Trois lettres ouvertes aux initiateurs du Parti de Gauche ( La Sociale, Raoul Jennar, Christian Delarue)

dimanche 23 novembre 2008.
 

Construire un nouveau parti bouleverse inévitablement le champ politique. Construire un parti de gauche appelant à un front de la gauche de gauche interpelle toutes les forces, tous les individus qui se considèrent concernés. Nous avons mis en ligne de nombreux articles venant d’horizons très divers favorables à la construction du Parti de Gauche. Le premier texte ci-dessous s’inscrit dans une démarche de conditions pour accepter ce processus. Les deux autres marquent leur opposition à ce Parti ; nous les mettons en ligne par souci d’informer les camarades qui viennent quotidiennement sur ce site pour y trouver des textes alimentant la réflexion.

1) Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez par l’association Devoir de Résistance – La sociale

Cher Jean Luc, Cher Marc,

Chers amis,

Chers camarades,

Comme vous l’avez sans doute remarqué, dés votre annonce de rompre avec le parti socialiste et d’ouvrir une nouvelle voie pour les millions de nos concitoyens qui n’ont plus aujourd’hui de représentation politique, nous avons sur notre site « La sociale » publié un communiqué affirmant notre soutien à votre démarche.

Nous voyons pour notre part deux conditions élémentaires pour permettre à cette initiative de réussir.

La première concerne le fonctionnement, la méthode, tout simplement l’affirmation et le respect des règles démocratiques trop souvent bafouées au parti socialiste et en général dans toutes les organisations de gauche. Il s’agit de tourner la page du mépris des militants ressenti unanimement par tous ceux qui ont vu évoluer une formation où les décisions sont prises d’avance, sans débat, sans possibilité que les positions soient défendues pour convaincre, et donc pour être convaincu. C’est là sans doute la première des conditions à réaliser pour que se crée un véritable parti se réclamant de la république sociale, au sens où l’histoire a inscrit la formule. Voila notamment pourquoi nous pensons que la réunion du 29 novembre, pour constituer un tournant réel du mouvement ouvrier organisé et de la vie politique de notre pays, devra permettre l’expression la plus large des positions toutes convergentes avec la votre, et annoncer autour de quelques propositions, dont celle de l’appellation de la nouvelle formation, une série de réunion par quartier, par lieu de travail, par lieu de vie afin de faire remonter les avis des nouveaux membres et militants qui se rassembleront, s’ils ne sont pas exclus du processus, dans les semaines qui viennent.

La seconde concerne les premiers axes de bataille. La question européenne est en effet centrale. Nous avions pour notre part élaboré il y a quelques mois un texte qui mentionne les points essentiels permettant de nous engager pour le rétablissement de la souveraineté nationale et populaire. Un appel sans doute venu trop tôt, mais qui aujourd’hui prend toute sa signification. A l’époque, il était passé, y compris pour vous, totalement inaperçu. Nous vous le faisons parvenir à nouveau car nous pensons qu’un échange partant de là ne pourrait qu’être bénéfique pour les batailles à venir.

Dans l’attente,

Bien cordialement,

Pour l’association Devoir de Résistance – La sociale.

Denis Collin et Jacques Cotta

2) Lettre ouverte de Raoul Marc Jennar à Jean Luc Mélenchon

Cher Jean-Luc,

Au nom de ce qui nous rapproche, permets-moi de t’écrire avec amitié, mais avec franchise.

Nous fûmes ensemble pour faire campagne contre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Nous nous sommes retrouvés à Versailles, le 4 février dernier, pour combattre ce copié-collé du TCE qu’est le Traité de Lisbonne.

Entre-temps, tu avais adopté, après le référendum, la synthèse du Mans du PS qui gommait le « non » et, dans ta réponse à ma « lettre ouverte à un socialiste du non », tu avais alors justifié ta position par l’espoir de faire ainsi désigner, comme candidat PS à la présidence de la République, Laurent Fabius, un des artisans de ce néo-libéralisme que tu dénonces (c’est lui qui, parmi beaucoup d’autres mauvais coups, a fait adopter la loi de déréglementation financière). Entre-temps, après avoir combattu en interne la candidature de Ségolène Royal, tu as fait campagne pour elle l’an passé.

