VOILE INTEGRAL : étendre le champ d’application de l’impératif laïque

dimanche 17 janvier 2010.
 

LE CONTEXTE

Je ne suis pas dupe du contexte dans lequel ce débat est mis en scène. Je veux donc marquer ma distance avec quelques uns de ceux qui ont déjà exprimé une opinion. Ainsi nombre des membres de la majorité parlementaire UMP qui se sont saisis du débat sur le voile intégral et réclament une loi d’interdiction ne sont pas crédibles dans le rôle laïque et féministe qu’ils endossent pour l’occasion. Les mêmes ne se sont jamais émus du recul du droit à l’avortement ou des entorses au principe de parité. J’exagère ? Qui a nommé un héraut de l’anti avortement, condamné pour cela à 18 mois de prison dont 9 fermes, à la tête d’un important établissement de santé publique sinon ce gouvernement ! Qui ferme les trois plus importants centres d’IVG en ile de france qui accomplissaient le quart des IVG de la région ? Qui propose une remise aussi brutale de la parité dans les élections sinon ce gouvernement lorsqu’il veut instaurer le scrutin uninominal à un tour pour les élections territoriales ? Et qui a fait l’apologie du retour du religieux dans la vie de la cité et remis davantage en cause la laïcité républicaine que Nicolas Sarkozy avec ses sornettes vaticanes sur « la laïcité positive » dans son discours de Latran par exemple ! Pour finir, je vois bien comment cette affaire est conduite pour fournir du picotin au fumeux débat sur l’identité nationale. Dans ce cadre il s’agirait de refuser le voile intégral au nom l’identité française, puisque selon la définition absurde qu’en a donnée le chef de l’état celle-ci serait « une culture, des mœurs ». A l’opposé de ce cortège d’hypocrites, s’exprime un ethnicisme insidieux souvent blindé de bonnes intentions. Là, on crie que l’interdiction stigmatiserait une communauté ! On discriminerait une population en lui interdisant une pratique qu’elle aurait choisit de s’appliquer librement. Mais que disent-ils du contenu de cette pratique ? Rien. Et si le voile intégral était bien une atteinte à la dignité humaine ? Il faudrait se taire. Seules celles qui se l’appliquent en seraient juges ! Dans un tel angle de vue il n’y a plus de droits universels de la personne humaine. On ne saurait recréer de façon plus choquante un nouvel indigénat. On déclarerait son humanité limitée puisque dans son cas on admettrait une dispense d’application des droits humains universels. Il y a là une façon de « respecter les différences » qui confine au racisme.

Enfin je n’aurai pas la naïveté de penser le problème posé hors du contexte de l’offensive des religieux que l’on voit se déployer. Dans le monde entier, les agressions politiques des églises catholiques contre le droit à l’avortement, la dérive vers le sectarisme évangéliste des protestants dorénavant scellée en France, les émeutes des fondamentalistes juifs en Israël, l’expansion généralisée de l’islamisme politique sont trop évidents ! La multiplication des voiles intégraux dans nos rues a une origine et une conséquence aussi politique que religieuse.

Principe

A ces préalables on comprend quels seront mes repères pour réfléchir. D’une part l’universalité des droits de la personne humaine, d’autre part la défense du caractère laïque de la République française. C’est par celle-ci que j’entre dans mes solutions. La république ne se mêle pas de la vie des religions ni des pratiques religieuse. Elle ne permet ni n’interdit rien en la matière. Mais elle garantit l’essentiel : la liberté absolue de conscience ! Une des façons de garantir cette liberté c’est aussi de s’interdire d’avoir des appréciations sur les pratiques religieuses. Ainsi ce n’est pas à nous de dire si le port du voile intégral est ou non un impératif de la religion musulmane. C’est l’affaire des musulmans d’en connaitre. Ayons la franchise de dire qu’en toute hypothèse cela ne changerait rien. Les témoins de Jéhovah inscrivent dans leurs dogmes le refus des transfusions sanguines. Ils sont légitimement inculpés et condamnés pour non assistance à personne en danger. La liberté religieuse est totale. Tout est permis. Sauf ce qui trouble l’ordre public, contrevient à la loi ordinaire ou porte atteinte aux droits de l’homme. Les droits de l’homme sont préalables et supérieurs à toute autre norme et la loi elle-même doit y être soumise. Le port du voile intégral y contrevient-il ? Voila la question. Son origine religieuse ne change rien à la qualification de l’acte qui consiste à en affubler quelqu’un. La loi dit que certaines pratiques religieuses doivent être considérées comme des délits du fait des maltraitances qu’elles occasionnent. D’ailleurs les membres des sectes qui crucifient des adhérents ou torturent des nourrissons par exemple sont condamnés pour le crime de droit commun qu’ils commettent sans que leur vocation religieuse soit considérée comme des circonstances atténuantes. Le port du voile intégral est-il un traitement dégradant ? C’est le critère déclencheur de l’action publique, le seul qui soit respectueux des principes au nom desquels on peut être conduit à interdire le port de ce voile. Si une loi concernait cet accoutrement, elle ne devrait donc en aucun cas mettre en cause une religion ou un groupe religieux en tant que tel. En République, il n’est pas de loi particulière, mais seulement des normes générales et impersonnelles, applicables à tous.

