18 août 1936 : Federico Garcia Lorca, grand poète, est assassiné par de sales merdes franquistes (4 textes dont Antonio Machado et Jean Ferrat)

mardi 19 septembre 2023.
 

1) L’exécution de Federico Garcia Lorca (texte libre de Jacques Serieys)

En cette aube du 18 août 1936, l’Espagne ignoble et archaïque, celle du fascisme militaire et du fanatisme religieux, celle des hidalgos moyenâgeux et des grands propriétaires de droit divin, assume son rôle préféré : celui d’assassin.

Le capitaine José Valdés Guzmán marche la tête bien haute, fier de sa réputation typique de l’homme de droite espagnol, sévère, strict, borné, fier de son oeuvre. Depuis sa prise du pouvoir à Grenade, il purifie la ville de celles et ceux qui se prétendent de gauche, pêché mortel dans l’Espagne éternelle. Pour gagner du temps, les exécutions se déroulent dans le cimetière. Les phalangistes locaux, ses enfants de choeur, fouillent la maison familiale des Garcia Lorca le 6 août, sans découvrir le jeune poète Federico. Celui-ci se réfugie chez des phalangistes connus, amis de sa famille, les Rosales.

Le capitaine José Valdés Guzmán marche la tête très, très haute, fier de son oeuvre. Il fait partie d’une tradition politique, la droite catholique espagnole, dans laquelle la preuve ultime de virilité, c’est le meurtre de progressistes. Ainsi, le 16 août, au petit matin également, il a fait fusiller sans procès ni raison, le maire socialiste et 29 autres républicains locaux.

Oui, en cette aurore du 18 août 1936, le capitaine José Valdés Guzmán dresse comme un petit coq sa petite tête altière, fier de son oeuvre.

- Il vient d’arrêter lui-même un intellectuel, catégorie humaine n’ayant pas droit de cité dans l’Espagne éternelle, Federico Garcia Lorca né près de Grenade, en juin 1898. Un jeune homme brillant, qui a étudié la philosophie, le droit, la littérature, la peinture, la musique aussi.

- Il vient d’arrêter lui-même un poète, né dans une famille où les femmes sont républicaines, horreur et damnation au pays de sainte Thérèse d’Avila, né dans une famille d’afrancesados, où l’on lit José Zorrilla, Alexandre Dumas et Victor Hugo. Il vient d’arrêter un poète réputé, auteur du Romancero Gitano (mettant en scène, pêché suprême, une nonne gitane, des saints, la lune et le vent) et du Cante jondo qui glorifie le flamenco gitan de l’Andalousie, particulièrement le fandango.

- Il vient d’arrêter lui-même un homme de théâtre, damnation dénoncée par la Tradition catholique depuis les Pères de l’Eglise. Un directeur (groupe ambulant La Barraca) et metteur en scène de théâtre qui a osé jouer "La vie est un songe" de Calderon dans les territoires reculés de Vieille Castille au grand dam de la presse conservatrice. Un auteur de théâtre qui a écrit les Noces de sang mettant en cause la source divine de l’amour menant au mariage.

- Il vient d’arrêter lui-même un Andalou, passionné de folklore andalou et même de la culture gitane andalouse qui anime ses poèmes, bien sûr, mais aussi son théâtre. Pire, les écrits de Garcia Lorca prouvent sa tendresse pour les groupes opprimés de l’Espagne éternelle : gitans mais aussi maures, juifs et nègres.

José Valdés Guzmán n’aime ni les poètes, ni les gitans, ni les maures, ni les juifs. De père général, il a lui-même servi au Maroc face à la révolte rifaine écrasée sous les bombes de l’Espagne éternelle, il a applaudi au développement du fascisme en Italie, en Allemagne, au Portugal, en Hongrie... devenant camisa vieja de Falange Española et chef des milices phalangistes de Grenade. Il a fallu la bêtise démocratique des républicains pour le nommer, lui, comandante comisario de Guerra. Lors du coup d’Etat de Franco et Queipo de LLano contre la république, Grenade est restée 100% républicaine. C’est lui, José Valdés Guzmán, qui a monté la rébellion de quelques dizaines de soldats et phalangistes pour réussir un putsch très minoritaire le 20 juillet, faisant arrêter le gouverneur militaire de Grenade resté loyal au gouvernement et le maire socialiste (Fernandez Montesinos) de l’ancienne capitale maure, beau-frère de Federico Garcia Lorca.

- José Valdés Guzmán redresse d’autant plus la tête qu’il conduit au peloton d’exécution un homosexuel, rentré au pays en 1930, en même temps que la République.

