Quand Grigny préfigure ce qu’il va advenir aux communes dans les années à venir…

jeudi 12 novembre 2009.
 

Grigny constitue, au premier chef, une illustration presque caricaturale du désengagement de l’État aux côtés des communes. En euros constants, les dotations versées par la collectivité nationale n’ont cessé de baisser au cours de ces vingt dernières années

Avec un peu de recul, il faut revenir sur la situation imposée à la commune de Grigny par le représentant de l’État lorsqu’il a fait le choix d’augmenter les taux des taxes d’habitation et sur le foncier bâti mais aussi d’intervenir dans les dépenses de la ville. Le Préfet a décidé de gérer le budget communal par arrêté. Ce faisant, il se substitue au conseil municipal pour exercer la première prérogative des élus du peuple. Pour autant, il est faux de dire que la Ville de Grigny est mise sous tutelle puisque le conseil municipal n’est pas dissous et que la ville n’est pas dirigée par une délégation spéciale. Ceci précisé, Grigny constitue aujourd’hui un exemple préfigurant ce qui pourrait arriver aux collectivités territoriales, et singulièrement aux communes, si la réforme proposée par la commission Balladur sur les collectivités venait à devenir réalité.

I - État des lieux & conséquences d’une décision

En premier lieu, reprenons les faits : affichant un déficit de 15 millions d’euros (à comparer avec les 15 milliards d’euros de recettes dont le gouvernement s’est volontairement privé avec le « bouclier fiscal »), le budget primitif de la ville est refusé par le représentant de l’État. Lequel décide d’augmenter les taux de la taxe d’habitation de 44,26 % et de la taxe sur le foncier bâti de 50 %. Par ailleurs, il intervient dans les dépenses de fonctionnement, celles qui concernent le plus la vie quotidienne des habitants (écoles, crèches, équipements de proximité...), en réduisant les crédits alloués au personnel communal mais aussi et surtout à la culture et à la jeunesse. Ceci dans une ville où les besoins sociaux sont immenses : 40 % de la population a moins de 20 ans ; 21 % des Grignois sont allocataires des minima sociaux ; 49 % vivent dans un logement social. Le rapport 2009 de la Chambre régionale des comptes pointe par ailleurs : « le revenu moyen par habitant est inférieur de 40 % à la moyenne des communes de plus de 10 000 habitants (...) Un taux de natalité deux fois plus élevé que la moyenne départementale qui induit des charges importantes liées à la jeunesse ». Effectivement, avec quelque 750 naissances par an et 4 650 élèves scolarisés à la rentrée 2009 dans les écoles maternelles et élémentaires, les besoins de Grigny en matière de petite enfance et d’enfance sont comparables à ceux d’une ville de plus de 40 000 habitants. Or, ce « surcoût scolaire » n’est pas pris en compte dans les dotations attribuées à la commune.

Les conséquences de la décision de l’État sont graves. Outre qu’elle remet en cause le service public de proximité, elle met à mal la politique publique menée par la commune, la Communauté d’agglomération mais aussi l’État lui-même et son bras armé l’Agence nationale pour la rénovation urbaine en matière de mixité sociale. Ce sont les salariés et les petites entreprises qui sont les premières victimes de l’arrêté préfectoral alors même que les deux projets de rénovation urbaine menés sur le territoire (la Grande Borne et Grigny II) ainsi que la Zone d’aménagement concerté Centre-ville ambitionnaient de ramener ces classes moyennes et petites entreprises à Grigny.

Autant dire que le développement futur de la ville est sérieusement obéré par la décision de l’État. En effet, en sursollictant les ressources fiscales actuelles de la ville, elle met en péril la croissance observée des bases fiscales quelle que soit l’impôt local dont on parle.