UNE PRESSION POLITIQUE

Ce n’est donc pas au nom des usages de nos ancêtres les gaulois, d’une quelconque culture particulière ou de valeurs prétendument occidentales que je combats le port du voile intégral. Mon point de départ est que le port de ce voile est un traitement dégradant pour la personne qui s’y soumet. Mais je n’oublie pas que, dans les faits, le porter en public n’est en rien une pratique purement personnelle. Il impacte lourdement son environnement. Le voile intégral a une fonction idéologique et politique. La violence symbolique qu’il produit dans l’espace public viole ostentatoirement la norme laïque qui gouverne notre vie sociale commune. Le voile intégral est en effet un moyen pour ses promoteurs d’imposer leur loi « particulière » dans l’espace public, à la place de la loi commune. Dans la logique de ses promoteurs, il s’agit de cette façon de pointer du doigt toutes celles qui ne le portent pas, de jeter sur elles le doute et la suspicion. Le prescripteur se voit par la même reconnaitre une domination particulière, au dessus de la loi. C’est de cette façon qu’ils pensent contraindre un nombre croissant de femmes à une appartenance non consentie et obtenir leur allégeance. Convaincre quelqu’un d’accepter un traitement contraire à son intérêt ou mettant en danger sa personne est un acte de conditionnement qui peut en lui-même être puni. La loi le prévoit. L’article 223-15 du code pénal, déduit de la loi Picard-Abou contre les violences des sectes, condamne lourdement la mise en état de sujétion et l’abus de faiblesse pour ceux qui s’en rendent coupables : trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. Deux condamnations au titre de cet article du code pénal conduisent à l’interdiction de la secte impliquée. Ainsi la loi démontre que notre régime de liberté de conscience absolue n’ignore pas les abus auquel il peut donner lieu et qu’il les réprime.

Un traitement discriminatoire

Le voile intégral fait de la femme qui le porte un être de seconde zone, susceptible de se voir infliger en public un traitement dégradant. Mai en toute impunité jusqu’à ce jour ! Pourtant la loi en France punit de telles pratiques ! Quand bien même la personne concernée en est satisfaite ! C’est ce qui a conduit à l’interdiction du « lancer de nain » dans une discothèque de Morsang sur Orge. Le nain était pourtant tout a fait consentant et furieux d’être privé de son job. La loi punit aussi l’exhibition sexuelle. Faut-il que nous lancions la mode de se promener nu dans la rue pour constater qu’il n’est pas admis de le faire ? Promener son propre enfant nu dans la rue est considéré comme une maltraitance punie par la loi. Ainsi, toute voilée serait légal et toute nue prohibée ? Qui ne voit comment deux points feraient alors bel et bien une ligne où le corps de la femme est le motif de son asservissement ? Certains disent ici : ces femmes affirment vouloir porter « librement » le voile intégral. Et alors ? La servitude si elle est volontaire n’en est pour autant ni plus acceptable ni plus légitime. Une société d’êtres libres n’autorise aucune enclave de servitude. Même consentie. Permettrait-on qu’une seule personne se donne librement en esclavage ? Le désarroi mental de cet esclave volontaire doit-il nous faire admettre que quelqu’un puisse être maitre d’esclave ? Invoquer la liberté pour tolérer le voile intégral, c’est nier l’égalité des droits ou en réduire infiniment la portée au point de considérer que certains ont moins de droits en raison de leur particularité supposée. J’affirme donc ceci : c’est fondamentalement le port du voile intégral qui discrimine la femme par rapport à ses semblables, et non pas son éventuelle interdiction.

UN ACCOUTREMENT OBSCENE

Pourquoi le port du voile intégral est-il un traitement dégradant pour les femmes ? D’abord parce qu’il est obscène. Il réduit qui le porte au seul statut de proie sexuelle potentielle. Comme on ne propose pas de crever les yeux des hommes, seule la dissimulation permettrait de soustraire l’objet du désir à la concupiscence naturelle, et donc légitime, de tous ceux qui les regardent. Notons combien cela est également injurieux pour les hommes réputé ainsi être nécessairement prédateur obsédé. Quoiqu’il en soit, un statut humiliant de propriété d’autrui est attaché à la femme voilée. Car quand bien même celui qui la dévisagerait se contenterait de cela, le profit qu’il tire de son seul regard est considéré comme un abus. Il diminuerait en effet l’usage exclusif de regarder réservé à celui qui affirme avoir des droits sur cette femme du fait même qu’elle est voilée. Littéralement ce dernier à un « droit de regard » exclusif sur la femme concernée. La clôture annonce ici aussi la propriété, avec le droit « d’user et d’abuser » qui s’y attache. Mais une personne humaine ne peut être la propriété d’une autre. Cela est contraire aux droits de l’homme qui proclame que les êtres humains naissent libres et égaux en droit.

