Poste : Comment syndicats, associations et politiques se sont ralliés à la votation ? Et après, le référendum ? (2 articles de Libération)

samedi 10 octobre 2009.
 

Ils sont une dizaine, entassés dans deux petites pièces perdues au fond d’un couloir. On entre, on sort, on tend des feuilles, on répond au téléphone. On boit du café, beaucoup. Et on fait les comptes. Dimanche après-midi, au deuxième étage de la petite mairie du IIe arrondissement de Paris, les membres du comité national contre la privatisation de la Poste affichent une mine fatiguée, mais réjouie : plus de deux millions de Français se sont bougés pour la Poste, à l’occasion de la première consultation d’importance organisée par un collectif d’associations, de syndicats et de partis politiques. Deux millions, soit près de 3 % de la population et 5 % du corps électoral français. « On est un peu dépassés par l’ampleur du vote, glisse un membre du comité, les résultats remontent de partout, on a du mal à suivre. » Un étage en dessous, dans la salle des mariages, trois militants recolent les résultats parisiens. A 16 h 30 hier, ils comptabilisaient dans la capitale plus de 100 000 votants qui, comme dans le reste de la France, ont voté à près de 98 % « non » à la question suivante : « Le gouvernement veut changer le statut de la Poste pour la privatiser. Etes-vous d’accord avec ce projet ? »

Irrationnel.

« C’est un vrai succès, suite à une mobilisation sans précédent , se réjouissait hier Razzy Hammadi, représentant du PS au sein du comité. C’est la preuve que quand on se bouge, que l’on est fidèle à ses principes, on peut repousser des limites que l’on croyait immuables ». Un succès grisant, également, pour le responsable du comité, Nicolas Galepides, administrateur SUD au sein de la Poste : « Avec plus de deux millions de votants, on a basculé dans un truc irrationnel ! Ça va devenir très compliqué pour Sarkozy de poursuivre son projet. »

Si rien n’indique, pour l’instant, que le gouvernement va renoncer à faire évoluer le statut de la Poste (d’établissement public en société anonyme), l’ampleur de la mobilisation citoyenne lors de cette consultation devrait au moins freiner l’ardeur de la majorité. Et valider une stratégie, celle du référendum sauvage, qui n’avait rien d’évident il y a un an, lors de son lancement.

« Il y a eu un vrai débat entre les organisations sur le mode d’action. La CGT et une partie du NPA privilégiaient la lutte des salariés, comme cela s’est passé chez EDF, explique un représentant de SUD. Vu le résultat, c’est-à-dire un échec, nous avons poussé pour élargir le mouvement, et organiser une consultation de la population. » A la même époque, en septembre 2008, Libération titre sur une demande de référendum à propos du changement de statut. « Cette une nous a beaucoup aidés. Certaines organisations qui traînaient des pieds se sont soudainement mobilisées » , estime un membre du comité.

Crise.

L’automne passe, le sujet est mis en sommeil au sein d’une commission créée par le gouvernement. « La mobilisation devenait compliquée, d’autant que les médias étaient tous sur la crise financière » , explique Régis Blanchot, de SUD PTT. En février, une délégation vient remettre plusieurs milliers de signatures à l’Elysée. Ils resteront à la porte du palais. Le comité écrit ensuite au Président de la République. Pas de réponse. « Pendant ce temps, le calendrier du gouvernement s’accélérait, explique Régis Blanchot. Des politiques, à l’image de Jean-Marc Ayrault, se sont alors mobilisés en faveur de la votation citoyenne, finissant de convaincre les organisations encore réticentes. »

Le principe du vote est enfin adopté, la machine se met en place. Le parti socialiste ouvre son réseau d’élus, des comités départementaux sont créés. Un véritable maillage du territoire, calqué sur le découpage administratif, quadrille la France. Et jusqu’au jour même du scrutin, samedi dernier, des bureaux de vote fleurissent un peu partout. « Un type a fait voter son immeuble, il nous a appelés pour nous donner les résultats », rigole une militante.

Au-delà du côté bricolé, et forcément orienté du « référendum », un vrai mouvement populaire s’est emparé de cette consultation. Difficile, pour le gouvernement, au-delà de sa dénonciation sur la forme d’en ignorer le fond.

Luc Peillon

2) Après la votation, le référendum ?

Le succès de la votation citoyenne sur le statut de la Poste pose la question de l’organisation d’un vrai référendum national. Et relance le débat sur la valeur des consultations populaires.

Plus de 2 millions de personnes ont participé la semaine dernière à la votation citoyenne sur la Poste. Un vrai succès pour une forme de mobilisation inédite, dépassant très largement les objectifs de ses organisateurs (lire page 4). Et maintenant ? Pour les partis de gauche et les organisations syndicales, une seule solution : un référendum. Un vrai, dont le résultat déterminerait l’avenir de la Poste. C’est ce que réclament les organisateurs de la consultation, Parti socialiste en tête.

