Mastérisation du recrutement des enseignants : un levier idéologique

dimanche 27 décembre 2009.
 

Le gouvernement a entrepris une réforme du mode de formation et de recrutement des enseignants du 1° et du 2° degré. C’est cette réforme qui est couramment nommée « mastérisation ». Les textes de référence sont les décrets du 28 juillet 2009 tandis que la circulaire du 20 août 2009 précise les conditions des stages à effectuer par les candidats.

● De quoi s’agit-il ?

Jusqu’alors, pour se présenter à un concours de recrutement de l’enseignement, que ce soit comme professeur des écoles, professeur de l’enseignement professionnel (PLP) ou de l’enseignement du second degré (certifié en collège et lycée), il était nécessaire d’avoir une licence (une maîtrise était requise pour se présenter à l’agrégation). Cependant des candidats se présentaient parfois avec une maîtrise ou même un doctorat. Désormais, les étudiants devront être inscrits en seconde année de Master (M2) pour passer un concours, et réussir cette année de M2 pour valider le concours en cas d’admission à celui-ci.

Lors de la 1° année, les étudiants devront faire un stage dans les établissements scolaires de 108 heures : soit un stage d’observation ou (et) de pratique accompagnée (gratuit), soit un stage en responsabilité (rémunéré 34,30 euros bruts de l’heure).

Les épreuves du concours sont modifiées. En M2, l’étudiant passera l’écrit du concours (réduit à très peu d’épreuves) en fin du premier semestre ; puis l’oral après le stage effectué au second semestre. Cet oral devient essentiel : une nouvelle épreuve, « l’épreuve d’entretien avec le jury » sera instaurée. Celle-ci ressemblera à un véritable entretien d’embauche. Le jury comprendra des représentants de l’administration et de la « société civile », c’est-à-dire des patrons.

S’il réussit, l’étudiant ira immédiatement enseigner, à raison de 12 heures de cours par semaine pour un certifié-stagiaire, accompagné d’un vague « compagnonnage », et d’une formation (au tiers de son temps) en IUFM : cela permettra au gouvernement d’économiser 7 à 8000 postes. S’il échoue, l’étudiant pourra, avec ce nouveau master, être recruté en contrat précaire directement par les chefs d’établissement !

● Face à la mobilisation, le gouvernement a louvoyé

Durant plusieurs mois, le gouvernement n’a rien cédé d’essentiel sur ce projet, ce qui montre l’importance qu’il lui attache. Tout au plus a-t-il concédé quelques aménagements. Ainsi Darcos a-t-il reporté, le 20 mars 2009, d’un an la mise en œuvre du nouveau mode de recrutement. Et il a « concédé » que l’enseignant stagiaire n’enseignerait pas à temps complet comme il le voulait au départ mais pour seulement les deux tiers de son service (c’était un tiers avant la réforme !). Mais la nouvelle formation, quant à elle, se mettra en place dès septembre 2009 pour la promotion suivante. Et les universités sont sommées de remettre des maquettes pour ces masters professionnels.

Le gouvernement a fait en mai 2009 une minuscule concession : il annonce que les lauréats des concours 2010 qui seront titulaires d’un M1 pourront être recrutés comme fonctionnaires stagiaires sans attendre d’avoir un M2. Mais cela reste une mesure transitoire. Par ailleurs, il mit en place une commission chargée officiellement de reprendre le dossier de la formation, la commission Marois-Filâtre. Pendant que la commission discutait, le gouvernement présentait ses projets de décret sur « les dispositions permanentes de la formation et le recrutement des enseignants » au comité technique paritaire des 27 et 28 mai. Les représentants syndicaux, y siégeant, votèrent de différentes manières : il n’y avait pas de front syndical uni contre cette réforme.

Le 17 juillet, la commission Marois-Filâtre rend son rapport. Mais les décrets sur la mastérisation, déjà prêts, sont publiés le 29 juillet. Ils réaffirment que, pour devenir fonctionnaire stagiaire, il faut avoir réussi le concours de recrutement et avoir obtenu un master. Et le bénéfice du concours est perdu si l’étudiant, après redoublement, n’a pas obtenu le M2. C’est sans précédent dans la fonction publique : c’est la remise en cause de la nature pérenne de la réussite à un concours.

Quatre commissions techniques sont mises en place pour préciser d’ici fin octobre le contenu des masters et des concours, et surtout la place du concours en deuxième année de master. Sans attendre, le ministère publie le 20 août une circulaire concernant les stages en responsabilité des étudiants de M2 ; non encore admis au concours, ils devront prendre en charge la classe d’un enseignant pendant une durée de 108 h. Et, malgré les « engagements » antérieurs, les étudiants pourront assurer un service de 18h hebdomadaire, et être ainsi utilisés comme remplaçant d’un professeur absent.

Après poursuite des discussions, les groupes de travail interministériels sur la réforme de la formation enseignante ont rendu leurs rapports le 15 octobre. Ils proposent, comme le veut le gouvernement, que les épreuves d’admissibilité aient lieu en M2, et selon un calendrier différencié : fin septembre pour les professeurs des écoles, et fin décembre-début janvier pour les Capes et Capet. Le nombre des épreuves serait très réduit, incluant une forte dimension professionnelle.

