Gandrange : l’acier au péril de la finance et du libéralisme

dimanche 6 avril 2008.
 

1)

Le géant mondial de l’acier Arcelor-Mittal a décidé de passer en force et de supprimer 600 emplois à l’usine de Gandrange en Lorraine. Alors qu’il avait suspendu son plan social jusqu’en avril, Mittal vient de confirmer par courrier aux syndicats son intention de poursuive la liquidation de l’usine. Pourtant le groupe a dégagé près de 8 milliards d’euros de profits en 2007, une hausse de 30%. Un exemple emblématique des aberrations économiques du capitalisme et des impasses industrielles et sociales auxquelles conduit le libéralisme européen dans un secteur stratégique comme l’acier.

Arcelor : un « Airbus de l’acier » mort né

Le géant français de l’acier Usinor-Sacilor avait fait partie des industries nationalisées en 1981, étant en quasi faillite dans les mains d’un patronat familial dépassé à l’époque sur le plan technique. De 1981 à 1995, l’Etat va injecter 60 milliards de francs dans le secteur, autant pour accompagner de nombreux licenciements que pour pérenniser une partie de l’outil industriel grâce à d’énormes efforts de recherches et d’investissements. Alors qu’Usinor s’est redressée, la droite le privatise pour à peine 10 milliards de francs en 1995 pour renflouer le budget de l’Etat. Le groupe étant désormais côté en bourse, il risque d’être racheté et démantelé, tout comme ses homologues belges, luxembourgeois et espagnols qui décident de se regrouper, sous l’impulsion des gouvernements pour former en 2001 un géant européen de l’acier Arcelor. Surnommé « l’Airbus de l’acier », Arcelor devient alors le numéro un mondial du secteur et leader technologique des aciers fins et complexes. Pas pour très longtemps.

La fusion Arcelor-Mittal facilitée par l’Europe libérale

C’est un épisode que Sarkozy aimerait bien faire oublier. En à peine 4 mois entre janvier et juin 2006, le groupe Mittal est parvenu à mener à bien une OPA sur le géant européen Arcelor. A l’époque, après quelques protestations médiatiques du gouvernement Villepin au nom du patriotisme économique, la plus grande fusion jamais réalisée dans l’acier obtient successivement tous les feus verts des autorités. Notamment ceux des autorités boursières qui autorisent l’OPA et ceux de la Commission européenne qui se borne à ne pas voir de risque majeur pour la concurrence. La direction d’Arcelor exprime pourtant les pires craintes industrielles et sociales si elle est avalée par une firme qui a la réputation d’être un vautour de l’acier.

Faute d’harmonisation européenne en matière industrielle, Mittal profite aussi de la division des pays européens concernés par le dossier. Au début du processus, le Luxembourg, où se trouve le siège social d’Arcelor, n’a pas de législation protectrice contre les OPA et pour y remédier le parlement luxembourgeois en examine une dans l’urgence, en menaçant de bloquer ainsi la fusion. Mais Mittal négocie avec le premier ministre luxembourgeois Juncker qui accepte de lever ces restrictions en l’échange du maintien du siège social du nouveau groupe au Luxembourg. Pour cela, le Luxembourg avait gardé une arme décisive : une participation publique (autour de 5%) dans Arcelor, faisant de l’Etat luxembourgeois un actionnaire de référence du groupe, là où la France avait commis l’erreur de vendre ses dernières actions publiques en 1997 sous l’impulsion de Dominique Strauss-Kahn.

L’ultime coup de poignard dans le dos d’Arcelor lui est enfin donné par les autorités boursières - indépendantes - qui condamnent les tentatives d’Arcelor de s’allier avec une firme russe pour faire échouer l’OPA de Mittal. Alors que la direction d’Arcelor a encore la confiance d’une courte majorité de ses actionnaires, les autorités boursières suspendent la cotation du titre Arcelor pour entrave à la liberté des marchés, ce qui précipite le succès de Mittal qui prend ainsi le contrôle de 95% des titres d’Arcelor.

Mittal : un vautour financier de l’acier

Le gouvernement français fait alors mine de croire aux promesses de Mittal qui n’a pas peur d’affirmer à l’époque : « Mittal Steel mesure l’importance que la Lorraine attache à l’industrie sidérurgique. Aucune suppression d’emplois n’aura lieu en Lorraine. Le groupe continuera à investir dans la recherche et le développement. » Informé par la direction d’Arcelor, le gouvernement sait pourtant très bien quel est le modèle économique de Mittal.

