Les communes refont du commun

jeudi 20 août 2020.
 

Des collectivités de plus en plus nombreuses veulent se réancrer dans le local pour retrouver le pouvoir d’agir. Leurs expériences esquissent une reconquête sociale, écologique et démocratique.

Fanny Lacroix en est convaincue : « On peut faire de grandes choses dans une toute petite commune ». De fait, son village a radicalement changé en quelques années. Lorsqu’elle a débarqué à Saint-Sébastien (Isère), en 2014, c’était comme secrétaire de mairie, et la désertification rurale était plus qu’avancée dans cette bourgade de 250 âmes, située entre Grenoble et Gap. Il n’y avait plus d’école depuis quarante ans. Les commerces avaient fini par disparaître. Et sa prédécesseure, à la mairie, venait de décéder. Quant à la municipalité, elle venait de se fondre dans une commune nouvelle, baptisée Châtel-en-Triève.

La seule source d’espoir, c’était une friche. Une ancienne colonie de vacances désaffectée, installée sur un terrain de trois hectares. « Le maire m’a dit : "C’est tout ce qu’il nous reste, il faut qu’on arrive à refaire notre village, à recréer du vivre ensemble autour de cet espace". » Cela tombait plutôt bien. Urbaniste de formation, Fanny avait été, dans une autre vie, consultante spécialisée dans la participation des habitants, à Paris.

Des ateliers participatifs sont mis en place. L’intelligence collective a rapidement fait le reste. Les administrés ont proposé de créer un café associatif, une carrière équestre municipale ainsi qu’un jardin partagé. « Cela a un peu surpris, au départ, car ici tout le monde possède son jardin. Mais il manquait un lieu de vie », relate la trentenaire.

Le lieu a ouvert ses portes en juin 2019, et sa création s’est accompagnée d’un véritable « réveil citoyen ». Trois associations ont été créées, dont une pour gérer l’estaminet où l’on peut « boire local », « acheter local » et cultiver les liens humains. Un salarié a été embauché. Les logements appartenant à la commune, autrefois vacants, ont à nouveau trouvé preneurs. Un temps menacée, l’école, située dans l’autre bourg de la commune, a pu être sauvée.

Écologique, sociale et démocratique

« Ici, à Châtel-en-Triève, on peut changer le monde ! », insiste Fanny. Le café-épicerie, en plus de soutenir les circuits courts, devrait prochainement assurer la restauration collective de l’école, dont la gestion vient de redevenir municipale. « En plus de faire le déjeuner pour les enfants, il pourrait aussi préparer des plateaux-repas pour les personnes âgées. Ce qui revient à créer des filières écologiques tout en mettant en œuvre des politiques sociales », s’enthousiasme Fanny, qui a troqué son costume de secrétaire de mairie pour celui de candidate aux municipales.

Un groupe d’habitants a aussi réalisé un voyage d’étude au Puy-Saint-André. Accroché à flanc de montagne au-dessus de Briançon, dans les Hautes-Alpes, ce village de 465 habitants a inventé la première société d’économie mixte locale pour développer les énergies renouvelables. Les citoyens, qui peuvent en devenir sociétaires, reprennent la main sur cet enjeu vital. Les panneaux solaires ont fleuri sur les édifices privés et communaux, et le village a réduit sa consommation d’énergie de 30%, dépassant de loin les objectifs nationaux. Ce volontarisme a fait des émules dans le Briançonnais, où la gestion des déchets et de l’eau a récemment été remunicipalisée.

La commune est aussi le lieu où l’on réinvente la démocratie. Près de 147 listes utilisant des outils de la démocratie participative, dans le sillage de Kingersheim et Saillans, pionnières en la matière, vont d’ailleurs se lancer à l’assaut des municipales. À Commercy, dans la Meuse, l’assemblée citoyenne constituée par les « Gilets jaunes » va aussi se lancer. « Pour nous, les élections, c’est un moyen et pas un objectif », prévient Steven Mathieu, éducateur spécialisé de vingt-neuf ans. Le but ? « Se réapproprier le territoire », trouver « une alternative à la démocratie représentative », mais aussi travailler à la constitution « d’une commune des communes », capable de former un « vaste contre-pouvoir basé sur la démocratie directe ».

