Si la Deuxième Guerre mondiale commença pour les Français le 3 septembre 1939, ses premiers coups de feu avaient retenti bien plus tôt, huit ans auparavant dans la Mandchourie envahie par le Japon, et en 1937 pour le reste de la Chine. Et ce n’est qu’un an plus tard que l’Italie s’engagea dans le conflit, que deux ans après que l’URSS d’un côté et les USA d’un autre entrèrent à leur tour dans la guerre, pour ne pas citer tous les pays d’Europe centrale ou balkanique qui se trouvèrent entraînés dans cette tempête.
L’historiographie officielle, celle des gouvernements, des partis politiques de la bourgeoisie et de la grande majorité des historiens, est riche de légendes à propos de cette guerre qui faucha plus de cinquante millions de vies humaines : celle de la « croisade des démocraties » contre le fascisme, celle de la naïveté des dirigeants politiques anglais et français qui auraient cru la guerre évitable par une politique « d’apaisement » vis-à-vis de l’Allemagne nazie, celle de la formidable supériorité en armement de cette dernière. Légendes, parce que ces discours dissimulent les vraies raisons du conflit, comme les causes de l’effondrement français de 1940.
La prétendue croisade des démocraties
Si l’Allemagne et l’Italie étaient incontestablement des dictatures, pour parler de « démocraties » à propos de leurs adversaires, il faut chausser des lunettes roses. La France et la Grande-Bretagne régnaient chacune sur un empire colonial gigantesque, dans lequel l’immense majorité de la population était privée de tout droit politique, où le travail obligatoire était chose courante, où tous ceux qui redressaient la tête risquaient de se voir enfermer dans des bagnes infâmes. En France même, des milliers de républicains espagnols qui avaient échappé à Franco étaient parqués dans des camps d’internement, où vinrent les rejoindre après la déclaration de guerre les antifascistes allemands et autrichiens qui avaient cru trouver un asile dans « le pays des droits de l’homme ». Et ce n’est certainement pas l’entrée dans la guerre, en juin 1941, de l’URSS stalinienne qui venait de traverser les grandes purges, qui pouvait améliorer ce tableau. Pas plus, en décembre de la même année, que celle des États-Unis, où régnait contre les Afro-américains, dans le pays et dans l’armée, une ségrégation raciale répugnante et où les Nippo-américains furent parqués dans des camps durant toute la durée de la guerre.
Bien sûr, on peut dire que l’Allemagne, puis l’Italie un an plus tard, furent dans ce conflit les « agresseurs »... mais comme sont les agresseurs, dans les guerres de gangs, les truands qui veulent évincer des parrains qui ne demandent qu’à vivre paisiblement des revenus de leurs trafics. L’Allemagne avait été amputée au traité de Versailles d’une grande partie des territoires qui constituaient l’empire des Hohenzollern, y compris de régions peuplées majoritairement d’Allemands. En outre, elle qui n’était entrée que tardivement, à la fin du XIXe siècle, dans la chasse aux colonies, avait vu ses possessions d’Afrique attribuées à la Grande-Bretagne et dans une moindre mesure à la France, qui avait récupéré aussi au Moyen-Orient les « territoires du Levant » (les actuels Syrie et Liban) au détriment de l’empire turc.
L’Italie se trouvait dans le camp des vainqueurs en 1918, mais n’avait gagné territorialement à l’issue du conflit que des miettes (le Tyrol du Sud aux dépens de l’Autriche), quelques îlots dans l’Adriatique, mais aucune colonie. Bien moins que ce que lui avait promis le traité de Londres conclu en 1915 avec la Grande-Bretagne et la France et qui avait fixé le prix de son entrée en guerre aux côtés des Alliés.
Les deux anciens ennemis, l’Allemagne et l’Italie, avaient donc en commun le désir de remettre en cause le partage du monde tel qu’il avait été effectué en 1919.
La logique de la politique d’apaisement
Pour la plupart des historiens, les dirigeants de la France et de la Grand-Bretagne ont fait preuve de faiblesse en ne s’opposant pas au réarmement allemand, voire de naïveté en croyant pouvoir amadouer Hitler. Mais s’il y a des naïfs dans cette histoire, ce sont ceux qui ne voient pas ou ne veulent pas voir que cette attitude découlait de raisons politiques.
