Un après-midi à Versailles ce 4 février 2008

mercredi 6 février 2008.
 

Un récit de la réunion du Congrès de Versailles vu depuis la tribune du public.

15h15, je m’installe dans les tribunes réservées au public. Celles-ci sont vides. Peut-être parce que je suis en avance (le Congrès commence à 16h). Dans d’autres tribunes qui se trouvent juste en-dessous de moi, seul le premier rang est occupé. Une douzaine de personnes tout au plus. J’aperçois du papier à en-tête de la Fondation Robert Schuman.

A cette heure, l’hémicycle aussi est presque vide.

A ma droite se tient la tribune du Congrès. Vue d’en bas, elle doit paraître vertigineuse avec ses trois niveaux : l’étage de l’orateur, celui du président, qui occupe la plate forme la plus élevée, ainsi qu’une sorte d’entresol pour les membres du bureau. On y distingue, soigneusement disposés à chaque place, des feuilles de papier jaune qui indiquent sans doute l’ordre du jour du Congrès, une grande cloche dont je suppose qu’elle sert à maintenir l’ordre en cas de tumulte excessif, un petit porte document posé sur une table derrière le fauteuil présidentiel dont j’ignore la fonction.

Au pied de la tribune, une rangée d’huissiers en uniforme, collier de métal autour du cou, attend les parlementaires.

Ceux-ci ne sont que deux ou trois pour l’instant. Je reconnais le sénateur socialiste Jean-Pierre Demerliat. Il est assis à l’extrême-gauche de l’Assemblée. J’en déduis que lorsqu’ils sont réunis en Congrès, les parlementaires sont rangés par ordre alphabétique et non pas par groupe comme dans leurs assemblées respectives. Robert Bret fait son apparition dans la salle. C’est un sénateur communiste des Bouches-du-Rhône. J’étais avec lui la veille encore, pour le dernier meeting de campagne du CNR à Aubagne, auquel participait également Sylvie Andrieux, député socialiste du même département. Il y a moins d’une heure, alors que nous apportions les pétitions du CNR au Congrès, Robert et Sylvie sont venus nous saluer ensemble depuis l’esplanade du Château de Versailles, de l’autre côté du cordon de CRS. Tous deux voteront « non » et bien qu’ils ne soient pas du même parti, cela crée forcément des liens.

La salle du Congrès est très grande. Il faut y loger 908 parlementaires. Mais elle est sans doute moins impressionnante que l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, où l’orateur est bien plus proche des bancs des députés et dont l’acoustique sonore favorise les interruptions de toutes sortes. Dans ce long rectangle, la tribune est placée à bonne distance des cris éventuels. J’ai du mal à trouver ce lieu joli. Une porte s’ouvre derrière moi, un petit groupe passe la tête et commente. « C’est beau, c’est la France, quoi ! ». La France vue de Versailles peut-être. En cherchant bien, je suis sûr qu’on retrouverait peints sur les murs les symboles de la monarchie dont cette salle occupe le palais.

Il y a maintenant une douzaine de parlementaires installés à leurs places. Serge Janquin, député socialiste du Pas-de-Calais et premier secrétaire de cette fédération, dont je sais qu’il va voter « non » depuis qu’il a signé notre appel, est installé à l’extrême-droite de la salle. Cette fois c’est sûr, ils sont bien classés par ordre alphabétique. La plupart des élus présents téléphonent. Que peuvent-ils avoir en tête dans un moment comme celui-ci ? Ont-ils tous pris leur décision ? Vu de loin, ils forment la masse indistincte des « élus qui nous représentent ». Vu de cette tribune, ce sont des individus au milieu d’un hémicycle vide, écrasés par la tribune géante et sa cloche de métal jaune. Il faut sans doute être fait aussi d’un certain métal pour agir dans ce lieu sous le seul empire de sa conscience.

