Qu’enseigne-t-on dans les facs d’économie sur les retraites ? (JM Harribey)

mercredi 12 mars 2008.
 

Plus l’idéologie économique libérale se délégitime sur fond de crise du capitalisme financier, plus la grosse artillerie est mobilisée pour maintenir l’étouffoir sur la pensée, en prévision de la nouvelle attaque sur les retraites que le gouvernement a programmée pour ce printemps. On sait qu’il a l’intention d’augmenter de 40 à 41, puis 42 ans, la durée de cotisation exigée pour obtenir une pension de retraite à taux plein. Donc les idéologues montent au créneau. Plus ils occupent une position importante, à l’Université, dans le monde des affaires ou dans les médias, plus leurs arguments sont censés faire autorité. Pourtant, leurs affirmations sont à l’économie ce que l’astrologie est à l’astronomie : zéro. Trois exemples pris dans l’actualité de ces jours-ci.

Premier exemple. Antoine d’Autume, Professeur à l’Université Paris I, écrit, dans l’article « Retraites » du Dictionnaire d’économie publié en 2007 par Encyclopedia Universalis (excusez du peu), que seuls les régimes de retraite par répartition sont influencés, et donc menacés, par l’évolution démographique qui va accroître le nombre de retraités par rapport au nombre d’actifs, alors que les retraites par capitalisation proposées par les fonds de pension et les compagnies d’assurances échappent à cette contrainte. Il reprend en cela les allégations de la Banque mondiale maintes fois répétées et diffusées dans le monde entier.

Question : à qui les fonds de pension vendront-ils les titres financiers (actions et obligations) achetés auparavant pour le compte de leurs souscripteurs de plans de retraite individuels lorsque ceux-ci arriveront à l’âge de la retraite et qu’ils devront commencer à leur verser la rente promise ? Réponse : aux actifs du moment qui souscriront à leur tour à des plans identiques et qui sont... relativement moins nombreux qu’avant. Une classe d’âge nombreuse vendra à une classe d’âge moins nombreuse et le prix des titres baissera. CQFD. Ceux qui disent le contraire nous trompent ou ne comprennent rien. On ne finance jamais sa propre retraite, elle est toujours payée par les actifs du moment. Et l’évolution de la démographie doit être mise en rapport avec celle de la production, sous peine de contresens ou de non sens.

Deuxième exemple. Jacques Bichot, Professeur à l’Université Lyon III, souhaite, dans un article des Echos (12 février 2008), que « chacun [soit] le libre artisan de sa propre retraite ». Il veut résoudre la quadrature du cercle en croyant lui aussi, ou faisant croire, que la richesse distribuée sous forme de retraites peut être détachée de la production collective. Il prône aussi la « neutralité actuarielle », technique consistant à lier le montant de la pension à la durée moyenne de vie probable, comme si chacun devait récupérer les cotisations qu’il avait personnellement versées. A la place de la retraite solidaire entre les générations, il réintroduit la formule de l’épargne capitalisée.

Question : que produit une épargne en elle-même si aucun travail n’est effectué ? Le Professeur ne répondra pas parce qu’il croit ou fait semblant de croire à la vertu prolifique du capital.

Troisième exemple. Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de haute finance, professeur à l’Université Paris X, écrit, dans un article de Libération (14 février 2007), que l’Etat n’aura bientôt plus assez de patrimoine pour honorer la dette de la collectivité vis-à-vis des retraités à venir.

Question : un revenu distribué est-il un prélèvement sur un stock (patrimoine) ou un flux engendré par l’activité économique courante ? On n’entendra pas la réponse du Directeur-Professeur qui, ou bien s’est mélangé les pieds sur une question qui l’aurait collé à un examen de première année, ou bien pariait sur l’ignorance par les citoyens du fait qu’aucun revenu n’est distribué par prélèvement sur un stock. Car si l’on s’avisait de brader l’argenterie, on ne le ferait qu’une fois !

Après de telles inepties proférées par les plus hautes autorités intellectuelles, sans qu’aucun commentaire critique ne vienne dans les médias démasquer les pitreries ou les tricheries, il ne reste plus aux politiques qu’à conclure qu’il faut reculer l’âge de la retraite, au-delà de 60 ans. Ainsi, Monsieur Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale (La Tribune, 14 février 2008) fait-il écho au lamento de Madame Laurence Parisot, Présidente du Medef, qui réclame (La Tribune, 8 février 2008) la même chose depuis des siècles. Pardon, si ce n’est-elle, c’était son arrière-grand-père sociologique qui, au sein du Comité des forges, au XIXe siècle, fustigeait déjà la réduction du temps de travail.

Les bougres, ils ont compris : seul le travail produit de la valeur à distribuer, surtout aux actionnaires. Il faut donc faire travailler plus. Ah, mais, j’y pense. Puisque les fonds de pension ne produisent rien et que le capital est stérile, alors, les retraites par capitalisation, c’est du vent ou bien du vol...


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