Mélenchon critique la candidate voilée du NPA. Réaction de Philippe Marlière, NPA

vendredi 8 novembre 2019.
 

1) Interview de Jean Luc Mélenchon

Marianne2.fr : Peut-on, comme l’aurait affirmé Olivier Besancenot au Figaro, être « féministe, laïque et voilée » ?

Jean-Luc Mélenchon : Il y a une confusion des rôles. Le débat politique ne doit pas aller sur le terrain religieux. Quelqu’un qui participe à une élection doit représenter tout le monde et pas seulement ceux dont il partage les convictions religieuses. C’est une attitude immature et un peu racoleuse qui dit : « A moi les miens ».

Pour en revenir à la phrase d’Olivier Besancenot, je crois qu’il y a mille manières d’être féministe, mais cette manière-là est un peu particulière et constitue une régression. Même dans les pays d’origine, cette pratique est combattue par les milieux progressistes. On ne peut pas se dire féministe en affichant un signe de soumission patriarcale.

La jeune femme en question, Ilham Moussaïd, explique que « dans l’atmosphère d’islamophobie » actuelle il est « important de s’unir pour une vraie gauche » et que « le sens de [sa] candidature est de donner une voix aux femmes et aux hommes issus des quartiers populaires » ?

C’est une erreur. Le mouvement ouvrier a toujours payé le passage à la religion et à l’ostentation. Ça empêche l’unité. Lors du Forum social qui s’est tenu en Inde, pour la première fois, il avait été question de laïcité. Il avait été évoqué le cas du syndicat des transports. Conducteurs et bagagistes ne parvenaient jamais à faire la grève ensemble parce que les conducteurs étaient brahmanes et les bagagistes des intouchables…

En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes. Il faut penser à tous ces gens qui n’ont tout simplement aucune religion. Il y a quelque chose d’unilatéral dans le comportement des religieux.

Et si cette jeune femme pense rassembler, elle se trompe : elle divise. Je lui demande de tirer les leçons de l’histoire de France. Non pas parce qu’il s’agit de l’histoire de France, mais parce que nous avons connu trois siècles de guerres de religions. Il ne faut pas être orgueilleux et elle doit apprendre qu’il faut se nourrir des luttes du passé.

Certains avanceront que sa religion est seulement plus visible, que des politiques se revendiquent ou se sont revendiqués comme catholiques et catholiques de gauche notamment ?

Pour ma part, je me suis toujours refusé à dire si j’étais croyant ou si je ne l’étais pas. Parce que je ne trouve pas ça respectueux. Il ne faut pas se tromper : elle a le droit de pratiquer, mais pas dans la sphère politique. Là, on a le sentiment qu’elle le fait pour donner à voir. Ce n’est pas acceptable.

La direction du NPA dit se plier à une « décision locale » après « un débat sérieux et complexe ». Au PG, ça ne pourrait pas avoir lieu ?

Ils ont de la chance que ce ne soit pas un intégriste religieux qui ait été désigné ! Ou quelqu’un avec une cornette sur la tête ou qui veuille se promener tout nu ! Au PG, nous en discuterions directement avec l’intéressé. Nous réunirions les instances locales s’il le fallait et nous lui dirions : « C’est inacceptable. Ce n’est pas possible ».

Si ça se trouve, cette jeune femme est une très bonne militante. Mais si elle a une conscience politique, c’est sur le terrain politique que ça doit se jouer, avec des arguments. La religion est du domaine de la vérité révélée. On ne peut pas débattre de ce qui relève de la vérité révélée.

Vous expliquiez que c’était une « attitude un peu racoleuse » ? Faut-il, selon vous, y voir un coup politique du NPA ?

Ils se saisissent de tous les moyens pour creuser le fossé, pour se différencier de nous qui sommes d’une gauche laïque, d’une gauche qu’ils savent à cheval sur les principes. Mais ça n’est franchement pas une bonne idée. Tout ça est régressif et, à l’intérieur du NPA, il n’est pas sûr que les camarades marxistes révolutionnaires apprécient…

2) Réaction de Philippe Marlière, NPA

Cher Jean-Luc,

Nous avons eu droit à la grand messe sur l’identité nationale des sécuritaires Besson-Hortefeux (un « débat » pour attrape-nigauds ou pour fachos de tout poil). Puis, ce fut au tour du couple Gérin-Raoult, les pieds-nickelés de l’ordre républicain (et « éradicateurs » de burqas). Aujourd’hui, nous enchaînons avec la chasse à la candidate « islamiste » du NPA. Manque de pot, cette fois-ci, c’est toi qui lance la meute contre Ilham Moussaïd. Que tu le fasses à partir d’une feuille réactionnaire (la mal-nommée Marianne) ajoute encore au trouble.