Après quelques kilomètres en camion puis cette courte marche jusqu’au lieu d’exécution, Federico Garcia Lorca, entouré d’un maître d’école publique et de deux anarchistes, voués au même sort que lui, fait face aux fusils de l’Espagne noire de la fumée des bûchers et rouge du sang de tous ceux qui croyaient à la vie sur terre. Feu ! crie le capitaine. Les corps s’effondrent dans un crépuscule de sang avant d’être jetés à la fosse commune.

Garcia Lorca n’en est cependant pas quitte vis à vis du fascisme espagnol. Ses œuvres seront interdites pendant de longues années, et même lorsqu’elles seront publiées, dans les années 50, ce n’est qu’au prix d’une censure impitoyable. Seule la mort de Franco en 1975 rendra justice au poète et à ses vers. Aujourd’hui, sa statue habite une place à Madrid. Mais Antonio Machado n’avait pas attendu si longtemps pour écrire le poème ci-dessous paru en 1937.

Jacques Serieys

Brigitte Blang pg 57

2) Espagne, 18 août 1936 : Les dernières heures du poète Garcia Lorca

La mort du poète espagnol Federico Garcia Lorca le 18 août 1936, durant la guerre civile (1936-1939), a toujours été un objet de fantasmes et de controverses en Espagne. Jamais le régime franquiste n’a reconnu avoir assassiné l’auteur de Noces de sang et de La Maison de Bernarda Alba. Pressé de s’expliquer sur une affaire qui l’a embarrassé durant ses quarante ans à la tête de l’Espagne, le dictateur Francisco Franco (1936-1975) assurait que « l’écrivain mourut mêlé aux révoltés ». Et d’ajouter « ce sont les accidents naturels de la guerre ».

Ce déni n’a pas empêché les historiens de publier de nombreux essais sur les conditions probables, les raisons possibles et le lieu approximatif de la mort du poète. Mais malgré les recherches des historiens et archéologues, le corps est resté introuvable et le mystère jamais entièrement résolu.

C’est sans doute pour ces raisons que la publication, le 23 avril par le site d’information Eldiario.es et la radio Cadena SER, d’un rapport de police inédit, datant de 1965, a mis l’Espagne en ébullition. Ce document, élaboré après une requête de l’écrivaine française Marcelle Auclair – auteure du livre Enfances et mort de Garcia Lorca (Seuil, 1968) – avait été maintenu secret par le régime franquiste. Trop sensible. Il vient confirmer les thèses des principaux historiens qui ont travaillé sur Lorca : son assassinat était bien un crime politique, et non un hasard de la guerre.

Traqué par les phalangistes

Deux pages à peine résument l’affaire. Il y est écrit que le poète était « socialiste », « franc-maçon » et « connu pour ses pratiques d’homosexualisme [sic], une aberration qui devint connue de tous ». S’ensuit le récit de son arrestation et de son exécution : « surpris » par les phalangistes à Grenade, le poète « prit peur et se réfugia dans la demeure de ses amis les frères Rosales Camacho, d’anciens phalangistes ». Ces derniers tentèrent, en vain, d’intercéder en sa faveur.

Arrêté et emmené dans une caserne, il fut ensuite conduit à « Viznar, près de Grenade, à proximité d’un endroit connu comme Fuente Grande [la Grande Fontaine], avec un autre détenu, et fusillé après avoir été confessé ». Qu’a confessé Lorca ? Qu’il était socialiste, franc-maçon ou homosexuel ? Ou les trois ? Le rapport de police ne le précise pas. En revanche, il donne des indications sur le lieu où il fut enterré, « à fleur de terre, dans un fossé situé à environ deux kilomètres à droite de cette Fuente Grande, dans un endroit très difficile à localiser ». Le gouvernement andalou assure que les recherches pour retrouver le corps de Garcia Lorca vont reprendre, dans l’espoir d’élucider définitivement l’un des crimes les plus commentés de la guerre civile.

Sandrine Morel (Madrid, correspondance), 25 avril 2015

Journaliste au Monde

3) Le crime a eu lieu à Grenade

À Federico García Lorca par Antonio Machado

Le crime

On le vit, avançant au milieu des fusils,

Par une longue rue,

Sortir dans la campagne froide,

Sous les étoiles, au point du jour.

Ils ont tué Federico

Quand la lumière apparaissait.

Le peloton de ses bourreaux

N’osa le regarder en face.

Ils avaient tous fermé les yeux ;

Ils prient : Dieu même n’y peut rien !

Et mort tomba Federico

- du sang au front, du plomb dans les entrailles –

… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade

- pauvre Grenade ! -, sa Grenade…

Le poète et la mort

On le vit s’avancer seul avec Elle,

sans craindre sa faux.

- Le soleil déjà de tour en tour ; les marteaux

sur l’enclume – sur l’enclume des forges.