En première ligne

L’enracinement local redevient un « enjeu central des luttes et des projets de transformation », résume Mathieu Rivat, dans un livre qui revient sur les expériences municipalistes menées à Trémargat, (Bretagne), au Puy-Saint-André, à Ungersheim (Alsace), Grenoble ou Loos-en-Gohelle (Hauts-de-France). Loin d’avoir disparu, le territoire « sert au contraire de base, de zone à partir de quoi s’affirme une puissance d’agir qui va contre le sentiment d’impuissance généralisé », dans un monde où « nous avons délégué aux institutions, au marché et aux multinationales, pour des raisons de rationalisation et d’organisation, des choses aussi vitales que de préparer sa nourriture, construire sa maison, se soigner ».

Sur les questions environnementales aussi, les collectivités locales sont en première ligne. « Selon le Giec, 50% à 70% des solutions pour lutter contre le dérèglement climatique se jouent à l’échelle infranationale », rappelle Zoé Lavocat, chargée des collectivités et des territoires au sein du Réseau action climat. Bâtiment, éclairage public, transports, déchets, distribution de l’énergie et, plus généralement, aménagement du territoire…

Les communes et les intercos « ne manquent pas des compétences en la matière », assure Zoé Lavocat, qui cite en exemple la politique menée à Dunkerque et chez sa petite voisine, Grande-Synthe. La communauté urbaine, qui fédère les deux villes du Nord, a mis en place la gratuité des transports publics. Cette mesure a eu un tel écho qu’elle a été reprise partout en France. Des travaux viennent aussi de débuter pour étendre le réseau de chaleur urbain grâce à l’énergie produite par l’usine Arcelor-Mittal, présente sur Grande-Synthe. Les économies réalisées vont directement financer des mesures pour faire face à l’urgence sociale, et notamment le minimum social garanti. Unique en France, cette expérimentation vise à sortir de la pauvreté près de cinq cents ménages en leur versant une aide sociale municipale qui leur permet d’atteindre 50% du revenu médian, limite du seuil de pauvreté.

Résister au marché et à l’État

Mais si Grande-Synthe peut montrer, par l’exemple, que « la question sociale est irrémédiablement liée à la question écologique », c’est aussi parce qu’elle bénéficie de moyens importants, dus à la présence d’une grosse industrie. « Même lorsque les collectivités locales sont des actrices particulièrement avisées et pertinentes pour conduire le changement, […] elles sont touchées de plein fouet par les effets des politiques néolibérales, qui limitent leur capacité d’action et délégitiment l’action publique, en particulier dans le domaine économique », rappelle un rapport de l’Aitec, publié au mois d’avril. Les villes doivent non seulement affronter de grands intérêts financiers, des multinationales, les Gafa, AirBnB ou les millions de milliards que représente la gigantesque rente immobilière, mais aussi subir les restrictions budgétaires et les reculs dictés par l’État.

À Ivry-sur-Seine, berceau du communisme municipal depuis 1925, la ville continue malgré tout de jouer son rôle d’avant-garde. Au printemps, la ville a décidé de transformer son office municipal HLM en coopérative. « Sous l’effet des lois Maptam, Alur et Elan, les offices publics de l’habitat social sont contraints de fusionner à l’échelle des territoires du Grand Paris, ce qui crée des monstres aux mains d’Action logement. Pour résister et garder la main sur cet outil structurant, nous avons décidé de transformer notre office en société coopérative d’intérêt collectif afin que ces logements soient dorénavant contrôlés directement par les locataires », témoignait le maire Philippe Bouyssou à la Fête de l’Humanité. Sa ville a aussi cofondé, en 2018, l’Anvita – Association nationale des villes et territoires accueillants –, destinée à promouvoir une politique d’accueil digne pour les exilés. Cette initiative n’a pas été lancée par les seules villes de l’ancienne banlieue rouge, mais via une alliance nouvelle fédérant des municipalités communistes (Ivry, Montreuil, Saint-Denis) et des villes comme Grenoble, Briançon et… Grande-Synthe. Ce nouveau front municipal pourra-t-il s’élargir, et servir de base à l’émergence d’un nouveau front populaire et écologique ?

Pierre Duquesne


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