Tu dis que cette candidature est « régressive ». Qu’en sais-tu ? Connais-tu la candidate ? As-tu discuté avec elle de ses opinions politiques ? Qu’est-ce qui te permet de douter de son engagement féministe, laïque et de gauche ?

Tu affirmes que cette candidature est « immature ». Pourquoi ? En quoi le choix d’une femme dont les parents sont issus de l’immigration serait « immature » ? Cette initiative que tu qualifies subtilement de « racoleuse » vise en réalité à présenter une jeune femme d’origine populaire et qui est politiquement active dans sa région. Où est le mal ? En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ?

On peut opposer cet acte pleinement politique à la pitoyable drague des « minorités visibles » par les partis de gauche (un terme hypocrite et impropre, car on sait bien que l’on s’intéresse ici au caractère ethnique des personnes). Dans ce cas, contre la mise en scène de la couleur sur une liste, des partis de la gauche laïque cèdent quelques strapontins à des minorités normalement invisibles. Qu’as-tu à dire de cette tartufferie électorale ?

Plus fort encore : tu affirmes que le NPA « entraîne le débat sur le terrain religieux ». En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ? Rien dans son discours public de militante ne te permet d’étayer cette accusation gratuite.

Allons, cessons de tourner autour du pot : ce qui te pose problème, ce n’est ni la candidate, ni ses origines ethniques ou sociales, mais le fait qu’elle porte un foulard. Un foulard ! Quelle horreur ! Et te voilà déclinant le prêt-à-penser soi-disant laïque : le foulard, c’est mal, ce n’est pas républicain, ce n’est pas progressiste, etc.

Tu es l’un des rares hommes politiques français qui lit, réfléchit, débat, tente de comprendre et d’interpréter le monde tel qu’il est. Quelle déception de te retrouver attablé au café du communautarisme laïcard. Le foulard est un « signe de soumission patriarcale » assènes-tu. Qu’en sais-tu ?

Le foulard n’a intrinsèquement rien à voir avec cela. Dans certaines situations, une femme voilée peut en effet être soumise à la domination masculine, mais c’est loin d’être une règle générale. Inversement, nombre de femmes en apparence « libérées » et « modernes » vivent sous le joug tyrannique de conjoints.

La domination patriarcale s’inscrit avant tout dans les rapports hommes-femmes au quotidien. Une femme qui a librement décidé de porter le voile et qui mène une existence autonome sera toujours plus libre que celle sans voile qui, du foyer au bureau, sera cantonnée à des rôles mineurs, parce que femme. Cette laïcité est celle de l’intolérance et du refus de la différence

Nous avons toi et moi longtemps appartenu au Parti socialiste, où il est de bon ton de stigmatiser les « voilées ». C’est dans ce parti que j’ai pu observer les manifestations les plus machistes et misogynes, sans que cela ne suscite aucun tollé chez les éléments masculins : blagues sexistes, intimidations physiques et, last but not least, infractions délibérées à la loi sur la parité. C’est drôle, dans ces cas-là, personne ne s’élève contre la « domination patriarcale ».

Tu affirmes enfin qu’Ilham Moussaïd « divise » et qu’il lui faut « tirer les leçons de l’Histoire de France (…) parce que nous avons connu trois siècles de guerre de religion ». Si ce n’est pas un dérapage de ta part, cela y ressemble de près.

En quoi le foulard d’Ilham serait-il comparable à nos guerre de religions, à la déportation des juifs par la police française ou encore à la « mission émancipatrice » laïco-chrétienne en Algérie ? Il faut garder le sens de la mesure, Jean-Luc !

La laïcité qui décide comment il faut s’habiller sur la voie publique, qui prétend interpréter le sens que l’on donne à son apparence physique et qui exclut les têtes (et les voiles ! ) qui dépassent, ce n’est pas la laïcité : c’est l’intolérance et le refus de la différence. Jean-Luc, laisse cela aux Besson, Hortefeux, Gérin et Raoult.

Avec mes salutations amicales et navrées.

Philippe Marlière Maître de conférences à Londres


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