De même, la décision du Préfet compromet les projets de développement économique menés par la Communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne, projets qui font de ce territoire, et de Grigny en particulier, le plus dynamique de toute l’Essonne ces dernières années. Qu’on en juge : l’augmentation des bases brutes de taxe professionnelle sur la commune de Grigny s’élève à 44 % entre 2004 et 2008, faisant de ce territoire le plus dynamique du département de l’Essonne ; les lacs de l’Essonne ont généré 23 % des créations d’emploi privé dans le département de l’Essonne entre 2003 et 2007. La hausse brutale de la taxe sur le foncier bâti compromet l’attractivité du territoire au moment même où une deuxième phase de développement est mise en oeuvre.

II - Grigny, caricature du désengagement de l’État

Dans ce cadre, Grigny constitue, au premier chef, une illustration presque caricaturale du désengagement de l’État aux côtés des communes. En euros constants, les dotations versées par la collectivité nationale n’ont cessé de baisser au cours de ces vingt dernières années. Pour illustrer ce propos, l’Association des Maires de France, dans son analyse de la loi de Finances 2009, signalait : « les concours de l’État aux communes et établissements publics de coopération intercommunale progressent en 2009 de 1,1 milliard d’euros (soit + 2 %, c’est-à-dire moins que l’inflation réelle), puis de 1 milliard chaque année (soit + 1,74 % en 2010, + 1,71 % en 2011, et + 1,68%en 2012). Il est donc estimé que les dépenses publiques locales progresseraient à un rythme inférieur aux recettes, afin d’atteindre l’équilibre en 2012 ».

Ce processus de désengagement de l’État s’est aggravé depuis le retour de la droite au pouvoir en 2002 que ce soit en termes de fonctionnement ou d’investissement. Les secondes lois de décentralisation, les fameuses « lois Raffarin » ont été traduites dans les faits par un accroissement des compétences attribuées aux communes sans, pour autant, que la compensation à l’euro près, pourtant prévue par les textes, ne soit respectée.

Le résultat est clair et rapide : vu que les ressources fiscales des territoires sont souvent limitées, le recours à l’emprunt se développe. Sauf qu’il est interdit pour financer les dépenses de fonctionnement. Implicitement, c’est une manière d’amener les collectivités à pratiquer la délégation de service public voire la privatisation. En l’espèce, à Grigny, la municipalité dirigée par Claude Vazquez a choisi de maintenir le service public en régie directe. De plus, Grigny est contraint à mener des investissements lourds pour rattraper un retard structurel dont l’État est le premier responsable. En effet, la population grignoise est passée de 2 938 habitants en 1968 à 25 653 en 1975, sous l’effet de la construction de la Grande Borne et de Grigny II. Cette situation, connue de tous, a amené l’État, sur proposition de la Chambre régionale des comptes, à mettre en place, dès 2003, un plan de redressement abondé de quatre millions d’euros annuels pour les dépenses de fonctionnement. Il se trouve que, dès 2004, l’État a argué d’une hausse des dotations de solidarité urbaine (DSU) pour justifier son désengagement du plan de redressement ; en 2005, il cessait tout versement exceptionnel à la ville. Combien de communes connaissent la même situation ?

Les dotations de fonctionnement se voient réduites sous prétexte de hausse des crédits DSU, lesquels sont d’ailleurs remis en cause par le secrétariat d’État à la politique de la Ville...

Pour la droite au pouvoir, il s’agit bien de réduire l’ampleur des services publics pour favoriser les privatisations ou délégations de services publics, le tout au nom du dogme de la réduction des dépenses publiques. Il y a de la cohérence dans ce choix, puisque la droite a soutenu la Commission européenne dans son choix de substituer à la notion de service public celle de service d’intérêt économique général, qui présente la particularité de pouvoir être mise en oeuvre par n’importe quelle entité juridique jusqu’à la société anonyme. Cohérence encore avec la position des négociateurs européens dans les discussions autour de l’Accord global sur le commerce des services qui s’accordent avec leurs homologues nord-américains pour libéraliser l’ensemble des activités de services.