Je sais que beaucoup de parlementaires de gauche ne veulent pas voter « non ». Tous ensemble, ils mettraient pourtant Sarkozy en échec. Il leur suffit d’un geste : prendre le bon bulletin de vote. Est-ce si difficile ? Visiblement ça l’est. Pourquoi ? Je réfléchis à ce mystère. Des images me reviennent d’une petite pièce de théâtre de rue monté par le commando culturel de PRS. Nicolas Sarkozy y est représenté sous les traits d’un dompteur qui dresse les récalcitrants par la seule force de ses cris, des moulinets de ses bras, de son costume brillant grand ouvert sur sa poitrine. Le pouvoir tient dans son apparence et dans le consentement de ceux qui pourraient pourtant ne faire qu’une bouchée de leurs maitres. Tout à l’heure Nicolas Sarkozy sera majoritaire, mais là aussi ce n’est qu’une apparence car il n’aura pas en réalité la majorité qualifiée des 3/5e des parlementaires nécessaires à la révision de la Constitution. La tribune himalayenne, la grosse cloche, la solitude de chacun assis alphabétiquement sur son banc à côté d’un voisin qu’il n’a pas choisi, jouent ici le rôle du costume et du fouet du dompteur. Décidément je n’aime pas ces spectacles de dressage. Je préfère la corrida, où l’animal se soumet au moins au terme d’un combat.

Les parlementaires arrivent lentement. Seul un d’entre eux, crane dégarni et barbe en collier serre la main des huissiers. On dirait Robert Hue ? Il se tourne ; non ce n’est pas lui, je ne le connais pas. Un léger brouhaha commence à se faire entendre. Avec ces fauteuils de velours rouge et cette rangée d’huissiers indiquant à chaque nouvel arrivant l’emplacement de son siège réservé sur un plan de salle, on se croirait dans une salle de théâtre ou au début d’un concert.

Alain Clayes, député socialiste de Poitiers, entre dans l’hémicycle. Il en ressort aussitôt. Puis il revient quelques minutes plus tard par la deuxième porte, comme un baigneur qui attend que l’eau soit moins froide. Alain Clayes est un proche de Laurent Fabius. Je sais qu’il a beaucoup hésité sur son vote. Mais mes camarades de la Vienne m’ont dit qu’il avait finalement décidé de dire « non » à la révision constitutionnelle. Je me demande ce que feront ces députés fabiusiens qui n’ont pas encore pris position, qui n’ont pas signé l’appel du CNR, dont je sais que certains s’interrogeaient sur le bien fondé de l’engagement de Fabius pour le « non » en 2005. Alain Vidalies, député PS des Landes, qui est lui l’un des premiers signataires de l’appel du CNR, entre à son tour. Il serre aussi la main de quelques huissiers. La barbe rendrait-elle plus sociable ?

Dans la travée opposée à ma tribune, deux parlementaires que je devine de droite posent tour à tour pour une photographie. Ils se tiennent debout à leur place, tournant le dos à la tribune en arrière plan, fixant fièrement l’appareil que tient une de leurs collègues. Leur pose m’évoque ces images de riches chasseurs posant le pied sur une quelconque proie une fois bien assurés qu’elle a cessé de bouger pour toujours.

15h50 : la sonnerie retentit. Une cohue se forme rapidement aux portes. Le bruit enfle comme dans une récréation qui touche à sa fin. Je vois mon ami Marc Dolez, député socialiste du Nord, qui a accueilli toutes nos réunions du CNR à l’Assemblée nationale. Il a mis sa cravate rouge. Une autre tâche rouge surgit, c’est Kouchner et son éternel bronzage. Je me renfrogne en me souvenant un instant qu’un quart des membres de ce gouvernement sont issus des rangs socialistes. Puis je me console en me disant qu’au moins nous n’aurons pas à subir Sarkozy. Le Parlement est encore, tant que la Constitution n’aura pas été changée sur ce point, le dernier endroit de France où l’on est sûr de ne pas voir parader le président de la République.