Federico parlait ;

il courtisait la mort. Elle écoutait

« Puisque hier, ma compagne résonnait dans mes vers

les coups de tes mains desséchées,

qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace

et à ma tragédie

le fil de ta faucille d’argent,

je chanterai la chair que tu n’as pas,

les yeux qui te manquent,

les cheveux que le vent agitait,

les lèvres rouges que l’on baisait…

Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort,

que je suis bien, seul avec toi,

dans l’air de Grenade, ma Grenade ! »

On le vit s’avancer…

Élevez, mes amis,

dans l’Alhambra, de pierre et de songe,

un tombeau au poète,

sur une fontaine où l’eau gémira

et dira éternellement :

le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !

3) Federico García Lorca (chanson de Jean Ferrat)

Les guitares jouent des sérénades

Que j’entends sonner comme un tocsin

Mais jamais je n’atteindrai Grenade

« Bien que j’en sache le chemin »

**********

Dans ta voix

Galopaient des cavaliers

Et les gitans étonnés

Levaient leurs yeux de bronze et d’or

Si ta voix se brisa

Voilà plus de vingt ans qu’elle résonne encore

Federico García

**********

Voilà plus de vingt ans, Camarades

Que la nuit règne sur Grenade

**********

Il n’y a plus de prince dans la ville

Pour rêver tout haut

Depuis le jour où la guardia civil

T’a mis au cachot

**********

Et ton sang tiède en quête de l’aurore

S’apprête déjà

J’entends monter par de longs corridors

Le bruit de leurs pas

**********

Et voici la porte grande ouverte

On t’entraîne par les rues désertées

Ah ! Laissez-moi le temps de connaître

Ce que ma mère m’a donné

*********

Mais déjà

Face au mur blanc de la nuit

Tes yeux voient dans un éclair

Les champs d’oliviers endormis

Et ne se ferment pas

Devant l’âcre lueur éclatant des fusils

Federico García

**********

Les lauriers ont pâli, Camarades

Le jour se lève sur Grenade

**********

Dure est la pierre et froide la campagne

Garde les yeux clos

De noirs taureaux font mugir la montagne

Garde les yeux clos

**********

Et vous Gitans, serrez bien vos compagnes

Au creux des lits chauds

Ton sang inonde la terre d’Espagne

O Federico

**********

Les guitares jouent des sérénades

Dont les voix se brisent au matin

Non, jamais je n’atteindrai Grenade

« Bien que j’en sache le chemin »

4) A Federico Garcia Lorca

Lorsque je suis sorti de la caverne, le soleil m’a ébloui, presque hébété car j’avais passé tant de temps dans l’obscurité que mes yeux avaient du mal à voir, par delà l’opacité, les couleurs de ce monde neuf.

On ne s’invente pas Poète, on ne choisit pas d’avoir son âme, son cœur et son corps traversés, perméables, impressionnables à chaque trace de vie.

Les mots vous viennent en avalanche, voilà tout, emportant sur leur passage les maladresses de nos adolescences fébriles, les timidités passagères ou tenaces qui tenaient éloignés des beautés à étreindre.

Les mots vous viennent en avalanche, il ne sert à rien de se débattre. Il faut les prendre et les soulever, il faut les polir, les cerner, trouver en eux ces racines d’où tout part et où tout revient, jusqu’à nos rêves où la femme nue se promène.

On ne s’invente pas Poète. Les mots vous viennent en avalanche et il faut les écrire pour ne pas y succomber, pour ne pas mourir.

Du moins c’est ce que je croyais, dur comme le fer, jusqu’à ce jour d’août 1936 où le voile est tombé sur mes yeux.

Bien sûr il faisait chaud dans les environs de Grenade quand ils ont frappé à ma porte.

J’ai compris tout de suite que la vie s’en irait de moi plus vite qu’elle n’aurait dû, qu’il faudrait bientôt me délester de ma peau et abandonner au gouffre ma dépouille mortelle

J’ai reposé ma plume dans l’encrier et je les ai suivis.

On ne sait rien de ce qu’il m’advint réellement.

M’ont-ils torturé, avant, pour faire sortir de moi des mots d’où n’émergerait jamais ma poésie ? Elle que je devais quitter là, une balle logée dans la tempe gauche, une autre sous la quatrième côte, à droite, deux autres encore, près du front et dans le ventre… Oui, dans ce ventre où je gardais bien au chaud ma rage, ma haine du fascisme et mon amour, tout mon amour pour mon Espagne !

Les poètes sont comme les enfants et on leur fait grande place aux banquets éternels.

Je repose en des cieux que Franco ne verra jamais.

Là, le chant du flamenco me réchauffe et me berce, me ramenant, rêveur, sur les chemins de Grenade.

Est-il vrai qu’aujourd’hui l’olivier y a fleuri ?

Je ne suis donc pas mort.

m. pour O.P.A

l’Orchestre Poétique d’Avant-guerre


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