III - Une expérimentation des préconisations du comité Balladur

Mais Grigny anticipe aussi les décisions qui pourraient être prises si les propositions effectuées par le Comité Balladur sur la réforme des collectivités territoriales venaient à être adoptées par le Parlement. Il faut se souvenir que le premier argument mis en avant par les membres du Comité (et qui, semble-t-il, fait consensus !) reste la question du « coût » de l’action publique. Le rapport précise : « Le premier objectif serait la simplification administrative et la limitation des coûts de fonctionnement et de coordination des structures ». Nous trouvons là le fil conducteur de la politique menée par la droite depuis 2002.

La réalité des faits démontre que cet argument résulte de l’idéologie plus que de la pratique. En effet, les transferts de compétences de la commune de Grigny vers la Communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne depuis sa création ont permis le maintien voire le développement du service rendu à la population mais, pas plus qu’ailleurs, ils n’ont pu générer d’économies réelles sur le budget communal que de manière marginale, à hauteur d’environ 860 000 € cumulés tenant compte de l’inflation et du glissement vieillesse technicité.

Dans l’exemple grignois, malgré la démonstration faite, le représentant de l’État insiste sur le fait que les ressources nécessaires au redressement des finances communales doivent être trouvées au sein du territoire couvert par l’intercommunalité, en la matière la Communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne. Le rapport du Comité Balladur confère la primauté de l’action publique aux intercommunalités, appelées à devenir des « communes nouvelles » et dont les communes actuelles ne seraient que des arrondissements au sens de la « loi Paris-Lyon-Marseille ». En affirmant que la seule Communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne garantit l’avenir de Grigny, le Préfet ne met-il pas déjà en oeuvre les possibles évoqués par le rapport Balladur ? A notre sens, poser la question c’est déjà y répondre.

Si les Lacs de l’Essonne ne suffisent à générer les ressources financières dont la ville a besoin, il conviendrait donc de redéfinir le périmètre de l’intercommunalité à laquelle appartient Grigny. Cette vision des choses cadre parfaitement avec la lettre du rapport du Comité Balladur. Page 79, le comité précise en effet : « L’achèvement de la carte de l’intercommunalité implique que toutes les communes soient obligées de faire partie, en fonction de la population qu’elles comptent, de la structure intercommunale correspondante : communauté urbaine, communauté d’agglomération ou communauté de communes (...) A cette fin, le Comité recommande que la loi prévoie que les communes soient invitées à rejoindre, avant le 31 décembre 2013, une intercommunalité et que, passé ce délai, il appartienne au préfet d’y pourvoir ». Dans les pages suivantes, les rédacteurs précisent encore leur pensée en ouvrant la porte à la recomposition des intercommunalités existantes toujours sur le même mode autoritaire.

Cette posture s’oppose radicalement à notre vision des choses. En effet, nous sommes fermement attachés au principe constitutionnel de libre administration des communes, duquel découle, à notre sens, le principe d’intercommunalité de projet. En ce sens, nous nous rattachons à la loi du 12 juillet 1999 et aux termes de l’article L.5210-1 du code général des collectivités territoriales, selon lesquels les groupements de communes « se fondent sur la libre volonté des communes d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ».

Repères :

Population de Grigny en 1968 : 2 938 habitants ;

Population de Grigny en 1975 : 25 653 habitants ;

Population de Grigny en 2009 : 25 961 habitants (source : Insee) ;

Population de Grigny en 2009 : 30 000 habitants (source : Revues de projets Grigny II et La Grande Borne mars 2009) ;

40 % de la population a moins de 20 ans ;

21 % de la population active est allocataire des minima sociaux

49 % de la population habite dans le parc locatif social ;

4 650 enfants sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires ;

750 naissances par an ;

Le chiffre :44 %

L’augmentation des bases brutes de taxe professionnelle entre 2004 et 2008 sur le territoire de Grigny.


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