Vigilance laïque face aux sectes Interview de Catherine Picard, présidente de l’UNADFI

dimanche 6 avril 2008.
 

Depuis plusieurs mois se sont multipliés au sommet de l’État les déclarations tendant à minimiser le danger des sectes. Dans le même temps, au fil de ses discours, le président de la République a accumulé les atteintes au principe de laïcité et confirmé que le gouvernement travaillait à une refonte des modalités de la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État. Pour faire le point sur ces menaces, À Gauche a interviewé Catherine Picard, militante laïque qui préside l’UNADFI, la principale fédération française d’association d’aide aux victimes des sectes et d’information et prévention contre le phénomène sectaire.

La directrice de cabinet du président de la République comme la ministre de l’intérieur ont récemment mis en cause la MIVILUDES, mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. En tant que dirigeante de l’UNADFI, quel bilan tires-tu de son travail ?

Chargée de la coordination entre les services de l’État sur le sujet sectaire, la MIVILUDES est un élément précieux qui permet aux associations de victimes comme l’UNADFI, d’avoir des correspondants au sein de chaque administration en capacité de porter les dossiers qui leur sont confiés. Elle permet d’analyser le phénomène, d’en suivre les évolutions et de fournir au gouvernement et au Parlement toutes les informations nécessaires pour que soient assurés la protection des personnes, le libre exercice des libertés individuelles et la défense de la dignité des êtres humains, dans le plus strict respect de la liberté de conscience et de pensée de chacun. Aujourd’hui, les grands mouvements sectaires connus, la Scientologie, Moon, Raël..., ont externalisé leurs activités dans le domaine de la santé, de la formation, de l’accompagnement scolaire, créant même des ONG ou des associations de défense des droits de l’homme. Ces microstructures sont plus anonymes, elles n’en représentent pas moins un danger pernicieux.

La ministre de l’intérieur vient de donner aux préfets de nouvelles orientations concernant les sectes. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? N’y a-t-il pas un risque de recul de la vigilance ?

Le dispositif mis en place par le ministre de l’intérieur affiche une volonté répressive visant à des jugements au pénal. Si nous ne pouvons être opposés à une telle volonté politique, il convient de mettre de sérieux bémols. Les lois concernant la prescription pour crimes n’ont jamais été modifiées, malgré des demandes réitérées du Parlement : bien des sortants de secte sont hors délais. Les modifications en cours des lois concernant les délits « financiers » vont réduire encore la capacité à porter plainte dans les délais de prescription qui, eux, sont terriblement raccourcis.

L’essentiel de la jurisprudence « sectaire » se juge ailleurs qu’au pénal. Au civil : mesures d’assistance éducative, garde d’enfants, droit des tutelles. Dans les tribunaux administratifs : code de l’urbanisme (voir Mandarom). Devant la justice prud’homale pour le code du travail et la formation professionnelle. Devant la justice ordinale pour le traitement premier des affaires de santé : pratique illégale de la médecine ou de la pharmacie.

Par ailleurs, l’aspect fiscal n’est pas évoqué et à ce jour, comment revendiquer une volonté de répression, alors que l’État ne veut pas recouvrer les 44 millions d’euros dus par les témoins de Jéhovah, pour détournement de la loi sur les dons et les legs ! Y aurait-il deux discours ? Les associations de victimes ont été écartées de la future organisation, elles sont pourtant à la source des informations et des témoignages. Il semble que l’aspect prévention ne soit plus une priorité de la ministre de l’intérieur.

Députée socialiste de 1997 à 2002, tu as été à l’origine de la loi dite Picard contre les sectes de 2001. Quelles étaient les grandes avancées de cette loi ? Quel bilan tires-tu de son application ?

Ce texte a été l’aboutissement de dix ans de travail de parlementaires convaincus du caractère attentatoire aux libertés et à la dignité humaine des sectes. La loi est une aggravation du code pénal qui met en avant « l’abus frauduleux de l’état de faiblesse » ; « la mise en état de sujétion par des moyens physiques ou psychologiques » ; la dissolution possible de personnes morales condamnées. Les juges commencent à s’emparer du texte pour instruire des dossiers sectaires. Une vingtaine de dossiers ont été étudiés sur le fondement de la loi. Depuis 2004, il y a une première jurisprudence sur un gourou qui poussait ses adeptes au suicide. Néanmoins, les magistrats restent frileux et se retranchent derrière un grand nombre d’excuses pour éviter le « concept de secte ». Les victimes sont peu entendues en ce sens et dépitées par le traitement de leurs dossiers dont beaucoup sont classés sans suite.

Sous l’impulsion de Sarkozy, le gouvernement travaille sur d’éventuels ajustements de la loi de 1905 sur la base du rapport Machelon de 2006. Qu’as-tu retenu des propositions qui y figuraient ? Que risque-t-on à élargir les possibilités d’accès au statut d’association culturelle ?

Le rapport Machelon annonçait le toilettage éventuel de la loi de 1905. Il semble que les titre IV et V seraient concernés. Le lissage des articles concernant l’exercice exclusif du culte permettrait une ouverture possible pour la reconnaissance comme association culturelle de quelques mouvements dont les témoins de Jéhovah, la Scientologie et des groupes intégristes catholiques ou évangéliques. Il va sans dire que les avantages liés à cette reconnaissance ne sont pas négligeables financièrement et en particulier le fait de pouvoir exercer des activités culturelles ou éducatives dans le cadre culturel.

D’après les dérives que vous constatez à l’UNADFI et les victimes qui s’adressent à vous, quels sont aujourd’hui les mouvements sectaires dont l’activité est la plus dangereuse pour les libertés et l’ordre public ?

Ces mouvements sont tous dangereux car ils portent atteinte à la dignité humaine. Près de 80 000 enfants sont embarqués par leurs parents dans des mouvements dont les préceptes ne permettent pas d’en faire de futurs citoyens éclairés. La Scientologie par son organisation transnationale et les témoins de Jéhovah par leur nombre restent en tête de la dangerosité. Financièrement puissants, infiltrés au plus haut des États et des instances européennes, ils n’attendent plus que la reconnaissance « de religion » pour être entièrement légitimés. Ce qui est pratiquement fait pour les T.J. On ne peut mésestimer le rôle important des États-Unis dans ce forcing auprès de l’Europe.

À l’échelle européenne, quelle est ton analyse des évolutions en matière de traitement des sectes ? Assiste-t-on aussi à un recul de la vigilance et de la laïcité ?

L’expression européenne sur les sectes est multiforme. Dans la « vieille Europe », on trouve deux positions : l’une très libérale, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou en Scandinavie, l’autre très proche de notre conception laïque, avec des variantes liées au droit national. C’est au Danemark qu’est le siège européen de la Scientologie avec plus de 6 000 employés. C’est à St-Hill, au Royaume-Uni, que sont formés les cadres intermédiaires de la même organisation. À l’inverse, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie ou l’Espagne ont des positions proches de celles de la France. La Belgique en 1997, la Suisse en 1999 (Genève) ont rendu des rapports parlementaires comparables aux rapports français. La loi About-Picard, retranscrite dans les lois nationales, est inscrite à l’examen du Parlement belge et du Parlement italien. Certains Länder ont constitué des structures permanentes, voire des réglementations sévères, appliquées par exemple aux scientologues en Bavière. En Espagne, ce sont les gouvernements régionaux, en particulier en Catalogne, et les services de la jeunesse qui suivent ce dossier.


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