UNE NEGATION DE SOI

Ensuite la dissimulation dans le but d’être rendu méconnaissable aux yeux des autres est au sens littéral une annulation de l’identité. Qui est là devant moi ? Non seulement je ne peux pas le savoir, mais je ne dois pas le savoir ! La femme voilée est niée comme personne particulière, parce que l’originalité physique qui singularise chacun de nous est rendue invisible. Dès lors, le voile intégral annonce que la personne ainsi vêtue n’existe pas. Non seulement parce qu’il est impossible de l’identifier mais parce que le sachant la voilée proclame ainsi qu’elle se nie elle même comme sujet autonome, c’est-à-dire apte au statut d’adulte lequel consiste à conduire personnellement sa vie parmi les autres. Le spectacle donné d’une telle auto-humiliation est un trouble manifeste à l’ordre public. D’ailleurs nous ressentons tous le même malaise en croisant les malheureuses que nous avons déjà observées dans cet accoutrement.

LEGIFERER ? POURQUOI PAS ?

S’il est admis que le port du voile intégral porte atteinte à la dignité de la personne humaine, est-il possible de l’interdire et comment ? Je l’ai dit, il existe déjà en droit français des normes qui encadrent les comportements, les messages et signes et même directement l’apparence physique, afin de préserver l’ordre public et la dignité de la personne humaine. J’ai mentionné l’arrêt du Conseil d’Etat qui a validé l’interdiction d’un spectacle de « lancer de nain », au motif que celui-ci portait atteinte à la dignité de la personne humaine. J’ai rappelé les dispositions de la loi de Nicolas Abou et Catherine Picard. J’ai dit que le code pénal punit également le délit d’exhibition sexuelle, dans la mesure où celle-ci porte atteinte à la pudeur publique. Il punit de même tous les messages « de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine » qui constituent des contraventions de 4ème classe.

Il n’est donc pas impossible ni contraire aux libertés publiques et droits fondamentaux de légiférer sur les pratiques vestimentaires si la défense de l’ordre public et de la dignité humaine le justifie. La dissimulation complète du visage pose problème de ce double point de vue. Elle empêche toute reconnaissance des personnes concernée, ce qui trouble l’ordre public. Et elle les prive aussi d’existence sociale et porte atteinte à leur intégrité physique et morale ce qui met en cause la dignité de la personne humaine. C’est donc sur cette double base que la loi pourrait affirmer l’obligation d’avoir le visage découvert dans tous les lieux publics. Jean-Marie Le Pen affirme que les dispositions actuelles de la loi suffisent et qu’il n’y a donc pas besoin d’une loi de plus. Quelle hypocrisie ! Si le port du voile est déjà interdit qu’est ce qui empêche alors de le dire de nouveau dans le cadre d’une loi, qui en rassemblerait toutes les dispositions aujourd’hui éparses, sur le sujet ? La vérité est évidemment que Le Pen ne veut pas d’une loi de plus qui renforcerait le cractère laïque de la république française ! Resterait ensuite à définir l’éventuelle sanction de la violation de cette obligation par la dissimulation complète du visage. Pour respecter la nécessité des peines et de pas aggraver l’absurde surenchère pénale actuelle, cette violation devrait plutôt relever de la contravention que du délit. Au total donc il ne s’agirait donc pas pour la loi d’interdire en particulier le port du voile intégral, mais d’affirmer le principe général de la non dissimulation du visage dans l’espace public, au nom de l’ordre public et du respect de la dignité humaine. Bien sur c’est un choix politique. Mais la république n’est pas un régime neutre ! Et puisque nous voici à l’ouvrage, je n’en resterai pas là.

ETENDRE LE CHAMP DE LA LAÏCITE

Si l’objet de la nouvelle loi est bien de garantir la liberté, l’égalité et la dignité de toutes les femmes qui vivent sur notre territoire, d’autres mesures seraient opportunes dans ce cadre. Si une proposition de loi est débattue, je pense que les parlementaires de gauche devraient les proposer par amendements. Le but serait d’étendre le champ d’application de l’impératif laïque. Ainsi faut-il interdire à tout patient de récuser le personnel soignant à l’hôpital et punir les interventions des personnes qui y inciteraient un patient. Je pense aux cas des personnes qui refusent ou font refuser un soignant parce qu’il s’agit d’une personne de sexe opposé. Après cela il est temps aussi d’imposer l’obligation de mixité des lieux publics et services publics. En effet le principe de mixité n’est pas aujourd’hui garanti par la loi, y compris à l’école. Par exemple, on ne peut accepter le maintien et l’extension des horaires de piscine non mixtes, ou bien les heures d’accès au sport réservées aux seuls hommes ou aux seules femmes, chacun de leur côté. Enfin, si législateur voulait afficher la constance de ses principes et la cohérence de sa pensée pour notre pays, il pourrait, pour conclure la nouvelle loi laïque, étendre l’application de la loi de 1905 outre-mer et en Alsace Moselle. Mais je crains que le nombre des républicains conséquents ne soit pas assez grand dans nos assemblées pour cela !


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