Venezuela : dix ans de « révolution bolivarienne »

mardi 3 mars 2009.
 

En cette fin d’après-midi, les joueurs de dominos ont fini leur partie. À quelques mètres de la tonnelle, des basketteurs s’essayent aux paniers, tandis que des enfants déguisés profitent des premiers jours du carnaval. Au pied des dizaines d’immeubles qui agencent le quartier populaire du 23 de Enero, les visages du Che, de Lénine, de Karl Marx, et bien sûr de l’incontournable libérateur du Venezuela, Simon Bolivar, « semeur de socialisme », rehaussent en couleur ces édifices en cours de rénovation où vivent quelque 400 000 âmes. Sur les maisonnettes en briques, si traditionnelles aux « barrios » qui dominent la capitale vénézuélienne, on aperçoit encore les « si va », traces de la campagne référendaire du 15 février où la population s’est majoritairement prononcée pour la levée de la limitation des mandats. Un feu vert, en quelque sorte, pour poursuivre les transformations mises en œuvre depuis l’élection, en 1998, du président, Hugo Chavez.

Et à en croire Hector Rosales, « ce gouvernement est le meilleur qu’ait jamais eu le Venezuela. » Ce retraité, curieux de l’image de son pays à l’extérieur, ne s’en laisse pas compter. « Pourquoi ne parle-t-on pas des hôpitaux qui ont été construits, des médecins de barrios qui se déplacent aujourd’hui jusque chez nous et de la liberté d’expression alors qu’hier encore on nous torturait et on nous jetait en prison parce que l’on osait se réunir ? »

« En dix ans de gouvernement nous avons assisté à un changement incroyable »

Les missions – à savoir les réformes et les programmes sociaux dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, et de l’alimentation – ont constitué le fer de lance du désormais célèbre « processus bolivarien ». Pour en saisir pleinement la popularité sans doute convient-il de remonter le temps. En ce mois de février 2009, ce n’est pas seulement l’investiture d’un homme se revendiquant du socialisme et de l’anti-impérialisme que l’on célèbre au Venezuela. Il s’agit également du destin d’une nation qui relève l’échine. Il y a tout juste vingt ans, le 27 février 1989, des milliers de pauvres se révoltaient contre la libéralisation des prix, conséquence des plans d’ajustements structurels poursuivis par le gouvernement néolibéral de l’époque. L’insurrection, le « Caracazo », tournait alors au massacre après que la police métropolitaine eut chargé contre les manifestants. Les 4 000 tués hantent encore la mémoire collective populaire et l’esprit de révolte si caractéristique des dernières décennies au Venezuela.

« Il y a une attitude rénovée du peuple, renforcée par les missions sociales, explique Gustavo Borjes, animateur d’un média communautaire et alternatif. En dix ans de gouvernement nous avons assisté à un changement incroyable. » La rupture post-1998 est évidente en termes de recul de la pauvreté. Le travail de réintégration sociale d’une majorité de la population, jusque-là dépourvue de l’accès aux droits et aux biens basiques, porte également. Le schisme tient bien sûr aux réformes. Mais pas seulement.

Militant social de la première heure, Gustavo sourit tout en parlant. « Les fruits du pétrole et l’appui populaire, tout cela peut sonner trop simpliste mais ces dernières années ont été très difficiles », rappelle-t-il, en énumérant « le bombardement médiatique » des chaînes privées ultra-majoritaires dans le pays et acquises à l’opposition de droite, l’interventionnisme des États-Unis, le coup d’État contre Hugo Chavez en 2002, ou encore, dans la foulée, le lock-out pétrolier qui a asphyxié le Venezuela.

Les changements ne sont pas « une affaire de rente pétrolière » mais de choix politiques. Car si le Venezuela figure parmi les principaux pays exportateurs de pétrole, avec des réserves considérées comme les plus importantes au monde, l’exploitation remonte à plus d’un siècle. Mais la différence, nuance Gustavo Borjes, « c’est que le gouvernement a pris les rênes des espaces énergétiques et place les bénéfices dans les missions sociales, les comités de santé, les tables de concertation sur l’eau, l’électricité… ».

