Droite (Saint Augustin) contre Gauche (Pélage) ?

samedi 3 février 2024.
 

Je viens de lire dans des bulletins diocésains de l’Eglise un article officiel et doctrinal ayant pour titre "Droite Gauche Un débat religieux ?", "d’après l’encyclique catholique Théo page 941".

Ce texte repose sur l’affirmation suivante : "Le clivage droite - gauche qui caractérise la pensée occidentale est un débat religieux dont l’origine peut être datée du 4ème siècle et personnifié par l’opposition entre Pélage et Saint Augustin."

Il est vrai que Pélage professait des opinions assez progressistes pour le christianisme des 4ème et 5ème siècles ; je l’avais signalé parmi les antécédents humanistes du socialisme. Cependant, "dater" l’origine du clivage droite - gauche de cette époque et le définir comme un "débat religieux" n’est guère raisonnable.

Le socialisme a des racines profondes et diverses, de l’Antiquité à la Renaissance

Il est vrai que Saint Augustin avait une conception autoritaire et même totalitaire tant du pouvoir politique que de l’Eglise catholique. En conséquence, en faire un antécédent lointain de la droite ne me paraît pas imbécile.

Par contre, il est étonnant de lire aujourd’hui dans un texte porteur de la voix de l’Eglise catholique la caractérisation des idées de gauche comme faisant partie d’une tradition qu’elle considère hérétique depuis 16 siècles.

1) Pélage, un homme effectivement progressiste dans le contexte catholique du 4ème siècle

Nous disposons d’un nombre restreint d’informations concernant Pélage. Probablement né en Bretagne vers 370, ses biographes le présentent comme un moine ; or, il n’appartenait pas à un monastère et n’avait pas été reçu dans les ordres. Ses adversaires reconnaissent ses qualités humaines ; Saint Augustin admet qu’il était considéré comme un saint homme ; Saint Paulin de Nole le décrit comme un vrai serviteur de Dieu.

Pélage se rend à Rome durant quelques années, professe ses opinions et écrit trois ouvrages sur la Trinité, les Saintes Ecritures et les Epîtres de Saint Paul. Son enseignement obtient un écho important ; parmi ses proches et disciples, notons Célestius, Julien d’Eclane, Rufin le syrien... Bien après sa condamnation et sa répression par l’Eglise, les idées pélagiennes conservent une force évidente en Asie ainsi que dans le Sud de la Gaule.

Quel est le coeur de sa doctrine ? l’homme peut faire le bien, être vertueux, mériter le paradis sans prédestination divine. La grâce divine ne relève pas d’un don de Dieu à tel ou tel individu mais de dons dont tous les hommes disposent par nature, particulièrement les capacités de libre arbitre, de conscience et de raison. Les groupes humains peuvent progresser vers un mieux commun...

Pour lui, il serait injuste de faire porter le péché originel d’Adam sur tous les humains ; heureusement, ce péché n’existe pas « Si l’homme a le devoir d’éviter le péché, c’est qu’il le peut ; il serait injuste et absurde de lui attribuer à crime ce qu’il ne dépend pas de lui d’éviter. S’il ne le peut pas, il n’a aucune obligation. Si le péché d’Adam doit retomber sur ceux qui ne pèchent pas, la justice de Jésus-Christ doit suffire également à ceux qui ne croient pas ; c’est-à-dire si nous participons au mal sans notre faute, nous devons aussi pouvoir participer au bien sans notre mérite. »

Célestius précisera qu’il serait injurieux vis à vis de Dieu de penser qu’il crée le nouveau-né méchant par nature (du fait du péché originel) même avant d’avoir commis aucun mal.

2) Présentation de Pélage dans les bulletins paroissiaux

Pour l’article « Droite Gauche Un débat religieux », « La pensée de Pélage peut être considérée comme le fondement de la pensée de gauche » :

- « L’essentiel des thèses de Pélage repose sur un optimisme radical à l’égard de la nature humaine : pour lui, le péché originel n’existe pas ou, en tout cas, n’a pas de conséquence. »

- « L’homme peut assurer par lui-même son propre salut. Pour aller à Dieu, il n’a pas besoin de la grâce, ou plutôt cette force est, en lui, une propriété inhérente à sa nature. Pour assurer son salut, il lui suffit de le vouloir et de suivre sa raison. »

- « Le progrès est une affaire de volonté. L’homme peut changer de vie. Pélage dénonce la propriété qui entrave la liberté, justifie la sensualité, prône l’égalité des hommes et des femmes, affirme que l’homme doit maîtriser la nature. »

Après ce résumé assez juste, le lecteur de gauche ne s’attend pas à la suite de l’article : la pensée de Pélage mènerait à la dictature de 1793 en France comme de 1917 en Russie.