Malgré les discours pacifistes que multiplia Hitler après son accession à la chancellerie du Reich, il était clair que son arrivée au pouvoir signifiait à plus ou moins long terme une nouvelle guerre pour un nouveau partage du monde. Il signifiait que la bourgeoisie allemande, face à la crise économique mondiale, avait choisi de remettre en cause par la force les clauses du traité de Versailles qui l’étranglaient, et qu’elle comptait sur les troupes nazies pour briser la classe ouvrière et ses organisations, passage obligé pour la préparation d’une future guerre.
Dès 1933, Trotsky avait analysé la politique du nouveau régime à partir d’une « Lettre ouverte » que Hitler avait adressée en 1932 à von Papen, avant-dernier chancelier du Reich, alors que le chef nazi n’était encore que candidat au pouvoir.
« La « Lettre ouverte » n’est pas un document secret, écrivait Trotsky. Cette brochure a été officiellement publiée par le parti nazi le 16 octobre 1932, trois mois avant la prise du pouvoir par Hitler. (...) Hitler se sentait déjà presque dans le gouvernement. Il ne restait qu’à franchir les derniers obstacles. Les classes dirigeantes le considéraient avec espoir, mais non sans crainte. Elles appréhendaient surtout toute aventure dans le genre chauvinisme « romantique ». L’objectif de la « Lettre ouverte » était d’assurer aux classes possédantes, à la bureaucratie, aux généraux, à l’entourage immédiat de Hindenburg, que lui, Hitler (...), poursuivrait ses objectifs avec la plus grande prudence. La « Lettre ouverte » révèle un système complet de politique étrangère qui ne revêt que maintenant sa totale signification. Le retrait de l’Allemagne de la S.D.N. (en octobre 1933) a été perçu dans le monde entier comme une improvisation inattendue et déraisonnable. Il est pourtant dit avec une précision totale dans la « Lettre ouverte » pourquoi l’Allemagne quittera Genève et comment il serait nécessaire d’opérer cette rupture.
La valeur exceptionnelle de cette lettre consiste en ce que Hitler, qui était encore forcé à cette époque de se battre et de polémiquer, y a révélé inconsidérément les ressorts secrets de sa politique étrangère à venir. Le point de départ de cette « Lettre » est celui de l’autobiographie (c’est-à-dire « Mein Kampf ») : les intérêts de l’Allemagne et de la France sont totalement inconciliables ; la France ne peut de son propre gré arriver à un accord sur la base d’un changement du rapport de forces en faveur de l’Allemagne ; l’Allemagne ne peut espérer obtenir « l’égalité des droits » en discutant dans des conférences internationales ; pour que la diplomatie internationale reconnaisse le droit de l’Allemagne à réarmer, il faut d’abord que les Allemands réarment. Mais c’est précisément pourquoi il est impossible d’exiger à haute voix le réarmement allemand (...) Un gouvernement conscient de ses responsabilités – c’est-à-dire celui de Hitler (...) – ne devrait exiger que le désarmement de la France. Et, comme la France ne peut en aucun cas y consentir, l’Allemagne devra quitter la S.D.N. afin d’avoir les mains libres. Pour faire la guerre ? Non. L’Allemagne est encore trop faible pour que son gouvernement puisse dans un avenir proche parler un autre langage que celui du pacifisme.
(...) Un gouvernement conscient de ses responsabilités doit prendre entre ses mains les outils du pacifisme. En suivant cette route, il arrivera, en quelques années, à préparer un changement radical du rapport de forces. Tel est le plan de Hitler. Il découle de l’ensemble de la situation intérieure et extérieure.