La nature même de la nouvelle démocratie vénézuélienne en soi « une bombe démocratique »

Loin des clichés d’un Venezuela pliant sous le poids écrasant de son président, la popularité de Chavez, dix ans après son arrivée au pouvoir, reste toujours aussi élevée. « Son leadership a été une garantie du développement du pouvoir des gens », considère Thierry Deronne, vice-président de la chaîne de télévision publique Vive, qui réfute les poncifs dont on affuble Hugo Chavez. Selon le journaliste, la nature même de la nouvelle démocratie vénézuélienne – participative et protagoniste –, ainsi que l’éducation constituent en soi « une bombe démocratique » à même de contenir le messianisme ou le populisme. « Le rôle de Chavez est très rationnel, analyse-t-il. Il s’agit d’une rencontre de valeurs communes avec les gens, un ultrahumanisme au sens concret. Il ne visite pas un barrio pour la photo mais s’intéresse à la vie quotidienne des personnes qui y vivent. Et cette connaissance permet de trancher les réformes car il reste ancré mentalement avec le peuple. »

Dans la Maison populaire Freddy-Parra, siège de la coordination Simon-Bolivar, qui accueille la radio communautaire Son du 23, Juan Contrera, l’un de ses responsables, souligne lui aussi « les étapes de la révolution ». Un processus contrarié qui devrait approfondir le socialisme au cours des quatre dernières années du mandat de Hugo Chavez. Le « plus difficile », assure-t-il, sera « le changement de mentalité ». Sans compter le degré de division qui aiguise la société vénézuélienne entre partisans du bolivarianisme et les anti. Juan Contrera voit surtout trois impératifs de travail : « Il faudra maintenir les missions et les améliorer, s’attaquer au problème de la corruption, et enfin, au nom de l’efficacité du processus, rompre avec la bureaucratie, un vice hérité de l’ancienne culture. »

« L’idée fondamentale est de transférer de manière accélérée le pouvoir au peuple pour qu’il gouverne »

À ce triptyque, s’ajoutent des chantiers conséquents comme la diversification de la production en développant, notamment, l’agriculture pour délester l’actuelle dépendance aux importations. La poursuite de la coopération régionale figure également en bonne place. L’autre champ sera « la réalisation des changements structuraux en démocratie », déclare Aristobulo Isturiz, ex-ministre de l’Éducation nationale et dirigeant national du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). , explique-t-il. La création des conseils communaux regroupés permettra de transférer le pouvoir au peuple pour qu’il puisse prendre les décisions, administrer les ressources et élaborer des projets. » Ces auto-gouvernements communaux pourraient également constituer des garde-fous contre la corruption mais également des remparts contre l’insécurité et la criminalité, véritables plaies ouvertes. En renforçant le maillage social, l’idée est de récupérer peu à peu les espaces publics et collectifs de la rue, et d’asseoir aussi la reconfiguration du Venezuela.

Car, rappelle Thierry Deronne, « si on parle de socialisme, une fois éliminée les expériences autoritaires, l’idée de la commune consiste à créer un espace de vie individuel et social » dans le collectif mais étranger « aux gros estomacs de consommation des villes » tels qu’ils se sont constitués au Venezuela depuis des décennies.

Sur les hauteurs du 23 de Enero, apposé au mur du lycée bolivarien Manuel-Palacio-Fajardo, des organisations sociales ont tenu à rendre hommage à Alexis Gonzalez, un militant du quartier tué en avril 2002 tandis qu’il tentait de défendre la jeune révolution. Au côté de son nom figure cette phrase de Pio Tamayo, l’un des fondateurs du Parti communiste vénézuélien, à la longue trajectoire internationale : « Nous sommes simplement des lyriques, les derniers romantiques peut-être. Ou les révolutionnaires sains de conscience et infantiles de cœur dont les peuples ont besoin. Utiles pour se sacrifier. Inutiles pour triompher. Mais toujours indispensables pour le progrès de l’humanité. »

Cathy Ceïbe


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