16h : un huissier annonce : « Monsieur le président ». Tout le monde se lève. Cette fois la récréation est vraiment finie. Le brouhaha diminue en murmure. Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, prend place au sommet de la tribune qui paraît soudain bien grande pour lui. Je n’ai toujours pas vu Jean-Marc Ayrault. Peut-être qu’il est revenu à son idée de boycott ? Ni Jean-Luc Mélenchon, dont j’apprendrai plus tard qu’il vient de remettre avec une délégation de parlementaires les signatures recueillies par le CNR au président du Congrès. Les retardataires continuent d’arriver.

Parmi eux, Delphine Batho, députée PS des Deux-Sèvres, qui arrive avec une petite sacoche d’ordinateur portable. Dans cette enceinte majoritairement masculine et âgée, elle ressemble à une étudiante. J’ai connu Delphine quand elle a commencé à militer au syndicat lycéen FIDL, quelques années après avoir participé à sa fondation et en avoir été président. Je me rappelle mes années de militantisme dans mon lycée. J’y fus plusieurs fois élu comme représentant des lycéens au Conseil d’administration. Mais il était si difficile de se faire entendre ! J’y ai souvent réfléchi depuis. Le lycée est un petit monde. On n’y compte pas plus de membres qu’il n’y en a dans ce Congrès de Versailles. Dès lors, toute opposition risque de prendre une tournure personnelle. Combien de proviseurs résistent à la tentation de rappeler aux représentants élus des élèves qu’ils ne sont après tout que des lycéens avec le bac à la fin de l’année... Dans mon cas, c’est la participation à une organisation, même embryonnaire, qui m’a aidé à tenir tête à un proviseur qui espérait terminer sa longue carrière sans vague et qui s’était trouvé pris avec effroi dans le monôme lycéen de 1986. Une organisation donne la force de l’autonomie. Elle rationnalise le conflit et le désaccord. C’est ce qui manque souvent aux élus lycéens. Les professeurs n’ont pas ce problème. Ils parlent au proviseur en tant que représentants mandatés du syndicat. Dans l’enceinte parlementaire, je pense que c’est la même chose. On ne peut pas tenir bon durablement face à la pression de la majorité sans la force d’un collectif humain, d’un parti, qui donne l’assurance nécessaire pour se lever et faire entendre une voix autonome au milieu de toutes les autres.

J’aperçois enfin Jean-Luc Mélenchon. Comment ai-je pu ne pas le repérer ? Il est le seul à porter un manteau en cuir. Je m’amuse en pensant à ces meetings du « non » où il était au contraire le seul à porter un costume sombre et une cravate, ou encore à cette délégation d’observateurs des élections au Venezuela où il était à nouveau le seul à ne pas arborer le tee-shirt officiel du comité électoral.

Ma tribune est toujours à moitié vide : ce sont pour l’essentiel des personnels de l’Assemblée qui se sont installés ici. On a rarement vu un événement présenté comme historique mobiliser aussi peu les foules.

16h05 : Accoyer déclare la séance ouverte. Des parlementaires sans doute pressés de rentrer chez eux poussent un « ah » de satisfaction. Le président du Congrès salue les deux députés nouvellement élus, un PS et un UMP. Il indique le déroulement de la séance : un discours de Fillon puis cinq minutes d’explication de vote par groupe politique. En deux heures, l’affaire sera pliée. Ne restera plus qu’à ratifier dans deux jours à l’Assemblée nationale, en pleine nuit, puis au Sénat dans la journée puisque là-bas les journalistes n’y sont pas même en plein jour.

Les orateurs se succèdent alors. Je prends peu de notes car je sais que leurs interventions intégrales seront accessibles sur Internet. Le niveau des arguments est extraordinairement faible. Quel contraste avec la qualité du débat public en 2005 ! Le même « raisonnement » revient en boucle dans toutes les bouches. Premièrement, le monde est face à de nombreux défis (suit alors une énumération dont ressortent invariablement la crise écologique et la menace terroriste, complété à droite par le choc des civilisations et la menace migratoire, à gauche par l’insécurité sociale). Deuxièmement, face à ces défis, nous avons besoin d’Europe. Troisièmement, ce traité permet de désembourber l’Europe. En quoi, pourquoi, pour quelle Europe ? On ne le saura pas. C’est la méthode Coué.