Tu me rappelles ces grognards qui, en bougonnant, finissaient toujours par suivre. Je ne te ferai pas un mauvais procès et je n’insisterai pas sur le fait que tu fus un fidèle du Mitterrand de l’après 1983 et du traité de Maastricht et que tu partages la responsabilité de ce qu’a fait le gouvernement PS-PCF-Verts comme ministre de Jospin. Pour moi, ce qui compte, c’est qu’en 2002, tu as lucidement analysé les raisons de la défaite du social-libéralisme. Maintenant tu viens de rompre. Beaucoup s’en réjouissent. Beaucoup aussi se demandent : pourquoi maintenant ? Et pour faire quoi ?

J’ai lu ton livre « En quête de gauche » avec attention. Comme tout ce que tu écris. Parce que nous avions fait ensemble campagne contre le TCE et qu’un jour, au Forum Social Européen, tu m’as dit que tu t’inscrivais dans la tradition de 1789 et de Jaurès. Des références qui comptent pour moi, même si tu ne m’as pas parlé de 1793 et de 1871 qui comptent encore plus à mes yeux. J’emploie à dessein ces références historiques sachant ton attachement à la République. C’est dans ce livre et tes propos récents que je cherche l’explication de ta démarche nouvelle. Tu ambitionnes de créer un « Die Linke » français. Avec un partenaire privilégié : le PCF. C’est en soi respectable, mais cela ne permet pas l’union de toute la gauche à la gauche du PS.

Parce que l’histoire de la gauche française n’a rien à voir avec celle de la gauche allemande. Les composantes de « Die Linke » n’ont pas le passé de la gauche française. La social-démocratie allemande, qui a fait assassiner Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en 1919, a renié le socialisme, la lutte des classes et la laïcité dès 1959. Le communisme allemand fut stalinien jusqu’à la chute du Mur.

Parce que les objectifs de « Die Linke » - cogérer les institutions avec la social-démocratie, avec les résultats antisociaux déjà visibles à Berlin - ne sont pas ceux de toute la gauche anticapitaliste française. Parce que les raisons de ta démission du PS justifient pleinement qu’on ne fasse pas alliance avec ce parti que tu viens de quitter.

Parce que, à la gauche du PS, entre le PCF et presque tous les autres, il y a une profonde division non seulement sur la question des rapports avec la social-démocratie, mais sur des questions de fond comme les finalités de la production, de la croissance et de la consommation, les questions énergétiques, les questions écologiques, le réchauffement climatique, le nucléaire civil et militaire, la diversité culturelle, le profil démocratique d’une autre République française et d’une autre Europe, la présence de la France dans l’OTAN. A moins de s’en tenir aux ambiguïtés et aux silences des défuntes 125 propositions, un programme commun précis pour une société post-capitaliste ne paraît guère possible sur ces questions essentielles.

Encore une fois, ton choix est respectable, mais il ne me paraît pas prendre en compte les défis de ce siècle. Il ignore que la question sociale comme la question écologique trouvent leur origine dans le capitalisme et que c’est le capitalisme qu’il faut combattre et non pas seulement sa version néo-libérale actuelle. En outre, en privilégiant un partenaire, tu places ta démarche et ceux qui vont te suivre dans la dépendance d’un PCF crispé sur la survie de son appareil et de ses élus.

Tu conviendras que, sauf à faire du Cohn-Bendit, l’unité sans un accord sur un contenu dépourvu de toute ambiguïté et sur une stratégie pour le mettre en œuvre n’est qu’une opération électoraliste sans lendemain. Or, cet accord-là n’existe pas à la gauche du PS. En dépit des propos incantatoires de ceux qui en rêvent et qui n’en peuvent plus d’attendre au point de s’intoxiquer d’illusions.

Comme j’aurais aimé que, à la manière dont tu as tiré les leçons de la déroute du PS en 2002, tu aies tiré les conséquences de l’échec de 2006, en te souvenant qu’une semaine à peine après notre victoire unitaire au référendum de 2005, la secrétaire nationale du PCF annonçait « mettre sa candidature dans le débat » pour les présidentielles. Ce qui allait déterminer toute la suite.

Comme j’aurais aimé que, bénéficiant de l’impact de ta démission, tu te sois placé à égale distance de toutes les composantes à la gauche du PS. Comme j’aurais aimé que, sans interlocuteur privilégié, tu aies proposé à tous un débat sur le contenu démocratique, social, écologique et culturel d’une vraie alternative au capitalisme et une stratégie cohérente pour ne pas retomber dans les marasmes de la gauche plurielle.