Hitler n’a pas quitté la S.D.N. sous le coup d’une improvisation nerveuse, mais conformément à un plan froidement calculé(...). Il poursuit son entreprise vers un changement radical du rapport de forces militaire. C’est précisément maintenant, alors que son travail n’a qu’à peine commencé et est loin d’avoir encore obtenu des résultats décisifs, que Hitler doit faire preuve de la plus extrême prudence dans l’arène européenne. N’effrayer personne ; n’irriter personne ; au contraire, ouvrir grand les bras. Hitler est prêt à couvrir les murs des usines de guerre de discours pacifistes et de pactes de non-agression. Paris vaut bien une messe ! S’il faut une formule claire, simple, non diplomatique de l’offensive pacifiste, elle est celle-ci : Hitler doit à tout prix éviter une guerre préventive de la part de ses adversaires. Dans ces limites, son pacifisme est tout à fait sincère. Mais dans ces limites seulement. »
Même s’ils n’avaient pas la clairvoyance de Trotsky, les dirigeants français et britanniques ne pouvaient pas ignorer la menace que représentait le régime hitlérien. Mais d’autres considérations politiques que la crainte d’un nouveau conflit les incitaient à mener leur politique « d’apaisement ». En 1933, l’Europe n’était qu’à 16 ans de la révolution russe, à 14 ans de la crise révolutionnaire qui avait secoué le continent entier en 1919. Le spectre, pour la bourgeoisie, de la révolution prolétarienne en Allemagne avait hanté les cauchemars des bourgeoisies européennes jusqu’à l’écrasement du mouvement communiste et ouvrier allemand par les nazis dans les premiers mois de 1933. Mais le régime de Hitler, qui n’avait pas obtenu la majorité absolue, malgré l’interdiction du Parti communiste d’Allemagne et les violences exercées contre les opposants, était peut-être encore fragile. Et les hommes politiques bourgeois responsables, même ceux qui craignaient l’établissement d’une dictature fasciste en France, n’avaient aucune envie de faire quoi que ce soit qui puisse le déstabiliser. C’est pourquoi le rétablissement du service militaire en Allemagne, en 1935, pourtant absolument contraire au traité de Versailles, ne suscita aucune réaction notable de la part du gouvernement français. Quelques mois plus tard, quand Hitler fit entrer ses troupes dans la Rhénanie démilitarisée depuis 1919, ses propres généraux tremblaient à l’idée d’une réaction violente de la France, alors que la nouvelle Wehrmacht n’était absolument pas encore en mesure d’y faire face. Mais les réactions françaises ne dépassèrent pas le niveau des discours. Le président du Conseil, Sarraut, déclara bien : « Nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemands », mais il se contenta finalement de demander qu’une nouvelle discussion internationale « garantisse la paix et la sécurité en Europe ».
Les dirigeants politiques français se montrèrent infiniment plus conciliants avec l’Allemagne hitlérienne qu’ils l’avaient été quelques années auparavant avec les revendications de la république de Weimar.
De la même manière, le seul gouvernement qui s’était vraiment opposé à la première tentative de rattachement de l’Autriche au troisième Reich (l’Anschluss) en 1934, avait été celui de l’Italie fasciste, qui n’avait aucune envie d’avoir une frontière commune avec l’Allemagne sur le col du Brenner, et qui y avait envoyé des troupes. Quatre ans plus tard, en mars 1938, l’Italie ayant obtenu des garanties quant à sa possession du Tyrol du sud et étant devenu un allié de l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne acceptèrent sans broncher l’Anschluss, auquel elles s’étaient pourtant résolument opposées au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand c’étaient les sociaux-démocrates autrichiens qui le réclamaient.
C’est la même peur de la révolution prolétarienne qui amena les gouvernements français et britannique à jouer la comédie de la « non-intervention » par rapport à la guerre d’Espagne, cyniquement pour les conservateurs anglais, hypocritement pour le gouvernement français de Front Populaire, dont le chef, Léon Blum, versait à l’occasion quelques larmes sur le sort du peuple espagnol, pendant que Mussolini et Hitler fournissaient une aide massive à Franco.
Le système d’alliance de la bourgeoisie française
Sur le plan diplomatique, la bourgeoisie française s’était préoccupée de trouver des alliés face à une possible menace allemande, en particulier en Europe centrale, bien longtemps avant l’arrivée de Hitler au pouvoir. L’alliance polonaise et l’alliance tchécoslovaque étaient au cœur de ce dispositif. Mais la Pologne des colonels (c’est le nom sous lequel est connu le régime militaire au pouvoir de 1935 à 1939) vit non seulement dans le nazisme au pouvoir une dictature selon son cœur, mais également un protecteur éventuel contre l’URSS. Et dès janvier 1934 les deux pays signèrent une déclaration affirmant qu’ils renonçaient à la force pour régler leurs litiges éventuels... ce qui réduisait à rien les traités signés avec la France.
À cette époque-là, la France ne pouvait pas considérer la Grande-Bretagne comme un allié militaire en cas de conflit avec l’Allemagne. Ce n’est en effet qu’en avril 1936 que le gouvernement britannique accepta de donner à la Belgique et à la France une promesse d’assistance en cas d’agression allemande.
La Grande-Bretagne était en effet, plus encore que la France, la championne de la politique « d’apaisement ». Elle acceptait de donner satisfaction aux demandes de l’Allemagne et de l’Italie si celles-ci étaient « raisonnables ». Toutefois, cela n’allait pas jusqu’à accepter la rétrocession, revendiquée par l’Allemagne, de ses anciennes colonies, qui aurait été contraire, affirmaient les Anglais, aux intérêts des populations indigènes ! Après la défection de fait de la Pologne, le gouvernement français, soucieux de trouver de nouveaux alliés, engagea donc des négociations avec l’URSS. Et c’est au ministre des Affaires étrangères en poste en 1935, Laval (celui-là même qui devait déclarer sept ans plus tard, en 1942, « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que sans elle, demain, le bolchévisme s’installerait partout »), qu’il appartint de finaliser un accord avec Staline.
