Jaurès et l’affaire Dreyfus (14 janvier 1898) : un socialisme porteur d’une morale, d’une éthique du droit, et des droits de l’homme comme principe

mardi 16 janvier 2024.
 

En 1894, l’officier français Alfred Dreyfus, est condamné par un Conseil de guerre pour espionnage au profit de l’Allemagne. Il sera dégradé, déporté, enchaîné, frappé par la foule cléricalo-raciste, sali par les journaux, humilié au bagne Saint Martin puis mis aux fers dans l’île du Diable en face de Cayenne. Face à l’antisémitisme, à la hiérarchie militaire et l’Eglise, à la droite et l’extrême droite, il faudra douze ans de combat des forces progressistes pour qu’il soit enfin réhabilité en 1906. Pourtant, l’armée dispose très tôt des preuves de son innocence.

Au moment du pire isolement des dreyfusards (partisans de Dreyfus), après l’acquittement du vrai coupable le 11 janvier 1898, Jean Jaurès combat avec acharnement pour la vérité et la justice. Face à son texte ci-dessous, que valent aujourd’hui les mensonges haineux des généraux, évêques, journalistes stipendiés : le mépris des honnêtes gens.

L’Affaire Dreyfus éclate publiquement au cours du procès d’Emile Zola (7 au 22 février 1898)

" De l’examen attentif des faits, des documents, des témoignages, il résulte :

- que Dreyfus a été condamné illégalement, en violation des garanties essentielles dues à l’accusé... La loi veut, l’équité et le bon sens veulent que l’accusé connaisse les charges qui pèsent sur lui, les pièces sur lesquelles il est jugé... Ce n’est pas là un détail de procédure : c’est la garantie fondamentale du droit... Or, dreyfus n’a pas connu les pièces qui, au dernier moment, ont emporté contre lui, la conviction des juges.

- que Dreyfus a été condamné par erreur. C’est un innocent qui souffre au loin... C’est pour prolonger le supplice d’un innocent que sont coalisées aujourd’hui toutes les puissances de réaction et de mensonge.

" Il faudra bien qu’un jour, sous la poussée de la conscience publique, les gouvernants demandent aux juges du Conseil de guerre : "Oui ou non, cet homme a-t-il été jugé sur des pièces ignorées de lui ? " La réponse n’est pas douteuse.

" Ce jour-là, nous aurons le droit de nous dresser, nous socialistes, contre tous les dirigeants qui depuis des années nous combattent au nom des principes de la Révolution française : " Qu’avez-vous fait, leur crierons-nous, de la déclaration des droits de l’homme et de la liberté individuelle ? Vous en avez fait mépris ; vous avez livré tout cela à l’insolence du pouvoir militaire. Vous êtes les rénégats de la révolution bourgeoise".

" J’entends le sophisme de nos ennemis : "Quoi ! ... des révolutionnaires qui se préoccupent de la légalité !"

" Je n’ai qu’un mot à répondre. Il y a deux parts dans la légalité capitaliste et bourgeoise. Il y a tout un ensemble de lois destinées à protéger l’iniquité fondamentale de notre société ; ces lois, nous voulons les rompre, et même par la révolution, s’il le faut, abolir la légalité capitaliste pour faire surgir un ordre nouveau. Mais à côté de ces lois de privilège et de rapine, faite par une classe et pour elle, il en est d’autres qui résument les pauvres progrès de l’humanité, les modestes garanties qu’elle a peu à peu conquises par le long effort des siècles et la longue suite des révolutions... Nous voulons dans la légalité d’aujourd’hui abolir les parties capitalistes et sauver la portion humaine. Nous défendons les garanties légales contre les juges galonnés qui les brisent, comme nous défendrions au besoin la légalité républicaine contre des généraux de coup d’Etat.

" Oh, je sais bien encore et ici ce sont des amis qui parlent "Il ne s’agit pas d’un prolétaire ; laissons les bourgeois s’occuper des bourgeois." Si Dreyfus est illégalement condamné, si Dreyfus est innocent, il n’est plus ni un officier ni un bourgeois... il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir... Il est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité.

" Certes, nous pouvons, sans contredire nos principes et sans manquer à la lutte des classes, écouter le cri de la pitié ; nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines ; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l’humanité.

" Qui donc est le plus menacé aujourd’hui par l’arbitraire des généraux, par la violence toujours glorifiée des répressions militaires ? Qui ? Le prolétariat... Il a donc un intérêt de premier ordre à précipiter le discrédit moral et la chute de cette haute armée réactionnaire qui est prête à le foudroyer demain...

" Les bureaux de la guerre ont conduit si étrangement le procès Dreyfus qu’enfin les pièces du jugement ont été cachées à l’accusé seul et montrées au reste du monde... C’est un défi au bon sens ainsi qu’à la conscience. Le général Mercier ainsi que M du Paty de Clam, grisés peu à peu par la passion mauvaise des journaux et de l’opinion, avaient cru que le bordereau leur suffirait à emporter d’emblée la condamnation.

" Devant les hésitations des juges... ils font en toute hâte une levée de documents nouveaux ; ils ne prennent pas la peine d’en éprouver la valeur ; ils ne laissent aux juges ni le temps ni la liberté d’esprit de les examiner ; ils jettent au dernier moment, et sans que l’accusé soit prévenu, des pièces suspectes dans la balance hésitante de la justice...

" Improvisation dans l’arbitraire ! Etourderie dans le crime ! Non seulement il y avait violation du droit, illégalité : mais l’illégalité était commise dans des conditions telles que les chances d’erreur étaient terriblement accrues.

" Et, en effet, il y a eu erreur. C’est un innocent qui est à lîle du Diable.


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