du pouvoir d’être dépendants des puissances d’argent. (des noms ?).

Autrement dit, aujourd’hui, être au pouvoir, ou dans ses sphères, est une rente de situation, un véritable fromage qui en tente beaucoup… C’est moins dangereux de se faire élire que de faire un hold up.

Non seulement la situation, les privilèges (maintes fois publiés dans la presse), les pouvoirs de la classe politique doivent faire s’interroger tout citoyen responsable, mais, cette situation même doit nous faire interroger sur la notion de pouvoir. Or cet impératif politique et citoyen a été totalement gommé de la conscience collective politique. Celle-ci est amputée d’une partie fondamentale qui devrait en constituer le fondement, l’essence.

Cette myopie politique, qui s’apparente à une forme de religiosité laïque et à un suivisme aveugle, voire une lâcheté, dans la parole et les actes des « élus » permet de passer sur toutes les affaires louches (des exemples ?) auxquelles se livrent les politiciens (des noms ?),… et à se laisser perpétuer une situation qui va en empirant au grés de l’accroissement des inégalités sociales et de la dégénérescence du système.

LE DENI

C’est bien à un déni citoyen, ou plutôt anti-citoyen, auquel nous assistons. La responsabilité du citoyen s’arrêterait à l’acte de désignation de l’élu,… le reste ne lui appartenant plus,… jusqu’à la prochaine élection.

C’est une curieuse conception de la démocratie lourde de dangers et de dérives. Rente de situation, privilèges, finissent par induire des dérives au point que l’on ne fait plus la différence….

Et les dérives ne manquent pas. Cette irresponsabilité post électorale, alliée au caractère corrupteur du pouvoir, aboutit à la situation que nous connaissons,… et pas qu’en France : la constitution d’une classe sociale largement parasite, souvent incompétente et se donnant les moyens financiers, médiatiques, légaux, psychologique,… de sa réélection.

Tout se passe comme si la légitimité populaire – le fait d’avoir été élu – permettait tout, ou à peu près tout… aboutissant finalement à une forme de « totalitarisme démocratique ». Un comble !

Cette fausse pudeur, qui fait baisser les yeux sur les scandales politico-financiers, qu’une justice de plus en plus manipulée et contrôlée évite soigneusement ou traite avec la plus extrême « délicatesse » et bien veillance, conforte des aigrefins (des noms ?), arrivistes (des noms ?) et profiteurs (des noms ?) à accéder au pouvoir…. Les autres, les « honnêtes » gardent un prudent et révélateur silence ( ?)

En l’absence d’un contrôle permanent, post électoral, les dérives sont inévitables,… or le système politique est fait de telle manière que le statut d’élu échappe complètement au citoyen un fois l’élection passée…. jusqu’à la prochaine élection, ce qui n’est d’ailleurs aucunement une garantie (des exemples ?). C’est donc la structure même du pouvoir qui est en cause et à revoir… et au-delà de la structure institutionnelle du pouvoir, ce qui le soutend : les rapports sociaux. Or de cela, ni le système, ni les politiciens ne le souhaitent… et pour cause !

On fera remarquer que ce n’est pas la situation personnelle de l’élu qui est l’essentiel mais que c’est le système dans son ensemble. Certes, mais ce qui fait barrage au changement du système c’est l’élu qui en profite et verrouille toute possibilité de changement.

Alors, « Tous pourris » ? On le voit ce serait simpliste de l’affirmer,… il y a des degrés dans l’abjection, dans la compromission (des noms ?), la malhonnêteté (des noms ?), l’arrivisme (des noms ?), le népotisme (des noms ?), le détournement de fonds (des noms ?), le trucage de listes électorales (des noms ?), le trafic d’influence (des noms ?), l’achat de voix (des noms ?), l’abus de biens sociaux (des noms ?), le mensonge (des noms ?), dans la veulerie et la lâcheté (des noms ?). Il y a probablement des innocents dans le lot, mais leur silence – on ne crache pas dans la soupe… et elle est bonne - incite à la suspicion généralisée.

On n’a jamais vu des élus se mettre en grève contre les décisions du peuple, l’inverse est beaucoup plus fréquent. Il y a là incontestablement un message. La démocratie, au-delà des grandes déclarations et des apparences, marche à l’envers.

Devant l’ampleur de la catastrophe sociale – dont les élus portent une grande responsabilité -, le manque manifeste de volonté des politiciens d’aborder les vraies questions et la coupure qui s’est instaurée entre leurs conditions de vie et celle du reste de la société civile, la suspicion ne peut être que légitime et générale à leur égard. Le discours uniquement fondé sur la légitimité de l’élu et l’absence de réflexion critique sur les privilèges qui s’attachent au pouvoir est nul et non avenu.

Une telle situation, loin d’être garante d’une stabilité politique et de la paix sociale est lourde de menaces d’explosion de rancœur, écoeurement et révolte. On peut comprendre qu’une majorité de citoyens n’aient plus confiance dans les politiciens.

Le manque d’alternative politique sérieuse et l’opportunisme effarant de toutes les organisations politiques à l’égard du pouvoir, contraint de fait, par suivisme, crainte et manque d’initiative une majorité à aller voter (faute de mieux). Ce n’est pas ainsi que la stabilité et la paix sociales seront assurées. Le dégoût s’étend, la lassitude gagne et la pression monte !

Il est temps de réinvestir l’économie, le social et le politique sur des bases nouvelles.

Février 2010 Patrick MIGNARD


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