« Réarmement démographique » – Retour sur l’obsession nataliste et la rhétorique guerrière de Macron

samedi 20 avril 2024.
 

Depuis plusieurs années, et le processus s’est accéléré avec la guerre en Ukraine et le génocide à Gaza, Emmanuel Macron multiplie les déclarations va-t-en guerre. La thématique du « réarmement » inonde les discours présidentiels. Les hommes sur le front en Ukraine ? « Rien n’est exclu ». Les femmes sur le front de la démographie par le « réarmement démographique ». Une référence à de sombres pages de l’Histoire de France et un clin d’œil assumé à l’extrême droite.

Au-delà du fait que le chef d’État adore le lexique militaire, de « En Marche » à son célèbre « Nous sommes en guerre », la journaliste Bettina Zourli a raison de dénoncer une « réinstrumentalisation des corps », surtout ceux des femmes. Mathilde Panot, la présidente du groupe parlementaire insoumis, a déjà eu l’occasion de le recadrer, à l’instar des associations féministes : « Nos ovaires ne sont pas des armes de guerre ».

Ce terme de « réarmement démographique » démontre une fois de plus l’intention de Macron de tenter de remilitariser la société française, après le Service National Universel (SNU) et ses projets d’uniforme à l’école. Notre article.

Macron et la tentation néoconservatrice

Le réarmement démographique évoqué par Emmanuel Macron marque une étape de plus dans sa stratégie de la jonction de la droite avec l’extrême droite. Et ce n’est pas la première fois. Le chef d’État a aussi prononcé des mots polémiques car ambigus, lors de la dernière campagne présidentielle. Il s’est positionné contre l’allongement de la durée légale de l’avortement, contrairement à sa propre majorité à l’époque du vote. Macron espère ainsi séduire les soi-disant « provie ».

Les déclarations d’Emmanuel Macron ouvrent aussi la porte à la stigmatisation des personnes « childfree », sans enfant par choix, en laissant supposer que ce réarmement, disons-le simplement, que faire des enfants serait un devoir national. L’occasion aussi de rappeler que nos retraites ne sont pas un système de Ponzi. Si les travailleurs ont droit à leur retraite, c’est parce qu’ils ont cotisé pendant désormais plus de 43 ans, et non pas parce qu’ils ont des enfants « qui cotisent pour eux ».

Revenons aux pro-vie. Ces derniers veulent une vie dans n’importe quelle condition. Même le fait que cette « vie » puisse être la conséquence d’un abus ne semble pas les choquer plus que cela, comme en témoignent les récentes révélations sur les cours donnés au Collège Stanislas, dans lesquels un professeur demandait de « pardonner aux pervers ».

Il y a 15 ans au Brésil, le Vatican a soutenu un archevêque qui venait d’excommunier des médecins dans une affaire qui a choqué toute la société, à commencer par le président Lula. Ces médecins avaient aidé une jeune brésilienne de 9 ans, précédemment agressée par son beau-père, à avorter, ce qui d’ailleurs était parfaitement légal dans la législation nationale. Pour une partie des pro-vie, l’abus est moins grave que le contrôle des naissances.

Le corps des femmes n’est pas une arme de guerre. « Le corps des femmes n’appartient ni à l’État, ni à la famille, ni aux juges, mais aux femmes et à elles seules ! », disait Mathilde Panot à la tribune de l’Assemblée nationale, en défendant l’inscription de l’IVG dans la Constitution. « Emmanuel Macron s’impose comme […] un pater familias qui irait jusqu’à gérer la reproduction de sa population », dénonce Isabelle Cambourakis. Il ne faut pas le laisser faire.

Réarmement démographique ? À l’Ouest, la France championne du natalisme

Nous en venons à l’ignorer tant les médias évoquent la chute de la natalité dans notre pays, mais la France se situe toujours à la première place des taux de natalité et de fécondité de tout l’Ouest géopolitique. Une rapide consultation d’une carte mondiale établie par un organisme de référence, comme ici le World Factbook pour 2020, nous apprend que le taux de fécondité français est le plus fort d’Europe, et dépasse même des pays tels que le Brésil, la Tunisie ou encore le Qatar.

Bien que la baisse actuelle soit indéniable, il ne faut pas oublier que le taux de fécondité français est remonté de manière significative, de 1,73 en 1994 à plus de 2 en 2010, malgré des politiques d’austérité et la montée spectaculaire de la pauvreté. Cette augmentation a été généralisée à l’ensemble du continent.

La France a une longue histoire avec le natalisme. Elle remonte à la défaite de 1871 contre la Prusse et l’idée de la Revanche. Celle-ci devait s’appuyer sur une démographie puissante à même de vaincre la jeune Allemagne en pleine ascension. Le but guerrier de ce natalisme généralisé a été dénoncé par une partie de la gauche.

Le docteur Paul Robin, pédagogue, féministe et pacifiste, appelait à une grève de la natalité, à la veille de la Première Guerre Mondiale. Certains de ses collègues intellectuels parlaient des trois chairs, celle à canon, pour la guerre, celle à usine, pour le travail de masse, et celle à plaisir, car la pauvreté de masse alimente la prostitution. L’idée que la guerre et le Capital allaient ensemble est primordiale.

Après la Guerre et ses 1,4 million de morts, pour la grande majorité des pauvres, les élites économiques se sont plaintes que la France était dépeuplée et qu’il y avait un risque d’« extinction de la race », selon les mots racistes de l’époque. Une politique répressive envers la contraception et l’avortement débute dès 1920. La Fêtes des Mères est instaurée en 1926 comme incitation. Vichy reprend et pousse encore plus loin cette politique nataliste.

La stérilisation volontaire, un tabou si français

La différence entre nous et nos voisins européens est encore plus flagrante lorsqu’il s’agit de la stérilisation volontaire. Seuls 1 % des hommes français a eu recours à la vasectomie, lorsqu’il s’agit d’une pratique beaucoup plus courante dans le monde anglo-saxon (plus de 20% au Royaume-Uni). Pourtant, la vasectomie peut être une manière de partager la charge contraceptive dans le couple et permettre aux femmes d’arrêter la pilule si elles subissent trop d’effets secondaires par exemple.

La situation est similaire pour la stérilisation chez les femmes de moins de 45 ans. En France, les estimations donnent 3 à 4 % de la population donnée, lorsque la proportion au Royaume-Uni et en Allemagne dépasse les 20 %, le Canada les 30 %, les États-Unis et le Mexique approchent les 40 % tandis que l’Inde parvient aux 45 %. Il est extrêmement difficile de trouver des médecins désireux de réaliser une stérilisation volontaire dans notre pays. Il y existe une condamnation de longue date de la stérilisation, associée à la castration, l’eugénisme. Un rapport de 1974 la déclarait même comme un acte pervers car portant atteinte à la figure du père.

La France peut ainsi être vue comme un bastion, une île du conservatisme sociétal, d’autant plus que chez nous, la durée légale de l’avortement est l’une des moins étendues d’Europe. La plupart des pays voisins vont jusqu’à 5 mois entiers. D’autant plus que l’Ordre des Médecins, fondé par une ordonnance pétainiste, s’est historiquement prononcé contre l’avortement, et pour un droit de refus de la part des practiciens.


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