Népal : Les maoïstes sont en tête des élections et fêtent déjà la victoire (2 articles)

dimanche 13 avril 2008.
 

1) Dépêche AFP

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Les anciens rebelles maoïstes du Népal sont en tête, selon un dépouillement partiel officiel, des élections historiques jeudi d’une assemblée constituante censée transformer la monarchie en République et des milliers de partisans célébraient déjà la victoire.

"Les maoïstes mènent dans 56 circonscriptions sur les 102 où l’on est en train de compter les bulletins de vote", a annoncé samedi à l’AFP le porte-parole de la commission électorale, Laxman Bhattaraï.

L’assemblée constituante comptera au total 601 députés désignés à l’issue d’un mode de scrutin complexe mêlant systèmes proportionnel et majoritaire.

Même si une toute première tendance semble se dessiner, on ne connaîtra pas avant une semaine les 240 candidats élus au scrutin majoritaire, a prévenu la commission électorale.

Et comme le décompte du reste des sièges alloués à la proportionnelle va prendre encore plus de temps, les résultats complets ne sont pas attendus avant plusieurs semaines.

Mais cinq députés maoïstes ont déjà été déclarés élus samedi et les ex-insurgés d’extrême gauche ont confié leur espoir de passer la barre de 15% des votes pronostiqués par des diplomates et des analystes.

"Nous sommes un nouveau parti et nous n’avons aucune expérience électorale, mais tel que les choses se déroulent, nous sommes très excités", a déclaré à l’AFP Rajkaji Maharajan, l’un des cinq élus à Laliptur, près de Katmandou. "Nous sommes prêts à diriger la nation si le peuple nous en confie le mandat", a-t-il lancé, alors que 2.000 de ses partisans célébraient sa victoire, selon un photographe de l’AFP.

En plein centre de la capitale, un millier de Népalais de tous âges et de toutes conditions criaient leur joie, le visage peint en rouge, levant les bras au ciel, agitant des drapeaux frappés de la faucille et du marteau.

"Bien sûr, c’est une surprise. Nous nous attendions à entre 10 et 20% des voix puisque l’on nous avait dit qu’ils (les maoïstes) étaient impopulaires. Mais la réalité s’est avérée différente", a déclaré à l’AFP un diplomate occidental, sous couvert de l’anonymat.

[Des membres de la commission électorale pendant le décompte des votes, le 11 avril 2008 à Katmandou - © 2008 AFP - Prakash Mathema]

Jeudi, avec "un enthousiasme écrasant", comme l’a dit l’ONU, 60% des 17,6 millions d’électeurs népalais ont désigné une assemblée qui va rédiger une nouvelle Constitution et devrait conduire à l’abdication du roi Gyanendra, en enterrant la seule monarchie hindouiste du monde pour en faire une République.

Les Etats-Unis, qui considèrent les maoïstes comme des "terroristes", avaient salué vendredi "une avancée historique" et rendu "hommage au courage des Népalais".

Cette première élection nationale depuis 1999 doit consolider la paix conclue il y a un an et demi avec la guérilla maoïste dans ce royaume himalayen stratégique coincé entre l’Inde et la Chine.

Mais quels que soient les résultats, la disparition de la monarchie a fait déjà l’objet d’un accord scellé en décembre entre les sept partis népalais et les maoïstes, qui ont signé la paix le 21 novembre 2006 après une décennie de guerre civile et 13.000 morts.

Ils gouvernent ensemble depuis avril 2007.

L’application d’un tel scénario, inimaginable il y a quelques mois, avait en fait commencé à se dessiner au printemps 2006 lorsque la classe politique s’était alliée aux "maos" dans des manifestations pour forcer le roi à renoncer à ses pouvoirs absolus.

Depuis, cet héritier de 239 années de dynastie des Shah, honni et qui vit reclus dans son palais de Katmandou, a été dépouillé de toutes ses prérogatives.

Mais, dans l’attente des résultats complets et définitifs, le pays risque de connaître un nouveau regain de tensions entre partis politiques et maoïstes, préviennent des analystes, dont certains redoutent aussi une riposte du roi.


Des armes aux urnes : les maoïstes népalais relèveront-ils le défi démocratique ?