A cette étape, les organisations syndicales sont divisées concernant ce calendrier. Cinq organisations syndicales d’étudiants et d’enseignants (Sup Recherche UNSA, SNUIpp-FSU, Snesup-FSU, Sgen CFDT, SE-UNSA, UNEF) demandent de situer l’épreuve d’admissibilité des concours de recrutement en fin de M1. C’est aussi ce que demande l’Académie des sciences. D’autres organisations hostiles à l’ensemble du projet (SUD, SNLC-FO) n’ont pas signé cette proposition d’aménagement de la réforme. Il en est de même pour le SNES-FSU qui soutient pourtant le principe de la mastérisation.

● Les arguments ministériels

En repoussant le moment de recrutement, on augmente le niveau de qualification des futurs enseignants, ce qui pourrait justifier une augmentation salariale. La mastérisation s’inscrirait dans une volonté de revalorisation du métier d’enseignant (qualification et rémunération en hausse).

D’autres arguments ne sont pas ouvertement mis en avant, mais se devinent en creux dans les discours ministériels et s’inscrivent dans la logique de la RGPP (révision globale des politiques publiques) : économies budgétaires, rationalisation de la dépense publique, baisse de l’emploi public.

Un dernier argument met en avant une volonté d’harmonisation du niveau de recrutement des enseignants au niveau européen.

● Les critiques

-  une attaque contre les statuts. Les « collés-reçus » constitueront un gigantesque vivier dont pourra disposer le gouvernement pour recruter des enseignants non fonctionnaires, ouvrant ainsi la voie à la liquidation du statut. Des étudiants en stage en responsabilités devant effectuer 108 heures pourront être utilisés dans les établissements pour des remplacements de courte durée : des étudiants sans concours seront mis devant des élèves.

-  une volonté d’économiser des postes. 50 000 stages en responsabilités de 108 heures, cela représente 5 millions d’heures de cours, soit l’équivalent de près de 8 000 postes. Après réussite au concours, le stagiaire prendrait un poste avec deux tiers de temps d’enseignement (12 h pour un certifié) au lieu d’un tiers de poste.

-  un affaiblissement des contenus disciplinaires. L’exigence en apparence plus élevée pour passer les concours se traduira … par un affaiblissement des contenus enseignés à l’université. Le master professionnel comprendra une part importante donnée aux stages : outre la réduction des cours au détriment des savoirs, c’est surtout le principe du travail gratuit qui de la sorte est en passe d’être institutionnalisé.

-  la mise en place de masters professionnels à destination des enseignants à côté de masters dits « disciplinaires ». Ces masters sont qualifiés par le ministère de « généralistes », préparant à la fois à la recherche et aux concours, combinant contenu disciplinaire, pédagogie et nombreux stages….La combinaison de ces ingrédients évoluerait au cours des quatre semestre de M1 et M2, et serait variable selon les universités et les choix de l’étudiant. Cela contribuerait à disloquer un peu plus le contenu des formations mais aussi la valeur nationale des concours puisque ceux-ci ne pourront être validés qu’après obtention d’un tel master « local » .

-  l’argument de la revalorisation du métier n’est pas tenable. Au contraire, il y aura une précarisation accrue. Les salaires ne seront pas augmentés, le gouvernement annonçant des promotions au mérite pour les enseignants. Mais le plus dangereux dans ce projet est que des dizaines de milliers de candidats vont se retrouver détenteurs d’un master « métier de l’enseignement » mais ne seront pas admis aux concours (les « collés-reçus »). Il y aura donc là un gigantesque vivier dont pourra disposer le gouvernement pour recruter des enseignants non fonctionnaires.

-  une attaque contre le principe républicain du concours. Des dispositions vont clairement dans ce sens : la part accrue de l’épreuve d’entretien avec le jury s’apparentant à un entretien d’embauche en cours dans le privé, la négation de la nature pérenne de la réussite à un concours. La mesure s’accompagnera d’une baisse du nombre de postes offerts aux concours, qui sera compensée par la possibilité de puiser largement et à tout moment dans le vivier de futurs précaires des « collés-reçus ».

-  une vision sociale régressive. Ce dispositif retarde d’autant le moment où l’étudiant peut devenir fonctionnaire stagiaire rémunéré. C’est au minimum une année supplémentaire d’étude que le candidat ou sa famille devra financer : dans ces conditions, un critère de sélection sociale peut intervenir pour les étudiants issus de familles modestes. Cette entrée plus tardive dans la vie active augmente également l’âge du départ à la retraite pour bénéficier d’un taux plein (et donc les risques d’une décote).

● La position du PG

Nous sommes conscients que ces mesures s’inscrivent dans la volonté gouvernementale de détruire l’enseignement public. La mastérisation qui bouleverse les modes de formation et de recrutement des enseignants, avec en filigrane une offensive de grande ampleur contre les statuts des enseignants (l’équivalent du code du travail pour la fonction publique) en constitue un levier essentiel. La lutte contre ce projet s’inscrit en fait dans le combat contre l’idéologie dominante qui déstructure l’Ecole comme institution de la République.

Nous revendiquons l’abrogation des décrets de juillet, conformément à notre position générale d’abrogation de la LRU, et le refus des nouvelles maquettes pour les M2. Nous soutenons, dans ce cadre, les exigences formulées par différents syndicats et coordinations lorsqu’elles visent à préserver les statuts nationaux, les diplômes et concours nationaux et le contenu national des programmes. De même nous refusons toutes les suppressions de postes statutaires et affirmons nous qu’il faudra rétablir les postes supprimés.

Le PG défend également les différentes formes d’actions des « désobéisseurs » qui refusent la mise en œuvre de la réforme, notamment par le refus de rendre les maquettes des nouveaux masters et par le refus de participer à la mise en place des stages en responsabilité.

Serge GOUDARD, Francis DASPE Novembre 2009


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