Les déclarations de Mme Mignon blanchissent les mouvements sectaires en oubliant leurs victimes

vendredi 29 février 2008.
 

On attend de la République qu’elle protège les plus faibles, non qu’elle cède et encore moins qu’elle ouvre les portes aux mouvements sectaires, c’est pourtant ce que le Président de la République et son entourage sont en train de préparer. Danger !

Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du Président de la République, fait la une de l’actualité depuis la parution de VSD. Que dit-elle ? : « En France, les sectes sont un non-problème », précédé d’une phrase tout autant lourde de sens : « la lutte contre les sectes a longtemps permis de dissimuler les vrais sujets ».

Quelques heures après la parution du magazine, la directrice de cabinet du chef de l’Etat dément dans un communiqué avoir tenu de tels propos. « J’ai rappelé la position constante de Nicolas Sarkozy sur ce sujet. Soit ces mouvements et ces groupes troublent l’ordre public et abusent de la faiblesse psychologique des personnes, et dans ce cas ils doivent être poursuivis et sanctionnés. Soit ils ne troublent pas l’ordre public et respectent les personnes, et ils doivent alors pouvoir exister normalement conformément au principe de la liberté de conscience »... Bref la directrice de cabinet sous couvert d’un démenti, confirme en fait ses dires... à la manière de Sarkozy, en faisant semblant de faire machine arrière...

A force de jouer avec les allumettes, on finit par mettre le feu

D’ailleurs elle ne dément pas le reste de ses déclarations notamment celles qui contestent la liste des mouvements sectaires établie par la commission d’enquête parlementaire en affirmant « la liste établie en 1995 est scandaleuse (sic ! ) ». Il s’agit là d’abord d’une ingérence de l’exécutif sur le législatif, mais surtout (il faut l’espérer) d’une méconnaissance totale du dossier. Comme l’explique l’UNADFI (association qui accompagne depuis de nombreuses années les familles d’adeptes et les anciens adeptes, victimes de sectes) : « Une forte action lobbyiste est menée par les groupes sectaires qui s’inscrivent dans une logique de pression antidémocratique pour tenter de faire oublier leur dimension destructrice des individus » (...) « Il semble que le gouvernement, mélangeant secte et religion, sous couvert de spiritualité, soit prêt à succomber à l’intoxication sectaire. (...) « S’arrêter à une approche purement théorique comme celle exprimée par Mme MIGNON dans VSD du 20 février 2008 constitue un déni de la réalité. »

Les prises de position de Mme Mignon ont pour conséquence de blanchir les mouvements sectaires en oubliant leurs victimes. Quel revirement depuis l’affaire de l’Ordre du temple solaire de 1995. A la suite de ce drame une commission d’enquête parlementaire avait établi une liste de 172 organisations accusées de dérives sectaires. Que dit Emmanuelle Mignon lorsqu’elle prétend que cette « liste établie en 1995 est un scandale ! », elle occulte le massacre organisé de la secte du temple solaire (75 morts !) et se permet de remettre en cause les critères qui ont prévalu pour l’établissement de cette liste, les considérant comme « vagues » affirmant ainsi que seraient cataloguer comme secte des mouvements qui n’auraient selon elle rien de sectaire.

La directrice de cabinet s’exprime dans le cadre d’un article sur « l’église de scientologie » et ne fait que « rappeler les positions constantes du Président de la République sur ce sujet »... celui-là même qui avait reçu à dîner l’un des prosélytes les plus connus de la scientologie, Tom Cruise lorsqu’il était ministre des finances. Le même qui avait, dans son livre la République, la religion et l’espérance, expliqué qu’il souhaitait plus « d’ouverture en direction des nouveaux mouvements spirituels »... Comment s’étonner que dans le concert de critique de droite comme de gauche, il se soit trouvé une voix, celle de l’église de la scientologie pour se féliciter des paroles de la directrice de cabinet de Sarkozy.