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Le 10 avril prochain, un vent de démocratie soufflera sur le petit royaume du Népal : après 240 années de monarchie, les népalais s’apprêtent à élire leurs représentants à l’Assemblée constituante et à faire de leur royaume une République toute neuve. Mais le climat actuel est tendu : les maoïstes, qui ont accepté de jouer le jeu des élections après la fin de la guerre civile en 2006, sont accusés de violences tandis que la région du Téraï est le spectacle d’affrontements ethniques.

Difficile pour le royaume du Népal de garantir des élections tranquilles et pacifiques. Vendredi dernier, Katmandou fut touchée par trois explosions. Cet attentat non revendiqué visait visiblement à perturber le bon déroulement des élections et s’ajoute aux nombreuses violences qui ponctuent la campagne électorale.

Le 7 avril, le représentant des Nations Unies a appelé le parti maoïste à mettre un terme à leurs pratiques d’intimidations sur les candidats des partis adverses. Plusieurs membres du parti communiste traditionnel ont été hospitalisés à Kathmandu suite à des attaques armées de la ligue des jeunes maoïstes. En décembre 2007, l’ex-ministre Pradeep Gyawali avait déjà exprimé sa méfiance : « Nous avons des soupçons quant à l’intégrité des maoïstes et leur entière volonté d’intégrer le système démocratique et d’abandonner totalement la violence ».En réalité, les maoïstes, que le gouvernement provisoire accuse souvent de tous les maux, ne sont pas les seuls à bafouer les règles électorales : La Mission des Nations Unies au Népal (MINUNEP) a signalé des abus de la part d’autres partis qui recrutent et paient des enfants pour l’organisation des meetings.

La date des élections est toutefois maintenue au 10 avril, après deux reports consécutifs. Invoquant un mode de scrutin biaisé puisque seulement 335 des 601 sièges de l’Assemblée constituante sont attribués à la proportionnelle, le chef du parti maoïste, Prachanda, avait menacé de boycotter les élections en novembre. Acceptant finalement de participer aux élections, il avait confié à la BBC que le parti « s’engageait dans une démocratie multipartite et dans une compétition pacifique durant les élections. » L’assemblée élue sera chargée d’écrire la nouvelle constitution, laquelle instituera l’abrogation de la monarchie, votée par le parlement provisoire en 28 décembre dernier.

Outre les troubles de ces derniers jours, le sort des ex-combattants maoïstes actuellement en prison constitue un autre facteur de tensions. Des milliers de guérilléros sont concernés par une réintégration dans la société civile qui n’aura lieu qu’après l’élection de l’Assemblée constituante. Ian Martin, militant des droits de l’homme et représentant des Nations Unis, à la tête de la MINUNEP, a ouvert en janvier un chantier de recensement et de réintégration des ex-combattants dans la police armée. En échange, les maoïstes s’engagent à restituer les terres et les biens saisis pendant la guerre civile. Le premier ministre népalais et chef du gouvernement provisoire, Girija Prasad Koirala s’oppose à cette intégration des maoïstes dans l’armée. Il craint une trop grande politisation ainsi que des révoltes dans les rangs de l’armée du pays.

A la question maoïste s’ajoute la question ethnique, dans un pays où 103 ethnies différentes cohabitent. Et les tensions dans la région du Terai illustrent les problèmes de représentation que provoque la tenue imminente des élections : la communauté Madhesi, qui constitue environ un tiers de la population du Népal, revendique aujourd’hui sa place dans l’arène politique. Sous-représentés au gouvernement et dans la fonction publique, inexistants au sein de l’armée, les Madhesis ne sont pas considérés comme népalais car leur langue et leur culture se rapprochent de celle des régions indiennes voisines. Le « mouvement Madhesi », dont l’une des branches demande l’indépendance de la région du Terai, s’est divisé - au grand dam des partis traditionnels - en plusieurs partis afin d’organiser le vote sur des critères ethniques.

Faire tomber la monarchie est une chose, la construction d’une république démocratique en est une autre. Au Népal, les femmes, les populations pauvres des basses castes et certaines tribus sont parfois empêchés d’aller voter. Bien que les maoïstes aient longtemps milité contre le système de castes et pour l’émancipation des femmes, la société népalaise conserve une structure féodale et traditionnelle. A défaut d’un contexte idéal, on peut espérer que les différents partis politiques respecteront le jeu électoral, le jour du vote. Pour le moment, rien n’est moins sûr.

Naïké Desquesnes


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