La bourgeoisie française y gagna la déclaration de Staline affirmant comprendre et approuver « la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité », et du même coup un retournement complet du PCF renonçant à sa tradition anti-militariste pour exalter le drapeau tricolore et « la défense de la patrie ». Mais la signature de ce pacte pouvait difficilement apporter une quelconque sécurité à la bourgeoisie française, car à supposer que les deux partenaires aient été sincères et se soient fait confiance (ce qui était loin d’être le cas), comment l’armée soviétique aurait-elle pu intervenir contre l’Allemagne sans passer par la Pologne (ce que celle-ci n’était évidemment pas prête à accepter) ?
Le pacte ne fut ratifié par la Chambre des députés française, où le Front populaire était alors majoritaire, qu’en 1936. Mais il devint alors un objet de polémique concernant la politique intérieure, la droite le dénonçant comme une collusion avec le communisme !
De Munich au pacte germano-soviétique
La tension internationale augmenta brutalement, en septembre 1938, avec l’ultimatum adressé par Hitler au gouvernement de Prague, concernant le retour des Sudètes à l’Allemagne. Cette région montagneuse, majoritairement peuplée d’Allemands, avait été intégrée en 1919 au nouvel État tchécoslovaque, pour lequel elle constituait une ligne de défense naturelle, qu’il avait en outre puissamment fortifiée. La Tchécoslovaquie procéda à une mobilisation générale, la France qui était liée par un pacte d’assistance mutuelle au gouvernement de Prague rappela ses réservistes. Mais le Premier ministre britannique, Chamberlain, toujours à la pointe de la politique « d’apaisement », s’entremit pour obtenir la réunion à Munich d’une conférence réunissant l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et la France, où le sort de la Tchécoslovaquie fut réglé en son absence, et également en l’absence de l’URSS : l’accord signé par les quatre entérinait l’annexion des Sudètes par l’Allemagne. La Pologne des colonels profita de l’occasion pour annexer elle aussi un petit bout de la Tchécoslovaquie, la région de Teschen.
Le système d’alliances français en Europe orientale était du même coup mis à mort, non seulement parce que les colonels polonais flirtaient de plus en plus ouvertement avec Hitler, et parce que la Tchécoslovaquie, abandonnée et démembrée, ne pouvait plus être – même si elle l’avait voulu – un allié utile, mais aussi parce que l’URSS avait de moins en moins de raisons de croire à la valeur de l’alliance française.
La survie de la Tchécoslovaquie fut d’ailleurs de courte durée. Six mois après les accords de Munich, après lesquels Hitler avait déclaré qu’il n’avait plus de revendications territoriales en Europe, la Slovaquie, poussée par Hitler, déclarait son indépendance, et la Wehrmacht envahissait la Bohême-Moravie (le reste du territoire tchécoslovaque) et en faisait un protectorat du Reich le 15 mars 1939.
La France et la Grande-Bretagne n’intervinrent pas. Mais, dès le 21 mars, Hitler revendiquait le retour de Dantzig (Gdansk en polonais) à l’Allemagne. Ce grand port dont la population était majoritairement allemande avait été placé sous l’autorité de la Société des Nations par le traité de Versailles. Ces événements furent à l’origine d’un brutal retournement du gouvernement anglais, qui venait de vérifier que chaque concession faite à Hitler amènerait de sa part d’autres revendications, et qui n’était pas disposé à voir l’Allemagne dominer toute l’Europe.
Le 31 mars 1939, Chamberlain déclarait aux Communes : « Dans le cas d’une action quelconque mettant nettement en danger l’indépendance polonaise et à laquelle le gouvernement polonais estimerait de son intérêt vital de résister avec ses forces nationales, le gouvernement de Sa Majesté se considérerait comme tenu de soutenir immédiatement, par tous les moyens, le gouvernement polonais. »
C’était une promesse assez gratuite, car le gouvernement britannique n’avait alors guère les moyens d’intervenir militairement sur le continent. Ce n’est en effet que le mois suivant que la Grande-Bretagne décida de recourir à la conscription (limitée aux moins de 24 ans) et celle-ci n’entra vraiment en application qu’en septembre.
