La jeunesse et l’armée avant 1914 : le conseil de révision

lundi 29 mai 2023.
 

Jusqu’en 1965, les jeunes hommes se présentaient chaque année, par classe d’âge devant le conseil de révision de leur canton qui déterminait leur aptitude au service militaire. Autour de 1900, ce "Conseil comprenait le préfet (ou son représentant), un conseiller général, un conseiller d’arrondissement, un officier supérieur, un médecin militaire, un intendant militaire, le commandant du bureau de recrutement. Les maires des communes sont présents et peuvent faire des observations.

Jusqu’en 1905, les conscrits "bons pour le service" tiraient également au sort leur affectation. Certains en prenaient pour cinq ans de régiment, d’autres pouvaient rentrer chez eux.

Le texte ci-dessous (seulement des extraits vu sa longueur et certaines digressions trop locales) a été rédigé par Fernand Momméja, journaliste au Temps, proche de Clémenceau qui le décora comme chevalier de la Légion d’honneur. Il raconte une journée de conseil de révision pour le canton d’Entraygues (communes de Golinhac, Espeyrac, Enguialès, Saint-Hippolyte Pons) au Nord de l’Aveyron.

Cet article de journal est intéressant car :

- il témoigne d’un jour de conseil de révision en milieu rural

- il narre l’importance du service militaire et des guerres dans l’inconscient collectif de l’époque

- il signale l’importance de la contestation pacifiste au tournant du siècle, contrairement aux affirmations de plusieurs historiens.

Aujourd’hui on tire au sort à Entraygues. La preuve, c’est que tout à l’heure, une bande a débouché au tournant de Condat en chantant :

Les Maires et les Préfets,

Sont tous des mauvais sujets,

Les Maires et les Préfets,

Sont tous des mauvais sujets.

Ils nous font tirer au sort, tirer au sort, tirer au sort,

Ils nous font tirer au sort

Pour nous conduire à la mort !

Le départ du conscrit (chanson antimilitariste)

... Soudain, des gamins crient :

- Voilà Enguialès ! Voilà Pons et saint Hippolyte !

On les entend, d’ailleurs, les bougres :

Chers parents, dans la douleur,

Vous consolerez ma soeur,

Vous lui direz que votre enfant

Est parti au régiment.

Et aïe donc, les hi, hi, hi, hi, hou, hou, hou, hou !

... Toutes les compagnies se groupent. Un cortège se forme, et tandis que les maires vont à l’Hôtel de Ville tirer au sort l’ordre dans lequel les communes défileront devant l’urne, on va faire le premier tour de ville.

IL n’y a pas encore de vent dans les voiles ; chacun marche d’un pas bien assuré, la tête haute ; les porte-drapeaux en ligne déployée, tiennent droit les étendards ; les clairons sonnent justes, les baguettes semblent magiques :

Adieu, pays qui m’a vu naître,

Entraygues, brillant séjour

Dix heures ! Tirage au sort.

Brouhaha dans la cour du Collège... Les conscrits descendent. En voilà un qui pleure : c’est le numéro 1. Il ira dans la marine ! D’autres ont un air moitié figue, moitié raisin... numéros moyens, "ils en ont attrapé pour cinq ans". D’autres, enfin, rient et esquissent des ailes de pigeon ; ce sont les gros numéros qui, retenus dans la réserve, ne partiront pas. Ceux-là, sans fausse honte, chantent :

Fillettes, consolez-vous ;

Tous les crevés seront pour vous !

A midi, banquet chez le Zouave, par exemple, ou chez Touniquou. Canard aux olives, rôti de veau, haricots au vin, salade. Au dessert, on constate évidemment quelques capitulations. Qu’est-ce que vous voulez ! Trop, c’est trop !

Mais bah ! Un tour de promenade sur la Bérisse et il n’y paraît plus. En avant derrière le bayard enrubanné sur lequel repose la fouace traditionnelle dont on va offrir la fève au maire, au curé, à tous les légumes ! Et puis, c’est la tournée des cafés et des auberges, jusqu’à la nuit.

S’en van al celièr,

Las filhas d’En Caninas,

S’en van al Celièr

Brandir lo perseguièr.

Traduction française :

Elles s’en vont à la cave,

Les filles d’En Canines (hameau pauvre de la Commune de Montézic)

Elles s’en vont à la cave,

Secouer le pêcher (synonyme du sexe féminin)

Ou bien :

T’ai cercada boisson per boisson

E pièi t’ai trobada

Traduction française :

Je t’ai cherchée buisson par buisson,

Et puis je t’ai trouvée.

Ou bien encore :

Qual t’a fach aquo, pichona,

Qual t’a fach aquo...

***

Les jours s’écoulent. Au mois de mai, ce fut le conseil de révision ; les conscrits sont allés exhiber leur anatomie devant les médecins majors sous l’oeil autoritaire des gendarmes. A cette occasion encore, on a tari des barriques à la santé de ceux qui ont été déclarés "bons pour le service".

Maintenant, le visage des futurs partants devient chaque jour plus morose. Le soir, à la lueur des "calels" fumants, je les vois se pencher attentivement vers les vieux qui ont fait "leur temps" et qui les initient à la vie des casernes et des camps.

Ah ! On les écoute, et parfois avec appréhension, car ils ne tarissent pas sur les brimades infligées aux bleus, sur les misères endurées en campagne.

Voici le tanneur Momméja et Jandrou de Coustaou attablés chez l’aubergiste Rigal. A une demi-douzaine de conscrits formés en cercle, le premier raconte à sa manière la bataille de Solférino...

Voici Andrieu et le savetier carillonneur infirmier Souquet, ancien dragon de l’Empire, narrant les combats de Woerth et de Froeschwiller.

2 septembre 1870 Napoléon 3 et son armée capitulent à Sedan B3) 6 août : Bataille de Frœschwiller-Wœrth

Tous déballent leur provision de souvenirs. C’est le suisse Malvezin qui pale de la campagne du Mexique ; c’est Nayrolles de Rapotout qui parle de la campagne de Crimée ; c’est l’officier de santé Mazier, qui parle des mobiles de 1870 1871...

Puis, un matin d’automne, les gendarmes déposent les feuilles de route sous les portes.


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