« Vaste manipulation ».

« Le gouvernement n’a plus le choix : ou bien il traite par le mépris la mobilisation des citoyens et des territoires ou bien il gèle le changement de statut de la Poste et organise un référendum national » , demande Razzy Hamadi, secrétaire national du PS en charge des services publics. Et selon un sondage Ifop publié hier par Sud Ouest Dimanche , une large majorité de Français (59 %) est favorable à ce référendum.

Nicolas Sarkozy pourrait lancer une telle consultation. Mais il est peu probable qu’il en prenne l’initiative, si l’on en juge par l’énergie mise par ses lieutenants pour essayer de décrédibiliser la votation citoyenne. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, dénonçait hier une « vaste manipulation organisée par des associations ou partis de gauche qui veulent faire croire à un projet de privatisation de la Poste » . Quant au ministre de l’Industrie Christian Estrosi, il stigmatisait les conditions d’un scrutin « sans valeur juridique » , qui selon lui rappelle « les grandes heures de l’Union soviétique » .

Si le chef de l’Etat ne veut pas d’un référendum sur le sujet, l’opposition et les citoyens peuvent-ils organiser un vote qui pourrait contraindre le gouvernement à abandonner l’idée de transformer la Poste, aujourd’hui établissement public, en société de droit privé ? Depuis la réforme constitutionnelle de juillet dernier, que la gauche avait au passage refusée, c’est en principe possible. Mais en théorie seulement. Car la loi organique qui permettrait d’appliquer effectivement cette disposition n’a toujours pas été présentée au Parlement. Et la procédure prévue pour l’organisation d’un référendum d’initiative parlementaire et citoyenne instaure de si nombreux garde-fous (lire ci-contre) que l’on peut raisonnablement douter qu’il puisse être organisé avant que la Poste soit transformée en société anonyme.

Il faut déjà réunir, selon le nouvel article 11 de la Constitution, « un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs » , soit environ 4 millions de citoyens. Cette « initiative prend la forme d’une proposition de loi » - ce qui exclut donc une question du type :« pour ou contre le changement de statut de la Poste ». Et le référendum ne peut toucher à un texte dans l’année suivant son adoption.

Bonnes intentions.

Du coup, si la loi sur le changement de statut de la Poste est votée par le Parlement cet automne, il faudra attendre fin 2010 pour tenter de l’abroger par référendum. Et encore ! Il ne pourra y avoir consultation populaire que si - et seulement si - le texte « n’a pas été examiné par les deux Assemblées dans un délai fixé par la loi organique » . Ce qui laisse aux députés et sénateurs la possibilité de reprendre la main. On est encore loin d’une véritable « initiative populaire » ou « citoyenne » pour ce type de référendum.

Malgré les bonnes intentions de l’UMP, qui peut se prévaloir d’avoir donné avec la réforme constitutionnelle davantage de pouvoir à l’opposition et aux citoyens, le retard pris dans la rédaction de la loi organique n’est pas seulement dû à un calendrier parlementaire surchargé. L’Elysée et Matignon n’avaient pas trop envie de laisser l’arme du référendum aux mains de l’opposition, pour une fois unie sur la question. D’où, aussi, la précipitation avec laquelle le gouvernement a relancé sa réforme sur le statut de la Poste.

Limites.

Au-delà de la défense du service postal, la votation citoyenne de la semaine dernière pointe ainsi les limites d’une réforme constitutionnelle dont le Président et le parti majoritaire n’ont cessé de vanter la modernité. Un référendum sur La Poste aurait pourtant pu être l’occasion de sortir de la tradition bonapartiste et gaullienne, qui veut qu’une consultation directe ne réponde pas vraiment à la question posée (sur la constitution européenne en 2005), quand elle ne se transforme pas carrément en plébiscite (le départ du général de Gaulle en 1969).

En Italie ou en Suisse (lire page 4), le référendum d’initiative populaire fait partie du débat démocratique. Il a ses imperfections et ses limites. Et, surtout s’il est organisé dans un cadre local, comme en Allemagne ou en Suède, il peut ouvrir la porte aux dérives populistes : pour ou contre une mosquée, un terrain pour les nomades, un quota d’immigrés...

Reste qu’il est un outil essentiel de la « démocratie participative » , chère à Ségolène Royal. A l’heure où l’abstention électorale atteint des sommets inquiétants, il pourrait, sur des sujets comme la Poste, redonner aux Français le goût du débat démocratique.

Par Lilian alemagna et François Wenz-dumas


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