Il est passé par "Minute", "Valeurs actuelles," "LCI"... Avec le journaliste et politologue Patrick Buisson, la droite dure est entrée à l’Elysée. Portrait d’un stratège du président Sarkozy, qui lui voue une confiance aveugle. Au point de lui commander des lucratives analyses d’opinion...
Il défend la messe en latin. Aime passionnément le grégorien et la polyphonie sacrée. Tous les compositeurs du XVIe siècle sont ses compagnons journaliers. « Pour moi, la liturgie est essentielle », dit Patrick Buisson, qui aime citer Cioran : « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. »
Le soir, Patrick Buisson écrit des livres à succès sur la sexualité des Français sous Vichy. La libido est « le révélateur maximal », assure-t-il, de cette période. Il est intarissable sur la « France horizontale », qui couchait avec l’occupant : deux tomes et quelque mille pages pour ces « années érotiques » (1940-1945, Années érotiques, chez Albin Michel).
Durant la semaine, immergé dans un Himalaya de sondages et d’études d’opinion, le politologue Buisson, à la tête de sa société Publifact, enregistre les soubresauts de l’électorat et fournit des conseils très écoutés au président de la République. En tête-à-tête, de préférence. Ou lors de réunions de la majorité, en plus grand comité : plus d’une fois ses analyses sur l’électorat populaire - cette « France du travail », des ouvriers, des employés et des précaires, tentée par l’abstention et qui, pour lui, est la clé des scrutins - y ont fait mouche. Des conseils de stratège facturés 10 000 euros par mois à l’Elysée. Sans compter les très confortables commissions sur les analyses d’opinion commandées pour la présidence.
« J’aurais bien aimé l’avoir comme conseiller mais je ne suis pas assez riche ! » plaisante Jean-Marie Le Pen, qui ne tarit pas d’éloge sur cet « intellectuel de la droite nationale qui, au fond de son coeur, partage probablement plus mes idées que celles de Sarkozy ».
Le président du Front national, qui n’a pas revu Patrick Buisson depuis qu’il travaille avec l’Elysée - « et depuis qu’il a reçu sa Légion d’honneur », persifle le chef du FN -, a gardé beaucoup d’admiration pour l’auteur de l’Album Le Pen (1) : « C’est le meilleur observateur politique, assure le président du Front national. Le plus intelligent, le plus sérieux. Mais ce n’est pas un homme politique. Pas un militant non plus. C’est un professionnel remarquable, qui a mis ses talents au service des puissants. »
Une précision, au passage : contrairement à ce que la presse répète d’article en article - sans doute sur la foi d’une fiche Wikipédia erronée -, Patrick Buisson n’a jamais dirigé la société d’édition de disques de Jean-Marie Le Pen, la sulfureuse Serp, condamnée en 1971 par la Cour de cassation pour « apologie de crime de guerre » après la diffusion d’un disque de chants du IIIe Reich. Le politologue a décidé d’attaquer en justice l’hebdomadaire Marianne sur ce point.
Quand il n’est ni à l’Elysée, ni dans ses études d’opinion, ni dans le grégorien, l’ancien chroniqueur de LCI et coïnventeur de plusieurs émissions politiques avec David Pujadas (1OO % politique) ou Michel Field (Politiquement show) dirige en famille, avec son fils Georges, la chaîne Histoire, cadeau offert par Martin Bouygues, patron de TF1, après la présidentielle. « J’ai quitté LCI de moi-même, alors que la chaîne voulait que je reste, rétorque Patrick Buisson. D’autres que moi auraient demandé la direction de l’info ! »
Responsable de la rédaction de Minute, le quotidien d’extrême droite, puis de Valeurs actuelles et du Crapouillot pendant les années Mitterrand, Patrick Buisson ne crache pas sur son passé. Tout le contraire d’un repenti. Avec lui, c’est l’extrême droite décomplexée qui conseille le président. « Il ne dit pas qu’il a viré sa cuti. Il est fidèle à ce qu’il pense », assure Laurent Bazin, le journaliste d’iTélé, qui l’a connu à LCI. Dans les années 90 et 2000, souverainiste et vendéen dans l’âme, Patrick Buisson a été directeur de campagne de Philippe de Villiers, puis proche d’Alain Madelin, et même consultant pour François Bayrou. Mais toujours dans un esprit franc-tireur. Pas apparatchik pour un sou.