Au milieu de ce filet d’eau tiède rompu par les seules interventions des communistes Nicole Borvo et Alain Bocquet, quelques paroles me frappent. Jean-Pierre Bel, président du groupe PS au Sénat, efforçant de se persuader qu’« au-delà des traités, une autre Europe est possible ». Le président du groupe UMP au Sénat proposant qu’à l’avenir le Conseil constitutionnel soit chargé de vérifier la conformité des lois françaises vis-à-vis des traités européens, confirmant ainsi leur valeur constitutionnelle... Le président des centristes du Sénat parlant des « difficultés que l’on sait » pour évoquer le rejet du projet de Constitution européenne en 2005 comme l’on parlait autrefois des « événements d’Algérie ». Le même se réjouissant de la « reprise en main par les gouvernements », qui devra continuer « en dépit des fluctuations de l’opinion ». La revanche sur le 29 mai 2005 n’est même pas dissimulée. L’UMP Copé explique d’ailleurs que le vote des Français n’a guère de sens car il aurait été faussé par le contexte national. Seul le représentant du Nouveau Centre tente un effet : pour s’opposer à la revendication du référendum, il s’exclame « nous sommes les élus du peuple ! ». Personne n’applaudit. Lorsqu’Alain Bocquet dénonce la forfaiture qui se prépare, à peine quelques grognements. En revanche, lorsque Pierre Moscovici explique que l’étape de la révision est purement technique, il suscite les rires. Tous savent que c’est un vote politique. Tous savent que son objet est bien de contredire la volonté du peuple.

Que va donner le scrutin ? L’essentiel se joue à gauche. Dans son explication de vote, Moscovici est obligé de dire qu’il exprime seulement le point de vue de la « majorité des membres du groupe ». Du jamais-vu. Baylet pour les radicaux de gauche rappelle son attachement à la laïcité et regrette que Sarkozy évoque sans cesse les racines chrétiennes de l’Europe. Ignore-t-il que le traité qu’il soutient se réfère justement à ces « racines » et institutionnalise le dialogue entre l’Union et les Eglises ?

17h15 : le vote est ouvert.

17h15 : nous serons bientôt fixés. La séance est levée et les parlementaires invités à se rendre dans les huit bureaux de vote installés à l’extérieur de la salle. Le scrutin doit durer 30 minutes et la séance est convoquée pour 17h45.

Elle reprendra finalement à 17h59. Les résultats sont proclamés. Votants, 893. Exprimés, 741. Majorité requise, 445. Pour, 560. Contre, 181. Le projet de révision constitutionnelle est adopté. La séance est levée. Il est 18h pile.

Je relis mes notes. 181 voix « contre », cela me paraît un chiffre très élevé. Dans les derniers jours, beaucoup de parlementaires socialistes ont dû pencher du côté du « non ». Du coup je fais un rapide calcul. Il y a 152 abstentions et 181 contre. Le contre est donc majoritaire à gauche. Quel résultat ! Après avoir été minoritaire dans l’électorat de gauche, la ligne de François Hollande est dorénavant minoritaire parmi les parlementaires de gauche eux-mêmes.

Laurent Maffeïs, l’assistant parlementaire de Jean-Luc Mélenchon est en train de faire le décompte de son côté à partir des informations publiées sur le site de l’Assemblée. Il me l’adresse sans tarder. Si tous les parlementaires de gauche avait vote « non », la révision aurait été repoussée de 12 voix. Exactement comme nous l’annoncions. Sarkozy ne l’a pas emporté en raison de sa force mais à cause de la faiblesse d’une partie de la gauche. Certains tireront leur chapeau au dompteur pour ce spectacle. Moi je repars avec dégoût.


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