Le groupe a bâti tout son développement grâce au rachat d’aciéries en faillite dans les années 1970 et 1980, un investissement à bas coût qui s’est révélé ultra rentable avec l’envolée de la demande mondiale d’acier depuis les années 1990. Mittal s’est ensuite spécialisé dans le rachat à prix soldé des complexes sidérurgiques privatisés dans les pays de l’est. Son management est dominé par des juristes et des financiers plutôt que par les ingénieurs et chimistes. Mittal n’hésite pas d’ailleurs à utiliser des méthodes de choc pour maximiser ses profits. Comme en 2006 où le groupe a fait le forcing auprès du gouvernement mexicain pour qu’il envoie 800 policiers pour stopper la grève d’une usine occupée par 500 salariés, dont un des leaders syndicaux sera tué dans l’opération. Lakshi Mittal lui-même ne se cache pas d’ailleurs de se concentrer sur la recherche du profit à court terme : il reconnaît que son groupe est positionné sur les secteurs à plus bas coûts qu’Arcelor et que « Mittal estplus active sur les marchés de court terme » (interview à l’Express octobre 2007). Il promet d’ailleurs de dégager 1 milliard d’euros d’économies grâce à la fusion et d’accroitre son profit d’au moins 4 milliards de dollars en trois ans, objectif qu’il va dépasser dès 2007 avec plus de 10 milliards de dollars de profits.

2 Mittal confirme son plan de fermeture du site de Gandrange. Mais, pour autant les dés ne sont pas jetés. Il faut contraindre Mittal à céder Gandrange à un repreneur.

La CGT accélère ses démarches

La décision de Mr Mittal concernant le contre-plan industriel du comité d’entreprise réalisé par le cabinet Syndex sera connue officiellement le 4 avril 2008.

Déjà, les différentes réunions qui se sont tenues dans le cadre du calendrier fixé par l’accord de méthode entre la Direction locale et européenne des produits longs d’ArcelorMittal et les représentants des organisations syndicales de Gandrange, au niveau de la commission économique et du comité d’entreprise, indiquaient que Mr Mittal ne reviendrait pas sur sa décision de fermeture de l’aciérie et du train à billettes. La suppression de 600 emplois avec toutes les conséquences pour les sous-traitants et les intérimaires est confirmée.

Cela pose encore avec plus de force l’hypothèse de la recherche d’un repreneur comme la CGT l’a évoquée dans son contre-projet industriel. L’hypothèse d’un nouvel actionnaire pour le site de Gandrange paraît maintenant une solution d’autant plus crédible qu’avec la CGT, les pouvoirs publics, les élus locaux de tout bord politique sont unanimes pour exiger :

Le maintien de l’ensemble des outils industriels sur le site de Gandrange,

La réalisation des investissements nécessaires à leur modernisation,

La conservation d’une production d’un million de tonnes d’acier à Gandrange et le refus de tout transfert de production en Allemagne,

La défense du maintien et du développement de l’industrie en Lorraine.

Ces quatre exigences ont été affirmées lors de la première réunion de _ concertation organisée par le Préfet de Région, Mr Bernard Niquet, le 21 janvier dernier. Elles ont été réaffirmées à la deuxième réunion de concertation avec les pouvoirs publics le mardi 25 mars 2008 à la Préfecture de Région.

Devant cette volonté unanime de voir se pérenniser le site de Gandrange et de maintenir au coeur de la Lorraine une fabrication de produits longs, la CGT a décidé de multiplier les démarches avant le 4 avril 2008.

Elle demandera au président de la République d’oeuvrer auprès des opérateurs industriels et financiers intéressés par une éventuelle reprise de Gandrange pour leur soumettre le dossier industriel et social reposant sur les exigences suivantes qui font l’unanimité des lorrains : “Maintien et développement de l’aciérie, du TAB et du LCB - Maintien des 1 000 emplois sur le site - Maintien d’un million de tonnes de production d’acier à Gandrange et d’une industrie de produits longs en Lorraine et réalisation des investissements nécessaires”.

Maintien et développement de l’emploi La CGT refuse la fermeture du site industriel de Gandrange quelle que soit la situaton. Elle refuse également l’aventure des reclassements à Florange ou au Luxembourg. Cela reste une grande illusion car, aujourd’hui, rien ne garantit qu’après 2012 la filière chaude de Florange sera préservée.