Glacial au premier abord, individualiste, solitaire, cet homme de 60 ans cultive un look austère, presque toujours de noir vêtu, entre clergyman et Fantômas. Doué d’une mémoire d’éléphant, il est aussi capable d’entonner des chants de la Commune, de parler brillamment de Léo Ferré ou de Sacha Guitry. « Un anar de droite », dit de lui le politologue de gauche Olivier Duhamel. Patrick Buisson s’est offert le luxe de refuser le bureau à l’Elysée que lui a proposé le président. Mais la proximité entre les deux hommes reste forte. Depuis l’automne 2004, depuis que Patrick Buisson a bluffé Sarkozy en pronostiquant, plusieurs mois à l’avance, le non au référendum européen, le président en a fait son spin doctor. Moins médiatique qu’Henri Guaino mais tout aussi influent : « Chez Sarkozy, cela va au-delà du respect, analyse Christophe Barbier, le directeur de la rédaction de L’Express. Il sent que Buisson a quelque chose qu’il n’aura jamais. Sarko est un nénuphar, il couvre beaucoup de surface mais il n’a pas de racine. »
Plus qu’un sondeur. Davantage qu’un politologue. C’est au « conseiller en transgression », comme dit justement L’Express, que le président Sarkozy rend hommage, avec une exceptionnelle chaleur, ce 24 septembre 2007, en lui remettant la Légion d’honneur dans les salons privés de l’Elysée : « Après Barbra Streisand, j’étais le second à avoir ce privilège », se flatte Buisson. Au cours d’une cérémonie taillée sur mesure, Nicolas Sarkozy se lâche : « Il y a très peu de personnes dont je puisse dire "si je suis là, c’est grâce à eux". Patrick Buisson est de ceux-là. » Et le président de revenir sur les temps forts de la campagne où l’avis de « Patrick » a été si précieux : les incidents de la gare du Nord, le ministère de l’Identité nationale, la pédophilie « innée », l’invocation du pape Jean-Paul II...
Si le candidat Sarkozy a siphonné une bonne partie des voix du Front national, c’est en grande partie grâce à Patrick Buisson : « C’est vrai, confirme Jean-Marie Le Pen, il a donné à Sarkozy les mots, les codes, le langage qu’il faut employer vis-à-vis des électeurs du Front national. »
Patrick Buisson rétorque que « ce décodage était assez facile. Il fallait juste intégrer la demande d’Etat qui était flagrante en matière d’immigration, de sécurité et de vie quotidienne. D’ailleurs, il n’y a pas d’électorat FN. Il y a un électorat populaire qui vote parfois Front national, mais aussi communiste et socialiste. Ces électeurs-là pensent à peu près la même chose. C’est ce que je dis aux responsables de gauche. »
Parmi eux, le hiérarque socialiste Jean-Christophe Cambadélis et le chef du Nouveau Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, deux anciens trotskistes ne cachant pas leur « estime » pour cet adversaire qui se revendique pourtant de la « génération Occident », le groupuscule d’extrême droite dissous en 1968. Pour Patrick Buisson, l’extrême droite n’existe pas. La « vraie » droite, peut-être. Sa ligne est claire depuis toujours, elle explique tout son parcours, de Minute à de Villiers, de LCI à Sarkozy : réunir toutes les droites dans une seule et même famille, des électeurs du Front national à ceux du centre droit.
« Plus que du Machiavel, il y a, chez Buisson, du Sun Zi, un côté stratège militaire chinois ! » renchérit Christophe Barbier. Son Art de la guerre, Patrick Buisson l’a appliqué, durant la campagne 2007, à l’émission Politiquement show, émission phare de LCI animée par Michel Field où le chroniqueur n’a jamais dit aux téléspectateurs qu’il conseillait Sarkozy.