Du point de vue des effectifs mobilisables, la France était bien plus capable que la Grande-Bretagne, grâce au principe de la conscription, d’aligner rapidement des troupes nombreuses. Ce n’est cependant pas sans hésitation qu’elle emboîta le pas à celle-ci pour accorder elle aussi sa garantie à la Pologne. Mais elle non plus ne voulait pas voir le Reich devenir hégémonique en Europe.
Comme l’alliance franco-soviétique existait toujours sur le papier, Hitler pouvait craindre, s’il intervenait en Pologne, d’avoir à livrer une guerre difficile sur deux fronts. Mettant de côté – pour un temps – leur anticommunisme viscéral, les nazis engagèrent discrètement des négociations avec Moscou, et le 23 août, le monde apprenait la signature du pacte de non-agression germano-soviétique. Non seulement l’Allemagne hitlérienne éloignait ainsi la menace que pouvait représenter l’Armée rouge, mais elle y gagnait la possibilité de se procurer toutes les matières premières qui lui faisaient défaut (et c’était une de ses faiblesses) auprès des Soviétiques.
De la déclaration de guerre à l’effondrement de 1940
Moins d’une semaine plus tard, Hitler adressait un ultimatum à la Pologne et, le 1er septembre, la Wehrmacht franchissait la frontière polonaise. Le 3 septembre, la Grande Bretagne puis la France déclaraient la guerre à l’Allemagne.
On sait comment, après huit mois de « drôle de guerre », l’armée française s’effondra lors de l’offensive allemande de mai-juin 1940.
Beaucoup de choses ont été dites sur les raisons de cet effondrement : le choix d’une stratégie purement défensive par un état-major qui avait une guerre de retard, des classes dirigeantes qui craignaient plus la classe ouvrière que l’Allemagne nazie, etc.
Mais la plupart de ceux qui ont écrit sur cette période invoquent aussi ce qui aurait été l’énorme supériorité matérielle de la Wehrmacht. Pourtant le réarmement allemand n’avait commencé que cinq ans auparavant, et cette supériorité, en ce qui concerne la quantité et la qualité du matériel, n’existait pas en ce qui concerne l’une des armes qui jouèrent un rôle décisif dans cette bataille, l’arme blindée. Tous ceux qui se sont sérieusement penchés sur les chiffres confirment que l’armée française disposait d’un nombre de blindés modernes équivalant à ce dont disposait l’armée allemande. La différence résida dans leur emploi. L’état-major français, tout fier de compter dans ses rangs les généraux vainqueurs de 1918, ne concevait l’utilisation de ces blindés, comme dans la guerre précédente, qu’en accompagnement de l’infanterie, alors qu’en Allemagne s’était imposée l’idée d’une utilisation toute différente des blindés, en masses concentrées, capables de créer la rupture et de progresser en profondeur derrière les lignes ennemies en y semant la panique. Mais ce qui est le plus significatif de la France de cette époque, c’est ce qui concernait la deuxième arme qui joua un rôle décisif dans l’effondrement français : l’aviation.
Ce ne sont pourtant pas les constructeurs qui ont manqué dans les années trente. Philippe Garraud, directeur de recherche au CNRS, auteur d’un article sur « Les contraintes industrielles dans la préparation de la guerre de 1939-1940 », n’en recense pas moins de quatorze, « pour ne citer que les plus importants d’entre eux », précise-t-il. Mais ces constructeurs construisaient peu. « Jusqu’en 1936, écrit ce même Philippe Garraud, la construction aéronautique revêt un caractère essentiellement artisanal de production en petites séries échelonnées dans le temps, quand elle n’est pas une activité essentiellement financière. Un important marché public des prototypes et dérivés se constitue, financé sur fonds d’État, qui suffit à occuper les constructeurs et à dégager des profits suffisants. Dans ce cadre, on serait presque tenté de dire que la construction en série ne constitue qu’une activité seconde sinon secondaire, pas nécessairement la plus lucrative. »
Le fait que le gouvernement de Front Populaire – que les responsables pétainistes après la débâcle de 1940, et bien des historiens de droite après, ont présenté comme le principal responsable de celle-ci – se soit efforcé au contraire de moderniser cette industrie aéronautique en nationalisant l’ensemble de ses composantes, pour constituer en 1937 six « sociétés nationales de construction aéronautique », ne changea rien à cette situation.
L’industrie aéronautique française était bien à l’image d’un impérialisme qui somnolait doucement en encaissant directement ou indirectement les profits de l’exploitation de son vaste empire colonial.
24 juin 2009
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