Tu as fait un choix différent. Je le respecte. Mais je le regrette. Cordialement,

Raoul

3) Rose-rouge ? Christian DELARUE à Claude DEBONS

Cher Claude,

J’ai pris connaissance de ta lettre du 12 novembre *"Du neuf à gauche !" (lien ci-dessous). Je me permet d’y répondre

Tu as réagi comme d’autres à la sortie du PS de Jean-Luc MELANCHON et Marc DOLEZ. Comme beaucoup tu t’en félicites. Je partage aussi ta satisfaction. Reste l’idée de créer un nouveau parti de gauche. Encore un !

Après le M’PEP de Nikonoff fondé en juin 2008, voici le parti de Mélanchon-Dolez. Bientôt, chaque déçu d’un parti de gauche va créé son nouveau parti pour peu qu’il dispose d’une certaine notoriété .

Déjà fin juin, Pölitis lançait un appel à la constitution d’un front commun précisément du fait de l’éclatement de la "gauche de gauche". Tu sais cela. Et pourtant tu soutiens cette nouvelle création partidaire.

Sans doute penses-tu qu’elle va occuper une place aujourd’hui laissée vacante entre le PS et la LCR. Sans doute penses-tu que ni le PCF, ni le NPA n’est à même de venir combler ce vide. Tu as peut-être raison mais cela ne semble pas évident à de nombreux altermondialistes qui essaient d’y voir clair dans les dynamiques en cours dans la gauche. C’est un maelström !

Je retiens les grandes lignes du programme de cette nouvelle organisation : c’est dis-tu "l’occasion de refonder un projet de transformation et d’émancipation qui tire les leçons des échecs historiques et qui prenne à bras le corps les nouveaux défis : de la mondialisation capitaliste à la menace environnementale. Nous ne partons pas de rien ; nous nous inscrivons dans une longue histoire : l’héritage des Lumières et de la Révolution française, les combats républicains, les luttes du mouvement ouvrier et du socialisme historique, le programme du Conseil National de la Résistance… Et des figures emblématiques l’illustrent comme Jean Jaurès ou Rosa Luxembourg… Mais il nous faut aussi beaucoup inventer et nous enrichir des apports des mouvements sociaux, de l’altermondialisme, de l’écologie, du féminisme… C’est à un projet de " République sociale ", de " démocratie jusqu’au bout " et de nouveau type de développement économique, social, environnemental qu’il faut travailler". Je constate effectivement un profil particulier sans doute différent de celui du PCF et du NPA ou du POI (ex PT) et de LO. Il me semble proche du M’PEP.

Ce profil inerdit-il vraiment d’intégrer le NPA ? J’ai lu la lettre de R-M Jennar à JL Mélanchon. Il dit : "Tu (JLM) ambitionnes de créer un « Die Linke » français. Avec un partenaire privilégié : le PCF. C’est en soi respectable, mais cela ne permet pas l’union de toute la gauche à la gauche du PS". Claude, c’est grave. Au passage, nous quittons l’orientation générale pour une stratégie proche des tactiques (la lutte des places plus que la lutte des classes) : l’alliance de ton parti avec le PCF, parti de gouvernement avant tout, permet d’envisager l’avenir de façon plus sûr qu’avec le NPA pour qui les élections ne sont qu’un aspect de la démocratie et du processus politique de transformation sociale. C’est l’aspect "machine électorale" qui semble privilégié. Dommage ! Cela va peut-être permettre de créer un petit parti "rose-rouge" (selon l’expression, je crois, de Julien Landfried). Comme le PCF est sur une ligne social-démocrate, il y a probablement des perspectives mais sans succès assuré pour autant, ni au plan électoral, ni surtout au plan de l’alternative. Car avec le PCF plus qu’avec le NPA on penche plus vers l’alternance que vers l’alternative. L’histoire est là pour le démontrer.

Ce profil interdit-il alors de rejoindre Politis ? Non à moins que précisément depuis sa dernière AG d’octobre 2008, sa volonté de créer une nouvelle force ne convienne pas. Ou que par cachoterie, ce soit le nouveau parti de JLM-Dolez qui était précisément la force à créer. Cela ne va pas plaire à tous dans Politis. Là je crains de nouvelles crispations et divisions.

Ceci dit, j’ai apprécié le travail que tu as mené ces dernières années dans les différents collectifs. Bon courage !

Christian DELARUE

Responsable altermondialiste et antiraciste.

Signataire de l’Appel Politis


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