Michel Field, qui a fait ses classes à la Ligue communiste révolutionnaire, préfère retenir l’étonnante complicité qui les lie tous les deux. « Est-ce que j’ai parcouru plus de chemin que lui ? s’interroge Field sur le ton de l’autodérision, de toute façon, je passe mon temps à être un alibi... Je suis fatigué par toutes ces oeillères idéologiques ! » soupire l’animateur, qui prête main-forte à Patrick Buisson, chaque vendredi, sur la chaîne Histoire, filiale de TF1, en animant l’émission débat Historiquement show. Field, qui visiblement n’a pas le temps de choisir tous ses invités, ne nie pas « une surreprésentativité d’historiens conservateurs », de monarchistes, ainsi que d’anticommunistes aussi brillants que virulents. Mais rien qui ne l’empêche de dormir.
Foin d’idéologie, clame Field ? La remarque est savoureuse quand on sait à quel point la bataille des idées est quelque chose d’essentiel pour Patrick Buisson. D’ailleurs, Michel Field nous confie la fascination du patron de la chaîne Histoire pour Antonio Gramsci, le théoricien communiste des années 30. Pour cet intellectuel emprisonné sous Mussolini, la conquête du pouvoir passait par la bataille des idées, par un combat culturel pour imposer la domination sur la société civile. Antonio Gramsci, justement, que l’on retrouve cité par le candidat Sarkozy - « Il y a du Buisson derrière tout ça ! » confirme Field -, cinq jours avant le premier tour de la présidentielle 2007, dans une fort intéressante interview au Figaro : « Je ne mène pas un combat politique, mais un combat idéologique, soutient le candidat Sarkozy. Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. C’est la première fois qu’un homme de droite assume cette bataille-là. Depuis 2002, j’ai donc engagé un combat pour la maîtrise du débat d’idées. »
Et Nicolas Sarkozy de rappeler ses interventions pendant la campagne sur l’école en crise, l’héritage de Mai 68 qu’il faudrait « liquider », le « relativisme intellectuel, culturel et moral »...
Sur ce terrain des valeurs, Patrick Buisson est à son aise. Avec un père Action française et ingénieur EDF acquis aux idées de Charles Maurras, le jeune Buisson a grandi dans le « national-catholicisme » cher au penseur d’extrême droite. « Je suis pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat, corrige l’homme qui, voyant nos demandes répétées d’interview échouer dans sa boîte mail, tient finalement à préciser : Deux choses pour vous éviter quelques erreurs d’approche : je suis un catholique de tradition. Je ne me range ni du côté des intégristes ni du côté des progressistes. Je n’apprécie ni les fossiles ni les invertébrés. »
Amusé par notre demande d’interview accompagnée d’une citation sibylline d’Antonio Gramsci, bien sûr (« Il faut avoir une parfaite conscience de ses propres limites, surtout si on veut les élargir. »), Patrick Buisson se livre plus d’une heure au téléphone. Refusant de nous recevoir, il nous parle néanmoins de son anticommunisme, « le fondement de mon engagement intellectuel ». Enfant, il défilait avec sa mère pour protester contre les chars russes à Budapest. A 13 ans, élève au lycée Pasteur de Neuilly, il refuse de marquer la minute de silence en hommage à des victimes de l’OAS. Buisson évoque aussi sa « France de tradition », qui ressemble à la colline éternelle de Vézelay. Fidélité aux racines et à la terre.
En visite au Vatican avec le président de la République, Buisson remercia à l’oreille le pape Benoît XVI pour le retour de la messe en latin. Dans ce paysage de la France éternelle où souffle l’esprit, l’islam, deuxième religion de France, fait tache : « Pour lui, l’islam en France, c’est un peu comme l’huile et l’eau. Vous pouvez agiter, il y a quelque chose de séparé et d’inconciliable », résume Christophe Barbier, le patron de L’Express.
Avec l’extrême droite maurrassienne, il y a bien la tache de la collaboration avec le régime de Pétain (« La divine surprise », s’exclamait Maurras) et celle, bien sûr, de l’antisémitisme. Patrick Buisson balaie d’un « j’ai horreur du racisme ». Cette culture maurrassienne mâtinée d’Algérie française et d’historiens de référence, comme Raoul Girardet, l’ancien directeur de mémoire de Buisson, n’est-elle que le chant du cygne d’une vieille droite qui séduit encore un électorat âgé ? Ou bien l’affirmation d’une sorte de révolution néoconservatrice qui s’épanouit d’autant plus fortement en France que la gauche est en déroute ?