3) Les idées de Pélage mèneraient à la dictature

« Cet optimisme radical a inspiré un courant de pensée qui nourrit encore la vie sociale et politique occidentale. » Or, cette pensée peut « conduire à la dictature » :

- « L’homme étant bon, il n’a pas besoin d’autorité ni de structure pyramidale pour le gouverner »

- « Pour arriver à cet état idéal, il faut chasser les mauvais occupants de l’autorité et les remplacer par des représentants de l’ordre futur : ceux qui organisent à ce moment-là la cité le font au nom de la raison et représentent "naturellement" la totalité des hommes puisque la raison est universelle. »

- « La confiance absolue dans la volonté et la raison pour conduire l’humanité au bonheur amène à penser que les dirigeants d’une société qui n’arrivent pas à donner le bonheur à tous sont soit des criminels soit des fous : de là, la justification de beaucoup de crimes, des goulags et l’impossibilité de pardonner. »

4) L’Eglise catholique a toujours condamné Pélage à la suite de Saint Augustin ( Père de l’Eglise et porteur de sa Tradition)

L’apologie de Saint Augustin (posé comme théoricien de la droite et de l’Eglise catholique) contre Pélage, contre les Pélagiens du 4ème siècle et contre la "gauche" rappelle l’époque où dans plusieurs pays européens l’Eglise catholique se définissait comme totalitaire :

- « L’Eglise a toujours fermement condamné la pensée pélagienne. Elle l’a fait à la suite de Saint Augustin » pour qui « Ni la raison, ni la volonté n’ont force, par elles-mêmes, d’accéder au niveau de la foi et de s’y maintenir. Le progrès, c’est la grâce. »

28 août 430 Mort de Saint Augustin Père des théologiens et des fascistes cléricaux

- « La vérité vient du Dieu transcendant, non de l’homme et l’homme peut toujours retomber dans son péché. Le rôle de l’autorité est de l’aider à se protéger contre lui-même. »

- « L’augustinisme a, lui aussi, justifié des dictatures mais il a souvent été capable de plus de pardon que le pélagianisme, puisqu’il a toujours reconnu que le meilleur des hommes pouvait être sous l’emprise d’un péché qu’il ne dominait pas. »

5) Remarques

* De nombreux auteurs rapprochent à juste titre les idées pélagiennes de celles des humanistes de la Renaissance, des Lumières du 18ème et des rationalistes du 19ème. Cela me paraît judicieux. Tel est le cas par exemple de Karine Safa dans son ouvrage sur L’Humanisme de Pic de la Mirandole ; pour Pélage « la grâce divine se confondait avec les propriétés de la nature humaine que sont la raison et le libre arbitre en vertu du principe de l’équité divine... Ainsi exaltée, la responsabilité humaine rend presque inutile la médiation du Christ. » « Le pélagianisme marche toujours sur les talons du rationalisme » (Edmond Scherer).

* Je ne peux accepter le lien établi par l’auteur du texte « Droite gauche Un débat religieux » entre pélagianisme et dictature. Pélage comme ses partisans ont subi dès les 4ème et 5ème siècles une répression dictatoriale. Les courants humanistes qui ont succédé au pélagianisme ont également subi une répression dictatoriale au nom du dogme augustinien reposant sur l’idée que l’homme n’est que poussière et redeviendra poussière ; seul Dieu peut le sortir du péché originel. En matière de totalitarisme Saint Augustin me paraît bien plus concerné "pour redresser un bâton, il faut l’approcher du feu"... "Ne te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments infligés... aux sacrilèges... aux adversaires de la vérité"... "hérétiques pélagiens et donatistes" "qui ne possèdent pas la vérité".

* Instituer Pélage comme antécédent lointain, oui, comme fondateur de la gauche ce n’est pas sérieux. L’origine factuelle du clivage droite gauche date d’août 1789 et des débats durant lesquels la droite défend l’absolutisme royal (droit de veto absolu) et refuse les droits de l’homme et du citoyen.

28 août 1789 Naissance du clivage droite gauche

* L’auteur du texte conclut en se situant dans la filiation d’un pessimisme augustinien modéré, comme la règle monastique bénédictine. Sans nier des aspects intéressants de celle-ci pour l’époque, notons que la doctrine de Saint Benoît repose fondamentalement sur l’affirmation « On ne préférera rien à l’Œuvre de Dieu », d’où ses huit offices et prières par jour. En prônant l’égalité hommes femmes, en considérant possible un progrès par les humains eux-mêmes et en justifiant la sensualité, Pélage était bien plus sensible aux différents aspects de l’émancipation humaine.

Jacques Serieys


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