Evidemment pour modifier la règle il faut décrédibiliser le travail de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes (Milviludes). C’est d’abord l’actuelle ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie qui dans une interview au Parisien, il y a quelques semaines, avait expliqué vouloir « décomplexer la lutte contre des dérives sectaires » et « assurer la liberté de croyance de tous » (encore une fois). C’est ensuite au tour de Emmanuelle Mignon d’expliquer : « le gouvernement veut transformer la Miviludes en quelque chose de plus efficace et en finir avec le bla-bla" et d’ajouter : "À part publier des rapports annuels, la Miviludes ne fait rien", accuse-t-elle. Là encore le communiqué de démenti ne dit mot sur ce point.

Cette mission interministérielle a subi ses premières attaques lorsque Sarkozy était ministre de l’Intérieur. Au-delà du changement de nom (de Mils en Milviludes) le ministre de l’époque avait sorti de cette mission les renseignements généraux qui remplissaient là une mission importante de surveillance de ces mouvements. Cette réforme avait aussi permis d’évincer l’un de ses responsables, Arnaud Palisson qui avait soutenu une thèse de droit pénal portant sur les dérives et infractions de la scientologie. De là à penser que cette mise au placard a été orchestrée par le ministre de l’époque, il y a matière à s’interroger...

Une offensive contre la laïcité

Cette « nouvelle affaire » est l’expression d’une pensée construite. On agite le chiffon rouge de personnes qui seraient empêchées d’exercer « leur liberté de croyance »... mais l’idée maîtresse et récurrente, que ne cesse de défendre Sarkozy c’est de faire croire que notre pays aurait besoin de plus de religieux. Il s’agit pour le Président de la République de faire bouger les lignes. Côté religion c’est l’affirmation de la nécessité de remise en cause de la loi de 1905 pour valider la proposition phare du rapport Machelon d’un financement public pour les religions via l’attribution de subventions aux associations cultuelles. Un « toilettage » qui offrirait des financements publics et des avantages fiscaux... Conséquence côté « secte », puisque certaines « ne troublent pas l’ordre public »... Alors rien ne leur interdira de bénéficier des mêmes avantages financiers et par la même de s’offrir une virginité !

Sarkozy veut donc imposer l’idée que nous manquerions en France de spiritualité. En 2004, il écrivait « La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain. [...] La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni satisfaire toutes les aspirations. »... En 2008, il explique qu’il veut que chaque enfant puisse rencontrer des religieux, son ministre de l’Education nationale prévoit des crédits spéciaux pour permettre aux écoles privées confessionnelles de s’installer dans les banlieues. Et au dîner du CRIF, Sarkozy dit : « jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale chrétienne, ma conviction est qu’elles sont complémentaires. Jamais je n’ai dit que la morale de l’instituteur était inférieure à celle du rabbin, du prêtre, ou de l’imam pour transmettre des valeurs mais ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose. Le premier, je veux dire l’instituteur témoigne d’une morale laïque faite d’honnêteté, de tolérance et de respect. Le second, je veux dire le curé, le rabbin, l’imam témoigne d’une transcendance dont la légitimité est d’autant plus forte qu’elle se décline dans une certaine radicalité de vie »...

Le président de la République inscrit sa pensée dans le cadre de la logique douteuse du « choc des civilisations » et de l’opposition entre « occident à islam » formule employée à plusieurs fois lors de son discours devant les ambassadeurs. La grille de lecture qu’il veut nous imposer est celle des religions qui définiraient les personnes, les sociétés et notre système de relations internationales. Pour cela il veut tourner la page de la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat, alors que cette loi a mis fin à un affrontement séculaire. Sarkozy veut nous faire croire que ce qui pose problème se serait l’absence de spiritualité religieuse du fait de la laïcité qui serait porteuse de trouble, alors qu’on attend justement de lui, comme président de la République qu’il nous préserve de la montée des communautarismes religieux.

Notre modèle de République laïque doit être défendu... Et pour commencer il ne faut pas faire comme si les propos tenus par la directrice de cabinet et son communiqué/démenti (qui n’en est pas un) n’était qu’un épisode de plus dans les frasques de ce gouvernement. Nous sommes au-delà des provocations habituelles... Comme l’a déclaré le Premier secrétaire du PS : « Mme Mignon doit quitter immédiatement ses fonctions à l’Elysée. »

Pascale Le Néouannic - Secrétaire nationale du PS


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