Dans Le Procès des Lumières (2), l’historien des idées Daniel Lindenberg inscrit ce mouvement dans la montée des révolutions conservatrices un peu partout dans le monde.
En France, on y retrouve beaucoup des thèmes de la nouvelle droite des années 1970-1980, confirme l’auteur de la maladroite mais prophétique Enquête sur les nouveaux réactionnaires (3), quand le Club de l’horloge d’Yvan Blot et le Gréce, plus païen, d’Alain de Benoist faisaient les beaux jours du Figaro magazine. Avec une constante chez ces courants, remarque Daniel Lindenberg : « La volonté de relire le passé est fondamentale. »
Droitiser le débat intellectuel, défaire le magistère de la génération Mai 68, ou ce qu’il en reste, c’est peut-être ça aussi, la touche Buisson. Quand la chaîne Histoire - trop subtile pour être bêtement militante - plante néanmoins le débat sur la torture en Algérie (4) en insistant lourdement sur le FLN égorgeur et l’armée française en position de bouc émissaire, le ton - sous couvert de « politiquement incorrect » - est donné.
Quant à la période de Vichy, sujet autrement plus tabou que la réhabilitation du passé colonial, Patrick Buisson l’attaque à contre-courant sur sa libido. L’occasion de brosser le portrait d’une France femelle prise d’une « fureur utérine », qui couche avec l’occupant nazi, « objet de désir », lors d’un été 1940 où « les soldats allemands sont nus du matin au soir » et « la France entière transformée en un immense camp naturiste » (sic).
Mille pages d’érudition misogyne et d’érotisme hitléro-cuir. Mais surtout une hallucinante postface, moralisatrice, faisant le saut de Vichy à Mai 68, pour regretter en vrac la perte d’autorité du chef de famille, la contraception et, finalement, l’enterrement, en 2009, de la « France virile ». Isabelle Clarke et Daniel Costelle, les auteurs d’Apocalypse, vont adapter les livres. Le contrat est déjà signé pour un film avec TF1 et deux pour la chaîne Histoire. Mise à l’antenne fin 2010.
L’hégémonie culturelle est un combat, Antonio Gramsci avait raison. L’ascension de Patrick Buisson est le versant intellectuel de la lepénisation des esprits. Est-ce lui donner trop d’importance ? Peut-être. Mais il est tout de même entré à l’Elysée et dans le groupe TF1, excusez du peu. A-t-il le sentiment d’avoir gagné une bataille ? Pas du tout : « Prenez TF1. L’écrasante majorité de la rédaction est à gauche. Cette gauche tient encore tous les postes dans le champ culturel et médiatique. On lui a laissé la culture », s’exclame Patrick Buisson. Le message est clair : il y a encore du ménage à faire...
Un étrange financement.
« Un torrent de boue » se serait abattu sur Patrick Buisson qui crie au « lynchage médiatique ». Vraiment ? En juillet dernier, la Cour des comptes s’interroge sur une convention signée quelques semaines après la victoire de Nicolas Sarkozy entre la présidence de la République et le cabinet d’études de Patrick Buisson. Une simple page, sans appel d’offres, pour 1,5 million d’euros.
Auditionné à l’Assemblée nationale, à la mi-octobre, le directeur de cabinet de l’Elysée reconnaît « une anomalie » et « un manque de transparence » dans la collaboration avec Patrick Buisson. Sur la seule année 2008, celui-ci affirme avoir commandé pour la présidence cent trente-quatre études en 2008, pour un montant de 1 082 400 euros. Certains des sondages se sont retrouvés (coup double) sur LCI et dans Le Figaro. Le Parti socialiste réclame une commission d’enquête. Depuis cet été, Patrick Buisson ne commande plus de sondages pour l’Elysée, mais conserve ses 10 000 euros par mois en tant que consultant.
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