Le problème de l’emploi ne sera donc pas réglé dans la vallée. Les sous-traitants, les intérimaires et les sociétés de service qui travaillent pour Gandrange feront les frais de la décision prise par ArcelorMittal. Mais il faut aussi inclure les intérimaires utilisés sur le site de Florange et au Luxembourg. Ils seront aussi remerciés.

Pour la CGT, il faut maintenir et développer Gandrange et proposer les emplois disponibles d’ArcelorMittal à Florange et au Luxembourg aux jeunes et aux chômeurs de la région qui cherchent un emploi.

La CGT appelle le personnel d’ArcelorMittal à un

La CGT appelle tout le personnel de l’entreprise à arrêter le travail du 3 avril 2008 à partir de 22 heures au 4 avril 2008 à 22 heures et à venir au CE qui se tiendra le 4 avril à 9 heures au Gesim à Metz pour protester contre la décision du plan de fermeture du site industriel de Gandrange

1) Alors qu’ArcelorMittal a annoncé la quasi-fermeture du site de Gandrange, la CFDT demande un moratoire sur cette décision le temps de préparer un projet alternatif

La nouvelle a fait l’objet d’une petite bombe. La direction d’ArcelorMittal, réunie à Luxembourg mercredi 16 janvier, a annoncé l’arrêt d’une grande partie des installations de Gandrange. Quelque 600 emplois sur 1 000 seraient supprimés, sans compter les répercussions chez les nombreux sous-traitants. Située à une quinzaine de kilomètres de Metz, l’usine connaissait des difficultés mais espérait que le leader mondial de la sidérurgie allait enfin se décider à moderniser les installations. Alors que le prix de l’acier atteint des sommets, la décision de fermer l’usine apparaît en effet paradoxale.

« C’est un véritable gâchis, s’emporte Édouard Martin, qui siège au comité de groupe européen pour la CFDT. Si l’usine perd de l’argent aujourd’hui, c’est dû à une mauvaise gestion et à des erreurs stratégiques de la direction locale. Ce serait bien la première fois qu’on fermerait une usine alors que le carnet de commandes est plein. » Selon une expertise que la direction ne conteste pas, le manque d’anticipation de la direction en matière de recrutement a coûté 300 millions d’euros en 2006 et 2007.

Le départ massif des salariés à la retraite n’avait tout simplement pas été préparé. 300 personnes ont dû être recrutées sans que le transfert des compétences entre les anciens et les nouveaux ait pu se faire. Or, aucune école au monde ne formant aux métiers de la métallurgie, de nombreux problèmes sont apparus dans la production. Autre exemple de gâchis, la décision de quitter EDF pour un opérateur privé a coûté 25 M€ en 2006 et 15 M€ en 2007. Enfin, aucun investissement n’a été fait dans l’usine depuis 1999. « L’usine est dans un état catastrophique, souligne Édouard Martin. Il n’y a pas eu d’entretien minimum des installations. » Résultat, alors que Gandrange était à l’équilibre en 2005, l’usine a perdu 13millions d’euros en 2006 et 30 millions d’euros en 2007.

Suspendre la décision.

La section CFDT du site, qui est majoritaire, demande donc à Mittal un moratoire sur sa décision pendant quelques mois, le temps de préparer « un projet industriel et social alternatif ». Épaulés par le cabinet Syndex, les militants sont persuadés que Gandrange peut redevenir rentable si l’on s’en donne les moyens. « Nous avons alerté en vain la direction chaque fois qu’elle prenait une mauvaise décision, renchérit Édouard Martin. Pour une fois, nous lui demandons qu’elle nous fasse confiance. »

Pour la CFDT, il faut que la direction remette en état l’outil de production et qu’elle investisse dans la formation du personnel. « Si nous agissons sur ces deux piliers, nous sommes sûrs que le site redeviendra viable économiquement. »n

Une course contre la montre

Pour convaincre ArcelorMittal de revenir sur sa décision, une course contre la montre est maintenant engagée. Dès l’annonce officielle (qui avait été anticipée par la section), toute la CFDT Lorraine s’est mobilisée pour obtenir une réunion avec la direction d’ArcelorMittal, le préfet, le Conseil général, le Conseil régional et les partenaires sociaux pour « obtenir un moratoire » et « préparer un projet alternatif ». Après deux jours de grève (les 16 et 17 janvier), le travail à repris, mais une grande manifestation est prévue à Luxembourg devant le siège d’ArcelorMittal le 24 janvier. « Si on ferme Gandrange, il n’y aura plus rien dans la vallée, rappelle un militant. En comptant les sous-traitants, ce sont plus de 1 200 emplois qui sont menacés.


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